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Bakary Kouyaté, Président de ISOC MALI : Il faut un minimum de connaissances en informatique pour le choix de nos responsables au plus haut niveau

JBN :  M. Kouyate, vous êtes un des acteurs de la vie d’intérêt au Mali, Président du Chapitre malien de Internet Society, quel parcours vous a conduit à cet engagement dans ce secteur ?

Je dis merci à Allah qui m’a conduit sur ce chemin qui me passionne tant. Tout d’abord, je suis diplômé de l’Ecole Nationale d’Ingénieur Abderahamane Baba Toure ENI/ABT de Bamako. Ingénieur en Génie industriel, je suis détenteur d’un Master 2 en ingénierie de formation et ingénierie pédagogique avec l’Université de Lille 1 en France. En plus de ces deux diplômes d’ingénieurs, j’ai à mon actif plusieurs certificats (CISCO, AirMux, NGL j’en passe).

Depuis le bas âge, j’ai développé une passion très forte pour l’informatique d’une façon générale ce qui m’a emmené à m’intéresser à tout ce qui touche à l’informatique et l’Internet. Au cours de mon aventure, j’ai un jour participé à une conférence au Centre Djoliba, animée par le Dr. Mamadou Iam Diallo. C’était en 2001. Il était à l’époque le Président du chapitre malien de Internet Society. Après la conférence, j’ai noué des contacts avec le staff d’ISOC MALI afin d’y adhérer et servir en tant que volontaire. Depuis lors, ma passion pour le numérique n’a cessé d’augmenter et m’a emmené là où je suis aujourd’hui.

JBN :  Internet Society est une organisation qui existe dans notre pays depuis 1998. Cependant, elle semble méconnue du grand public. Quelle est sa mission et que retenir de son action depuis plus d’une décennie ?

Internet society est une Association apolitique et à but non lucratif qui est composée de volontaires. Elle s’est donnée pour mission d’œuvrer pour le développement d’Internet au Mali et sa plus large diffusion auprès des utilisateurs potentiels ainsi que d’établir une liaison avec les autres associations rattachées à Internet Society.

En ce qui concerne nos activités depuis dix ans, nous allons en énumérer quelques-unes sans être exhaustifs. Elles sont entre autres la conduite du projet AXIS ayant abouti à la mise en place du point d’exchanges Internet du Mali (MLIX). Nous avons également organisé un atelier technique de haut niveau avec l’AFRINIC sur le Protocole Internet version du IPv6.

Nous sommes fiers d’avoir participé à la conception et au développement de l’ordinateur « Made in Mali » dénommé « Limmorgal ».  Ce projet a permis d’équiper une salle informatique de 25 postes de type « Limmorgal » connectés à Internet au groupe scolaire de Boulkassoumbougou. Nous oeuvrons aussi sur les questions de traduction des manuels scolaires en langues nationale Bamanankan, de vulgarisation de la Gouvernance de l’Internet. A cet effet, nous avons instaurer l’Ecole malienne sur la Gouvernance de l’Internet : Malian School on Internet Governance (MaliSIG). Le mécanisme d’action passe aussi par l’organisation de débats contradictoires entre établissements supérieurs « Débatteurs ».

Pour finir, une des grandes fiertés de ISOC-Mali, c’est la réalisation de trois études (2018/2019, 2020) sur l’état des lieux de l’Internet au Mali, sur l’utilisation des Réseaux Sociaux au Mali et sur l’Etat de l’Internet au Mali. Dans cette dynamique, le chapitre malien de ISOC a participé à un Nous avons un projet global pour mesurer la résilience de l’Internet en Afrique appelé MIRA (Measuring Internet Resilience in Africa).

JBN :  Comment se porte l’internet au Mali, selon vous ?  Pouvez vous nous en faire un état succinct ?

Aujourd’hui dans le monde, l’Internet n’est pas considéré comme un Luxe. Dans certains pays même il fait partie des droits fondamentaux de l’homme. Pour le Mali, Internet se porte relativement bien comparativement aux pays environnants. Toutefois, il y a beaucoup d’effort à faire du point de vue accessibilité, qualité, prix et je dirai même concurrence. La satisfaction des utilisateurs laisse à désirer en ce qui concerne la qualité du service. Les couts restent chers par rapport à la bourse du malien moyen (les utilisateurs lambda), ce qui lui confère une connotation de luxe. Beaucoup reste à faire pour la couverture territoriale. Ce qui pose un problème d’accès et agrandit le faussé de la fracture numérique.

JBN :  Votre rapport 2020 sur « l’état de l’internet au Mali » note que 83,99% d’internautes maliens jugent le cout d’accès à internet « élevé ». Quel est votre regard sur ce chiffre ?

Ce chiffre reflète le ressenti de l’utilisateur lambda qui paie sa connexion. L’Internet n’est pas à présent démocratisé comme on le souhaite au Mali. Chaque jour, le nombre d’utilisateurs augmente de façon exponentielle. Donc les opérateurs peuvent et doivent jouer sur l’effet de nombre pour diminuer les prix.

