Alors que les yeux des Maliens sont rivés sur des sujets comme la politique et la sécurité, l’environnement de manière générale fait l’objet d’un oubli coupable.
Aujourd’hui, les vagues de chaleur se font de plus en plus incessantes à cause notamment de l’avancée du désert et de l’absence d’une politique de reboisement active. Le péril environnemental est pourtant bien réel. Peut-être même plus important que les autres périls qui ont marqué et qui continuent de marquer l’esprit des gens.
Depuis quelques années, la chaleur au Mali n’est plus seulement accablante : elle est anormale. Les Maliens, qu’ils soient citadins ou ruraux, constatent un changement tangible : les saisons ne respectent plus leur calendrier traditionnel, et les vagues de chaleur s’intensifient. Le dérèglement climatique n’est plus un concept lointain, mais une réalité quotidienne dont les conséquences s’étendent sur l’agriculture, la santé, l’économie et la stabilité sociale du pays.
Une hausse alarmante des températures
Selon les données de l’Organisation météorologique mondiale (OMM), la température moyenne au Mali a augmenté de 1,2 à 1,5 °C depuis 1960. Une étude du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) prévoit une augmentation supplémentaire de 2 à 4 °C d’ici 2100 si les émissions mondiales de gaz à effet de serre ne sont pas réduites. Pour un pays sahélien déjà confronté à des températures extrêmes, chaque dixième de degré supplémentaire signifie une aggravation de la sécheresse, une raréfaction des ressources en eau et une pression accrue sur les terres cultivables.
Les mois d’avril et mai, traditionnellement chauds, sont désormais marqués par des pics de chaleur record. À Kayes, ville connue comme l’une des plus chaudes d’Afrique de l’Ouest, des températures dépassant les 47 °C ont été enregistrées en 2024, selon l’Agence malienne de météorologie. À Bamako, la capitale, le thermomètre grimpe désormais régulièrement au-dessus de 42 °C en début de saison sèche, mettant à rude épreuve les populations urbaines, souvent sans accès à une climatisation fiable.
Des saisons de plus en plus imprévisibles
Traditionnellement, le Mali connaît deux grandes saisons : une saison sèche de novembre à mai, et une saison des pluies de juin à octobre. Mais depuis quelques années, ce schéma s’effrite. Les pluies arrivent parfois tardivement ou cessent prématurément, rendant la planification agricole extrêmement difficile.
En 2023, la saison des pluies a débuté avec un mois de retard dans plusieurs régions, compromettant les semis et les récoltes de cultures vivrières comme le mil, le sorgho et le maïs. Dans d’autres localités, des pluies intenses et brèves provoquent des inondations destructrices, suivies de longues périodes de sécheresse. Selon le Ministère malien de l’Environnement, de l’Assainissement et du Développement Durable, ces anomalies climatiques ont affecté plus de 2,3 millions de personnes entre 2021 et 2024.
Impacts sociaux et économiques
Le secteur agricole, qui emploie plus de 70 % de la population, est le premier touché. L’irrégularité des saisons et l’augmentation des températures réduisent les rendements agricoles, accroissent l’insécurité alimentaire et provoquent des déplacements de populations rurales vers les villes.
Par ailleurs, la raréfaction des ressources naturelles, notamment l’eau et les pâturages, intensifie les conflits communautaires, notamment entre agriculteurs et éleveurs. Ces tensions s’ajoutent à un contexte sécuritaire déjà fragilisé par les violences armées.
En milieu urbain, la chaleur extrême augmente les risques sanitaires. Selon un rapport de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), les cas de maladies hydriques, d’insolations, de déshydratation et de maladies respiratoires ont connu une hausse de 18 % à Bamako entre 2020 et 2023.
Face au défi : entre adaptation et résilience
Conscient de l’urgence, le gouvernement malien a adopté plusieurs initiatives, notamment la Contribution Déterminée au niveau National (CDN) dans le cadre de l’Accord de Paris. Le Mali s’est engagé à réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 31 % d’ici 2030, principalement à travers des actions d’adaptation dans les secteurs de l’agriculture, de l’eau, de l’énergie et de la foresterie.
Des projets communautaires de reboisement, tels que ceux soutenus par l’Agence Nationale de la Grande Muraille Verte, visent à restaurer les terres dégradées et à freiner la désertification. Toutefois, le financement international reste insuffisant pour couvrir l’ensemble des besoins. Selon la Banque mondiale, le Mali aurait besoin de plus de 1,6 milliard de dollars d’investissements climatiques sur les 10 prochaines années pour espérer une résilience significative.
Une faible conscience écologique dans la société malienne
Malgré l’urgence climatique, la conscience collective autour de la protection de l’environnement reste relativement faible au Mali. Dans de nombreuses régions, la déforestation pour le bois de chauffe le bois d’exportation vers la Chine, la mauvaise gestion des déchets, et la surexploitation des ressources naturelles continuent sans réelle prise de conscience des impacts à long terme. L’environnement est souvent perçu comme une ressource inépuisable, et les préoccupations écologiques passent au second plan face aux défis immédiats de pauvreté, de sécurité alimentaire et d’instabilité politique. Cette situation complique la mise en œuvre des politiques climatiques nationales, car sans un changement profond des mentalités et des comportements, les efforts institutionnels risquent de produire peu d’effets durables.
Le climat malien est en pleine mutation. Plus que jamais, la résilience du pays dépendra de la capacité collective, institutions publiques, organisations de la société civile, citoyens, à agir de manière concertée et urgente pour s’adapter à ce nouveau visage du Sahel.
Ahmed M. Thiam