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Au Sénégal, lutter contre l’excision un village à la fois

Près du tiers des femmes sont excisées au Sénégal. Et dans certaines régions du sud, elles le sont quasiment toutes. Mais le phénomène est en recul, grâce au travail acharné de militantes anti-excision.

Dans un petit local du Centre de conseil ado de Kolda, une ville du sud du Sénégal, une quarantaine de jeunes filles se sont rassemblées pour écouter attentivement Fanta Baldé, 18 ans, présenter son exposé sur l’excision. « Je vais vous parler du contexte de ce fléau-là, parce que oui, nous considérons que c’est un fléau. »

À l’aide d’un projecteur, Fanta explique d’abord dans quelles régions du monde on pratique les mutilations génitales. C’est plus particulièrement en Afrique, et surtout en Afrique de l’Ouest, leur dit-elle. Au Sénégal, près du tiers des femmes ont été excisées, « 34 % dans le milieu rural, 22 % dans le milieu urbain. »

Selon les dernières données de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), 200 millions de femmes ont subi l’excision dans 30 pays à travers le monde.

Mais les statistiques sont encore plus cruelles quand on se tourne vers certaines régions du pays. À Kolda, par exemple, 94 % des femmes sont excisées.

Les jeunes filles réunies dans le petit local en cette chaude fin de journée le savent bien. Quand on demande à celles qui ont été excisées de lever la main, elles sont plus de la moitié à le faire. Pourtant, cette pratique a été interdite au Sénégal en 1999.

Le Club des jeunes filles de Kolda

Chaque semaine, le Club des jeunes filles de Kolda se réunit pour aborder toutes sortes de thèmes : mariages précoces, violence conjugale ou sexuelle. Au programme ce jour-là : s’informer et discuter des conséquences néfastes de l’excision.

C’est Babacar Sy qui coordonne le Centre de conseil ado de Kolda.

« Depuis quatre ans, c’est une activité qu’on organise chaque mercredi pour renforcer les capacités des jeunes filles, permettre qu’elles puissent développer des communications entre elles pour pouvoir échanger avec leurs parents et leurs pairs dans la collectivité. Et ce sont les filles elles-mêmes qui sont chargées de le faire, pas moi », explique-t-il.

Aucun détail épargné

Si Babacar Sy tient à ce que ce soient les jeunes filles qui renseignent les autres sur l’excision, c’est pour empêcher tout malaise. Car ici, aucun détail n’est épargné.

À l’aide de projections de photos, Fanta explique les trois types d’excision. « Ça, c’est le sexe d’une fille qui n’a pas été excisée. Il y a trois types d’excision et ça, c’est le type 1, l’ablation partielle ou totale du clitoris. Là, c’est le type 2 : l’ablation du clitoris avec l’ablation des petites lèvres. Tout ce que vous voyez en jaune, c’est ce qu’on a enlevé du sexe de la jeune fille. »

Fanta montre aussi un schéma et des photos du troisième type d’excision, la plus radicale, l’ablation du clitoris, des petites et grandes lèvres avec suture et rétrécissement de l’entrée vaginale.

Discussion de groupe

Après l’exposé, la discussion. C’est Babacar Sy qui anime les échanges. On apprend ici que certains peuples du Sénégal ont recours plus que d’autres à l’excision.

– Toi, tu n’as pas été excisée, pourquoi? Tu es Wolof?

– Je suis Toucouleur.

– Et toi, tu es de quelle ethnie? demande Babacar Sy à une autre.

– Tu n’as pas été excisée et en regardant ces images-là, qu’est-ce que ça t’a fait? poursuit-il.

– Ça m’a choquée, c’est quelque chose de grave, lance une des filles. Les photos parlent d’elles-mêmes. C’est difficile à imaginer quand on ne l’a pas vécu. C’est atroce!

– Alors nous, en tant que jeunes filles, dit Babacar Sy qui se reprend rapidement après que les filles éclatent de rire.

– Moi, je ne suis pas une jeune fille, c’est vous les jeunes filles! Mais quelle est notre mission?

– Sensibiliser les exciseuses, dit l’une d’elles.

– Sensibiliser les parents, répond une autre.

Fanta, qui est aussi présidente d’une antenne locale du Club de jeunes filles, se mêle à la discussion.

– Les victimes, ce sont nous, les jeunes filles. Donc, on doit prendre la parole pour dire non, non et non aux mutilations génitales féminines!