JBN :  Malgré la présence de trois opérateurs, l’accès à internet, à un cout abordable reste une problématique au Mali. Qu’est ce qui peut expliquer cela ?

Je situe le problème à deux niveaux : les autorités en charge de la question (le ministère et l’AMRTP) d’un coté et le manque de concurrence de l’autre côté.

Les autorités en charge de la question doivent mettre des politiques visant à favoriser une diminution drastique des prix.  Les opérateurs nous envahissent avec des promotions de toutes sorte (100%, 200% etc. , ) et à tout moment. On comprend par là qu’ils ont la possibilité de les baisser afin que tout le monde puisse avoir un accès souhaité.

L’on dira que cela fait partie de la politique de marketing. Mais les politiques doivent changer pour soulager les utilisateurs.

En réalité, il n’y a pas une vraie concurrence au Mali entre les opérateurs télécoms. L’écart en termes de moyens entre les trois est énorme. Chacun se bat à son niveau mais ce que nous voyons sur le terrain n’est vraiment pas de la concurrence.

C’est seule la concurrence qui peut faire en sorte que l’operateur baisse ses prix sans que le client ne le demande même car le client va là où c’est moins cher.

JBN :  Si on se réfère aux politiques publiques, à la règlementation d’internet au Mali, les indicateurs nationaux, favorisent-ils de nos jours le développement de ce secteur ? 

Le développement du secteur est bridé par l’Etat en réalité. La règlementation n’est pas une mauvaise chose en soit. Mais en réalité, nous trainons le pas par rapport à beaucoup de choses concernant le secteur. La convention de Malabo qui est une directive de l’Union Africaine contre la cybercriminalité n’est pas encore ratifiée par notre pays. La directive de l’Union Africain pour la cybersécurité n’est pas finalisée, la loi sur les startups n’est pas encore promulguée.

Bref, tout cela constitue des éléments qui ne favorisent pas du tout le développement du secteur.

JBN :   La demande est de plus en plus croissante en termes d’accès à internet. Les investissements dans cet écosystème (public et/ou Privé), suivent-ils cette forte demande ?

Il faut reconnaitre qu’il y a eu des efforts dans ce sens. Cependant, comme je l’ai dit beaucoup restent à faire et de la part des autorités et de la part des utilisateurs. Si gouverner c’est prévoir, l’Etat doit se prémunir des outils et des mécanismes pouvant faire face aux défis de demain.

L’Etat doit détaxer le matériel informatique pour démocratiser l’accès aux matériels informatiques. Cela favorisera le secteur privé du domaine. L’Agence de gestion du fonds d’accès universel doit être transformée en Banque de Développement du secteur Numérique.

JBN : Vous avez publié 3 rapports sur l’Internet au Mali. En quintessence, il y a-t-il eu des évolutions notables à la suite de ces études ? Quels sont les points qui n’ont pas changé ?

Au nombre des points qui n’ont pas connu un changement remarquable et qui font toujours le malheur des utilisateurs, on peut citer le prix de l’Internet qui est encore décrié par, à peu près, 84% des utilisateurs enquêtés lors de l’étude publiée en Juillet dernier et menée par ISOC MALI.

La qualité de la connexion Internet est décrié par les 75% des Internautes enquêtés lors de la même étude. Les utilisateurs sont en majorité insatisfaits.

Les opérateurs doivent également fournir des efforts pour pallier les coupures intempestives de l’Internet qui impactent négativement les utilisateurs à plus de 77% selon l’enquête de 2020.

La lenteur de la connexion n’a pas connu également une meilleure amélioration, elle est décriée par plus de 72% des enquêtés pour ne citer que ceux-ci.

JBN : L’internet est devenu une menace pour l’école malienne à cause de la fuite des sujets lors des examens. Même lors du BAC et DEF « Sessions 2021 ». Une de vos études révèlent que 70% des internautes maliens surfent dans des lieux inappropriés comme le cimetière ou la mosquée. Globalement, quel est son impact sur notre société et ses mutations ?

Les impacts sur la société sont beaucoup plus positifs que négatifs bien que Internet soit un couteau à double tranchant. Le cas des examens (DEF et BAC) est juste un problème de responsabilité. Il faut que les gens prennent leur responsabilité. Vous m’excusez ce n’est pas « Internet » qui met les sujets sur les réseaux sociaux. Même si on supprime Internet et tous les moyens technologiques, ces auteurs, ces élèves partisans du moindre effort trouveront des moyens pour voler.

Cela met juste en évidence le comportement de l’homme malien indépendamment de la technologie.

JBN : Le Mali s’est doté, en février 2016, de la Politique Nationale de Développement de l’Economie Numérique. Cette initiative vise, selon les autorités, à réduire la fracture numérique. Le Mali serait-il résolument sur la bonne voie avec cet outil ?

Le Mali est l’un des pays premiers en matière d’adoption de politiques, de lois mais l’un des derniers dans l’application de ces mêmes textes. Je trouve que l’adoption de cette politique est une très bonne chose mais il reste à poser après des vraies actions afin de concrétiser la réalisation des objectifs visés par ladite politique.

