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Au Mali, un tabou nommé Azawad

La simple évocation du territoire revendiqué par les ex-rebelles du nord du pays suscite encore de violentes controverses à Bamako.

La série d’incidents vaut démonstration. Plus de deux ans après la signature d’un accord de paix entre le gouvernement malien et les groupes armés établis dans le nord du pays, notamment la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA), l’Azawad demeure une question et même un terme faisant l’objet de violentes discordes.

Depuis début décembre, la ministre Oumou Touré se débat dans un maelström des critiques. Quelques jours plus tôt à Bamako, Aminatou Walet Ag-Bibi, la présidente des Femmes de l’Azawad, avait eu l’audace de revêtir aux Assises des femmes du Mali pour la paix un foulard aux couleurs du drapeau du Mouvement national de l’Azawad (MNLA), principal artisan de la rébellion indépendantiste partie de Kidal, dans le nord du pays, en janvier 2012. Des photos d’elle posant avec la ministre de la promotion de la femme, de l’enfant et de la famille, se sont rapidement retrouvées sur les réseaux sociaux où internautes, opposants et certains mouvements de la société civile n’ont pas tardé à dénoncer un acte de provocation et à réclamer la démission de Mme Touré.

Un enseignant du lycée français expulsé

« Le plus grave, c’est que le drapeau du Mali est interdit à Kidal », fustige ainsi membre de Trop c’est trop. Le malaise créé par cet incident est révélateur. Fin octobre, un enseignant d’histoire-géographie du lycée français de Bamako avait été expulsé par les autorités maliennes. Robin Guiovanopoulos avait osé donner à ses élèves un devoir posant plusieurs questions : « Qu’est-ce que l’Azawad ? », « Cette région appartient-elle au Mali ? », ou encore « Quelle est la capitale de l’Azawad ? » La levée de boucliers fut immédiate tant parmi les parents d’élèves que sur les réseaux sociaux. Pour calmer les esprits, l’ambassade de France au Mali s’était fendue d’excuses officielles, regrettant dans son communiqué « les inexactitudes et les raccourcis que pouvait contenir ce devoir, sur un sujet qui fait actuellement débat au Mali » et assurant qu’il n’y avait « aucune intention malveillante de la part du professeur […] qui n’avait pas mesuré la portée politique du terme Azawad ».

Pour beaucoup, la nouvelle controverse survenue lors des assises des femmes du Mali n’est que le symptôme d’une hostilité viscérale au mot même d’« Azawad ». « Dans une certaine mesure, l’Azawad représente un mot tabou, diabolisé », admet Ilad Ag-Mohamed, le porte-parole de la CMA. Pour le sociologue et anthropologue Naffet Keïta, la question est encore loin d’être résolue, d’autant que, « depuis la proclamation de l’indépendance de l’Azawad [le 6 avril 2012], les mouvements armés fêtent l’indépendance. A chaque célébration, ils recourent aux attributs de l’Azawad. »

Malaise généralisé

Laissée en suspens par l’accord de paix signé à Alger, cette question est revenue sur la table lors de la Conférence d’entente nationale, qui s’est tenue du 27 mars au 2 avril à Bamako. Dans son rapport final, celle-ci indique que l’Azawad, renvoyant à « des réalités culturelles, historiques et géographiques », ne peut faire l’objet « d’aucune revendication ». « L’Azawad n’a jamais été une entité territoriale gérée par un organisme politique. Ce n’est qu’une portion de territoire, située entre Araouane et Tombouctou, utilisée suivant la saisonnalité. Aucun Etat, aucune fraction n’a eu à y émerger », estime Naffet Keïta, qui fut l’un des membres de la Commission analyse et rédaction de la Conférence d’entente, tout en déplorant que les Maliens dans leur majorité aient la paresse de mener le débat historique sur l’Azawad.

« La Conférence d’entente nationale a été une mascarade, rétorque Ilad Ag-Mohmed, dont le mouvement a rejeté la Charte pour la paix et la réconciliation issue de la rencontre et n’a pu obtenir l’appui des représentants des autres régions du nord autour de l’idée d’“Azawad”. Le Mali est obligé de tenir compte des diversités politiques, géographiques et territoriales. Si l’on veut rester uni, il faut refonder l’Etat avec ces diversités-là. » A cela, Aminatou Walet Ag-Bibi ajoute qu’« une véritable refondation de l’Etat exige une prise en charge réelle, compréhensive et sincère de toutes les visions des composantes du pays. »

Au Mali, le processus de paix est à la peine et les incidents au sujet de l’Azawad sont le reflet d’un malaise généralisé. « Le véritable problème, c’est qu’il existe des populations qui veulent disposer d’elles-mêmes sur le plan économique, politique parce qu’elles ont été discriminées pendant longtemps », conclut Ilad Ag-Mohamed.

« Nous avons accepté l’intégrité territoriale, mais nous voulons un statut juridique et politique pour l’Azawad, qui s’étend de Tinzawatin [Kidal] à Douentza [Mopti] », ajoute-t-il, sans la moindre certitude d’être entendu.

Le Monde

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