Alors que la France réfléchit à réduire sa présence militaire au Sahel, plusieurs gouvernements de la région songent à ouvrir des négociations avec des djihadistes. Au Mali, une ONG genevoise vient de conclure plusieurs accords locaux. Une ébauche de paix?
Dans la guerre sans fin au Sahel, il n’y a pas que la France qui s’interroge. Les pays de la région qui ploient sous les coups des groupes armés n’hésitent plus à évoquer des négociations directes avec les djihadistes. Dernière sortie en date, le premier ministre burkinabé, Christophe Dabiré, a ouvertement évoqué cette possibilité jeudi devant le parlement, une option jusqu’ici écartée par le président.
«Toutes les grandes guerres se sont terminées autour d’une table», a dit le premier ministre burkinabé, tout en parlant d’une «éventualité». En octobre dernier, le Mali avait libéré une centaine de prisonniers, dont certains auteurs d’attentats, en échange de quatre otages, pour la plupart occidentaux.
Un marché qui avait provoqué la colère de la France, dont l’appui est crucial contre les «groupes terroristes» dans le Sahel. Dominé par les militaires qui ont renversé le président, le nouveau pouvoir de transition à Bamako est paradoxalement plus favorable à des négociations avec ses ennemis, qui contrôlent de fait une grande partie de l’immense territoire désertique du Mali.
Même la France, qui ne voit pas la fin de son engagement militaire, souffle le chaud et le froid. En décembre, des sources au sein de l’Elysée envisageaient un dialogue avec certains groupes, tout en excluant Al-Qaida et l’Etat islamique, les deux franchises concurrentes ayant des visées dépassant le Sahel. Au contraire, la semaine dernière, Paris mettait en garde les pays d’Afrique de l’Ouest contre une extension de la menace terroriste vers le golfe de Guinée, à travers la Côte d’Ivoire et le Bénin. Une manière de resserrer les rangs.
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Apaiser les violences intercommunautaires
Sur le terrain, la situation n’est pas aussi bloquée. Une ONG genevoise, le Centre pour le dialogue humanitaire, a décroché en janvier trois accords dans le centre du Mali entre les Peuls et les Dogons, après que les rivalités traditionnelles entre les deux communautés ont dégénéré en tueries.
«Les Peuls sont les grands perdants du développement. Ces nomades et éleveurs ont le sentiment que leur mode de vie est menacé. Ce sont des recrues de choix pour les groupes armés. En face, les agriculteurs Dogons ont constitué des groupes d’autodéfense, avec le soutien de l’Etat malien», relate Alexandre Liebeskind, chargé de l’Afrique pour le Centre pour le dialogue humanitaire.
Il a fallu des mois de tractations pour désamorcer l’engrenage des représailles. «Ce sont les deux communautés qui nous ont sollicités. Les médiateurs sont issus de leurs rangs», poursuit Alexandre Liebeskind. Les trois accords prévoient la libre circulation des deux communautés dans la région, un mécanisme de règlement des différends ou la restitution des biens volés. Des représentants de la Katiba Macina, un groupe affilié à Al-Qaida très puissant au centre du Mali, ont été indirectement associés aux discussions. Les autorités maliennes ont également été tenues au courant.
Si le modèle est fragile, il esquisse une paix «depuis le bas qui peut faire tache d’huile», selon les mots d’Alexandre Liebeskind. Mais le spécialiste de l’Afrique ne croit pas à des prochaines discussions globales avec les djihadistes. Le gouvernement malien de transition a peu de temps devant lui et il n’est pas en position de force pour négocier.
Source: Le Temps