Convaincre, un quartier à la fois

Après l’exposé et la discussion, une partie des jeunes filles du Club de Kolda se dirigent vers Medina Cherif, l’un des quartiers périphériques de la ville. Leurs discours bien maîtrisés et armées de leurs grands cahiers à spirales illustrés de schémas de sexes féminins excisés, elles s’apprêtent à sensibiliser les mères de famille aux dangers et aux séquelles des mutilations génitales.

Le premier arrêt se fait chez une dame qui croit encore à la nécessité de l’excision.

La mère de famille a fait exciser ses filles de 14, 13 et 10 ans et n’y a vu aucun inconvénient. Mais après l’exposé des jeunes filles, qui lui expliquent les conséquences néfastes de l’excision, entre autres à l’accouchement, la mère semble ébranlée. « Elle ne savait pas, nous traduit une des jeunes filles. Si c’était à refaire, elle n’est pas sûre qu’elle le referait. »

Mais la tradition est tenace et il faudra sans doute plusieurs visites dans le même quartier et dans les mêmes maisons pour que peu à peu, on renonce à cette pratique séculaire.

La lutte d’une vie

Mariama Gnamadio en sait quelque chose. Cette femme de 48 ans, mère de six enfants, parcourt la brousse à moto depuis plus de 25 ans pour convaincre les exciseuses et les mères de jeunes filles de ne plus avoir recours à cette pratique.

Elle cherche aussi à les persuader que les femmes non excisées ne sont pas des débauchées, et que la volonté de préserver la virginité des jeunes filles jusqu’au mariage ne peut justifier de telles mutilations.

De son côté, ce n’est pas en milieu urbain, mais dans les villages reculés de la brousse du Fouladou, dans le sud du pays, que la militante mène son combat. « Toutes les semaines, je quitte [mon domicile] le mardi pour revenir le vendredi chez moi. »

Elle va de village en village et retourne par la suite aux mêmes endroits pour mener des sensibilisations de masse à l’aide, entre autres, de projections de films. « On n’ose pas apporter de films sans l’aval des populations, mais on arrive quand même à le faire dans certains villages », raconte Mariama Gnamadio.

« Et dans ces films, les gens voient que l’enfant ne décide pas, que ce sont souvent des bébés, et c’est choquant. »

– Mariama Gnamadio

C’est avec les années d’expérience que Mariama Gnamadio a changé son approche. « Au départ, on ne montrait pas les séquelles de l’excision. On disait que ce n’était pas bon, et les communautés nous disaient qu’elles allaient abandonner.  »

Mais au fil des ans, Mariama se rend compte que cette pratique, dont les origines remontent à une époque bien antérieure à l’arrivée de l’Islam, est très ancrée, et qu’il faut aller beaucoup plus loin pour convaincre les populations d’y mettre un terme.

Répercussions majeures sur la vie des femmes excisées

Les séquelles de l’excision des jeunes filles sont graves. Des problèmes de santé chroniques, des infections et des douleurs aiguës en résultent souvent.

Il y a d’abord un danger de mort juste après l’excision, à cause des hémorragies. Il y a aussi le danger de contracter le tétanos.

« Les couteaux utilisés sont les mêmes pour toutes et ne sont pas stérilisés, ni même lavés avec du savon. »

– Mariama Gnamadio

Au-delà de ces conséquences immédiates, il y a aussi les problèmes à court terme, en lien avec la cicatrisation qui ne se fait pas toujours bien. Il y a souvent formation de kystes ou de tissus cicatriciels, les chéloïdes, qui causent des problèmes à l’accouchement ou lors des rapports sexuels.

Mais la pire des conséquences de l’excision, c’est l’apparition de fistules, ou quand l’éclatement des parois entre les organes laisse les excréments ou l’urine s’échapper par le vagin.

Cet élément, on s’en doute bien, est tabou. Les femmes qui en sont victimes sont mises à l’écart de leur communauté, parce qu’elles dégagent une odeur nauséabonde. « Elles sont souvent abandonnées par leur mari, soutient Mariama Gnamadio. Elles souffrent, mais elles se cachent, parce que c’est une maladie honteuse, c’est une maladie qui pue. »

Une vie sexuelle détruite

Il y a aussi les conséquences sur la vie sexuelle, qui se font sentir tout au long de la vie d’une femme. Mariama soutient qu’il faut aussi oser parler de ça dans les villages.