JBN : L’économie numérique est ancrée, depuis quelques années, dans l’architecture gouvernementale du Mali. Est-ce à dire que cette économie est pourvoyeuse d’emplois et créatrice de véritables richesses ?

C’est un ancrage de façade pour faire de l’effet de mode. Mais il n’y a pas une véritable vision derrière. Ni d’actions concrètes permettant de numériser l’économie malienne. La preuve en est que la Direction Nationale de l’Economie Numérique (DNEN) est créée cela fait 5 ans. Mais elle n’est réellement pas opérationnelle. C’est cette Direction qui est censée définir la politique à mener, la stratégie à mettre en place en matière du Numérique au Mali.

Mais en 5 ans, encore une fois nous n’avons vu aucune action concrète de cette Direction.

Nos autorités n’ont pas encore compris que le secteur du numérique peut apporter plus que le secteur agricole ou minier.

Aujourd’hui, le numérique constitue une source intarissable que chacun en ce qui le concerne peut exploiter comme il peut sans gêner l’autre. Car tant que le cerveau humain peut imaginer, on peut innover dans le numérique. Cette innovation crée de la valeur ajoutée qui à son tour crée de la richesse.

De ce point de vue, le numérique sert de levier catalyseur pour tous les autres secteurs sans exception et du coup, il se trouve être le secteur le plus pourvoyeur d’emplois et créateur de richesses.

JBN : Malgré les effets positifs que vous citez, la protection des données à caractères personnelles reste un défi à relever. Et, aujourd’hui, c’est un sujet qui divise utilisateurs des réseaux sociaux et juristes. Quel est votre jugement ? La loi n’est-elle pas souvent liberticide ?

Certains pensent que si l’on est sur Internet surtout sur les réseaux sociaux, tout est permis. Alors que NON ! tout n’est pas permis. Il faut que l’on comprenne aussi que notre liberté à nous s’arrête où commence celle des autres même sur la toile.

Tout ce qu’on ne doit pas faire dans la vraie vie, ne doit pas être fait non plus sur la toile. Il faut que la loi s’applique. Ce ne sont pas des extras terrestres qui interagissent sur la toile, ce sont nous les humains fondamentalement. Toutefois, partout où les humains interagissent, il faut des règles pour les encadrer. Si non, ça devient la jungle.

L’autorité de protection des données à caractère personnel a un grand rôle de sensibilisation à jouer à ce niveau. Mais nous à Internet Society, nous n’arrivons pas à cerner la portée de leurs actions sur le terrain. C’est pour cela d’ailleurs nous avons mis en place le projet « Débatteurs » dont j’ai parlé plutôt pour informer et sensibiliser les usagers sur les concepts de la protection des données personnelles.

JBN : Que faut-il changer pour non seulement sécuriser l’internet au Mali, mais aussi passer à la vitesse supérieure pour tous ?

Il faut beaucoup sensibiliser et former les usagers de l’Internet car la première sécurité est celle que l’on assure à soit même. Une bonne éducation à la citoyenneté numérique est la solution fondamentale de cette équation. Nous, en tant qu’association, sommes interpellés à ce niveau.

Pour passer à la vitesse supérieure, les opérateurs doivent développer des infrastructures robustes sur toute l’étendue du territoire et rendre réellement opérationnel le point d’échanges Internet.

Quant aux autorités, elles doivent mettre la digitalisation au-dessus de toutes les actions. De ce fait, elles doivent : impulser les TIC depuis le plus haut sommet afin que cela puisse être suivi. Mettre en valeur les solutions numériques disponibles ou créer d’autres pour une bonne modernisation de notre Administration. Interdire formellement l’utilisation des Webmail (Gmail, Yahoo etc.) Dans notre Administration pour les échanges professionnels. Il faut aussi exiger un minimum de connaissances en informatique pour le choix de nos responsables au plus haut niveau.

JBN : Votre organisation plaide pour une gouvernance partagée et démocratique d’internet au Mali. Est-ce le cas aujourd’hui ?

Nous ne pouvons pas, du tout, dire aujourd’hui que la gouvernance de l’Internet est au beau fixe. Nous avons assisté à l’époque à des coupures des réseaux sociaux lors des élections, des examens et souvent la veille des manifestations socio-politiques. Des fois nous avons fait des communiqués pour dénoncer cela sur notre site et sur nos canaux de communication.

Nous continuons à promouvoir le modèle multipartites et multi acteurs de la gouvernance de l’Internet en mettant l’accent sur le renforcement de capacités.

JBN : La pandémie du coronavirus a bouleversé les habitudes. Les entreprises maliennes ont-elles réussi leur transformation digitale pour s’adapter à la réalité du télétravail ?

Pas beaucoup en ma connaissance. L’habitude étant une seconde nature de l’homme, ça a été très difficile pour beaucoup d’épouser cette nouvelle réalité imposée par la COVID19. À la rigueur celles travaillant dans le domaine informatique, et celles offrant déjà des services de consultations ont pu redéfinir leur mode d’action en mettant en avant le télétravail. Mais toutes ces entreprises qui offrent des services nécessitant une exécution ont eu tous les problèmes du monde pour mettre en œuvre le télétravail.

bamakonews.net

Source: Bamakonews

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