« Le clitoris, pour beaucoup de femmes, c’est ce qui donne le plaisir dans les rapports sexuels. Mais moi, ajoute Mariama, j’ai les séquelles de l’excision et ça [les rapports sexuels] ne me dit rien. Je le fais parce que je suis musulmane. »

« J’ai fait des enfants, mais sans plaisir. Ça, il faut oser le dire. »

– Mariama Gnamadio

C’est pour cette raison que Mariama s’est dit qu’il fallait donner un coup de barre dans les façons de lutter contre l’excision. Elle s’est donc tournée vers l’ONG Umbrella Support Unit (USU), qui a instauré des programmes de dépistage volontaire. Elle propose l’exercice lors de ses visites au village.

« On leur demande de nous trouver 20 filles, excisées ou non. Si on leur demandait de ne rassembler que des filles excisées, on risquerait de les apeurer. »

À cause de la répression de la loi, les villageoises peuvent craindre d’être dénoncées. Mais de cette façon, elles collaborent. Si des problèmes gynécologiques sont dépistés, ils sont pris en charge par l’USU, et les jeunes filles sont soignées, autant que possible.

« Quand les parents comprennent que ces problèmes sont liés à l’excision, dit Mariama, ils réfléchissent et se mettent à douter du bien-fondé de cette coutume. »

Une exciseuse abandonne la pratique

Et quand les parents doutent, les exciseuses aussi se mettent à douter. C’est ce qui est arrivé à Dado Mballo, qui a pratiqué l’excision pendant 30 ans à Sare Mbagning.

Dans ce village tout ce qu’il y a de plus traditionnel, le lieu où elle pratiquait l’excision est intact. Elle nous montre d’abord, l’amas de roches où s’asseyaient les mères, les tantes et les grands-mères pendant que se déroulait l’excision.

Et puis, quelques mètres plus loin, une petite surface de terre battue où on tenait les filles de force pendant l’« opération  ».

Faire abandonner l’excision à cette femme qui la pratiquait depuis tant d’années n’a pas été une mince affaire, dit Mariama Gnamadio qui lui a rendu visite pendant cinq ans avant de réussir à la convaincre. Elle a finalement accepté en 2015 de faire une déclaration solennelle d’abandon devant tout le village.

Mais à la question de savoir si elle regrette d’avoir pratiqué l’excision pendant de si nombreuses années, Dado Mballo répond que ce n’était qu’une question de tradition.

Aujourd’hui, sa petite-fille de 22 ans, Oumou Baldé, souffre de graves séquelles de l’excision de type 3 avec infibulation que lui a infligée sa propre grand-mère. Oumou est d’ailleurs devenue comme Mariama une militante anti-excision.

Sensibiliser les hommes autant que les femmes

Ce n’est pas qu’aux femmes que Mariama et Oumou s’adressent dans leurs visites de sensibilisation. Il est capital, disent-elles, de convaincre aussi les hommes des méfaits de l’excision.

Mariama précise que l’homme doit toujours donner son accord avant qu’une de ses filles ne se fasse exciser. Mais, dit-elle, ils ne savent pas vraiment de quelle façon a lieu l’opération ni en quoi elle consiste. Et dans ces régions où la polygamie est courante, la décision des pères a un impact sur un plus grand nombre de filles que la décision des mères.

Il faut aussi s’adresser aux imams. Ici à Sare Mbagning, l’imam du village, Thierno Mamadou Baldé, même s’il est favorable à l’abolition de cette pratique, ne croit pas qu’on pourra en venir à bout en quelques années. « C’est une pratique bien plus vieille que l’islam, affirme l’imam. On ne pourra pas y mettre fin en 20 ou 30 ans.  »

La loi pas suffisante

Depuis son interdiction au Sénégal en 1999, l’excision persiste en partie parce que la loi manque de mordant, selon Mariama Gnamadio. Les peines sont trop faibles et pas toujours appliquées, dit-elle. « Les exciseuses et les mères des filles sont arrêtées, mais souvent relâchées au bout de deux ou trois mois », soutient Mariama. Et de toute façon, la loi à elle seule ne peut suffire à faire changer les choses, croit-elle.

Bien sûr, le Sénégal a fait beaucoup de progrès en la matière, puisque depuis le début des années 2000, plus de 1500 communautés sénégalaises ont abandonné cette pratique.

Mais c’est surtout sur les mentalités qu’il faut travailler, et Mariama Gnamadio n’est pas prête à baisser les bras. « Moi, tant que je vis et que je peux marcher, je lutterai contre ce fléau jusqu’à avoir gain de cause, car les femmes en souffrent. »

Ici.radio-canada

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