Fidèle à sa doctrine “ne parler qu’en connaissance de causes et lorsque cela est utile”, Dr .Hamed Sow s’exprime peu. Ses interventions font souvent le buzz dans votre hebdomadaire. Nous sommes sûrs que celle-ci ne dérogera pas à la règle. Dr. Hamed Sow fait partie des rares leaders qui font l’unanimité au Mali sur leur compétence. Nanti d’un diplôme de l’Institut national des sciences et techniques nucléaires (INSTN) de Saclay (France) et d’un doctorat en économie de la production de la célèbre Université de Paris IX – Dauphine, Dr. Hamed Sow a connu une riche carrière professionnelle. D’abord au niveau international pour avoir fait ses débuts dans de grands cabinets de conseil en France. Ensuite, il fut expert détaché auprès de la Commission européenne à Bruxelles et assistant technique principal du “Projet énergie II” de la Banque mondiale au Niger. Il finira sa carrière internationale comme directeur général du CDE à Bruxelles, une institution commune du Groupe des 77 pays ACP et des 25 membres de l’UE. Principal auteur du PDES, le projet de société du président ATT à l’élection présidentielle de 2007, il rentra par la suite au Mali où il fut nommé ministre des Mines, de l’Energie et de l’Eau. A sa sortie du gouvernement, il devint aussitôt PDG du Groupe Arma/Amic-Invest, une société d’intermédiation financière, basée à Dubaï. En mai 2011, le Dr. Hamed Sow fut nommé conseiller spécial du président de la République du Mali, en charge des infrastructures, des équipements et de l’investissement et cela jusqu’en mai 2013, date à laquelle, il lança son mouvement politique, le Rassemblement travailliste pour le développement (RTD). Aujourd’hui, l’économiste malien est vice-président d’un groupe leader dans les solutions digitales, avec lequel sa FinTech à Lomé a fusionné.
Aujourd’hui-Mali : Monsieur le ministre, c’est toujours un plaisir renouvelé de vous avoir pour faire un tour d’horizon de la situation et des perspectives de notre pays. Votre dernière intervention dans nos colonnes, intitulée “L’étoffe des héros “, tribune dans laquelle vous rendiez hommage à quatre grands leaders disparus (Tiéoulé Mamadou Konaté, Mandé Sidibé, Amadou Toumani Touré et Soumaïla Cissé) de la vie publique du Mali, date de janvier dernier. Six mois après, quelle est votre lecture de l’évolution récente et la situation présente de notre pays.
Dr. Hamed Sow : Cher Haïdara, permettez-moi d’abord de vous retourner la gentillesse en vous disant que c’est aussi et toujours un plaisir pour moi de m’exprimer dans les colonnes de votre hebdomadaire, qui est une des meilleures publications de notre pays.
Pour répondre à votre question, est-il besoin de vous dire que le Mali va mal. Est-il besoin de vous énumérer toutes les misères de nos populations. Elles sont connues par tous ceux qui s’intéressent un tant soit peu au vécu des gens. Je pourrais résumer ma réponse en vous disant que presque tout va mal dans tous les domaines : sécuritaire, socioéconomique et environnemental.
Mais encore, Monsieur le ministre. C’est le point majeur de préoccupations de nos lecteurs, et même de l’ensemble des Maliens.
Si vous y tenez, je vous répondrais alors que la grande majorité des 21 millions de Maliens voit ses conditions de vie se détériorer de jour en jour. La paupérisation est galopante de Kayes à Kidal, disons sur l’ensemble de l’étendue du territoire. Tous les indices de développement humain stagnent, voire reculent, depuis 2012. Ainsi le taux d’alphabétisation oscille autour de 30 %, ce qui revient à dire que plus de trois Maliens sur quatre ne savent ni lire, ni écrire.
Selon le dernier rapport de l’OMS sur la situation du Mali : “les principaux indicateurs de santé demeurent préoccupants et la crise nutritionnelle s’aggrave”. Les prix des produits de nécessité (viande, poisson, céréales, huile, sucre…) flambent à Bamako et un peu partout dans le pays – et ne sont plus à la portée de la majorité des ménages à bas revenus. Bamako, où croupissent plus de 5 millions d’habitants, devient de plus en plus une ville dépotoir, en l’absence de tout service sérieux de voirie et en l’absence d’infrastructures adéquates. L’énergie électrique, bien touchant moins de 20 % de la population, est chère et fait l’objet souvent de délestages.
En l’absence de données vérifiables, il est couramment admis que plus de 60 % du territoire national échappe au contrôle de l’Etat. La CMA semble définitivement avoir sa mainmise sur Kidal et ses zones environnantes. Gao et Tombouctou et autres grandes localités du Septentrion sont plus ou moins laissés à eux, la plupart des services de l’Etat étant “délocalisés” à Bamako. Le Nord du Mali est devenu presqu’une zone de non droit où sévit toutes sortes de trafics : drogue, armes, carburant et même d’êtres humains. Cette économie criminelle est souvent contrôlée par certaines notabilités, selon un rapport des Nations unies.
Le Centre est devenu une poudrière incontrôlée. Après Farabougou, c’est maintenant Dinangourou qui est sous blocus par les jihadistes. Six pauvres jeunes y ont récemment perdu la vie pour avoir chercher à se procurer un peu de carburant pour leurs parents. Au-delà de ces constats factuels, c’est l’avenir même du pays qui est compromis dans les zones de conflits. Ainsi, avant la pandémie de la Covid, plus de 1200 écoles étaient fermées, à la suite d’une soixantaine d’attaques attribuées aux terroristes. Plus de 150 000 enfants maliens ne fréquentent plus les classes, principalement dans la région de Mopti, selon les Nations unies. La même source indique que le conflit a généré plus de 300 000 déplacés, dont plus de la moitié est constituée d’enfants. Les statistiques varient sur les morts, qui seraient de plus de 14 000 depuis le début du conflit et constitués majoritairement de civils. Le nombre des victimes a augmenté ces trois dernières années à cause des attaques intercommunautaires.
Voilà résumé les sombres réalités de notre pays.
Et il n’y aucune lueur d’espoir ?
Si, il y a toujours de l’espoir. D’abord, les FAMa se sont aguerries. Elles tiennent non seulement tête à l’ennemi, mais elles prennent aussi des initiatives d’offensive sur le terrain. Les résultats sont encourageants pour elles. En outre, nos Forces de défense et de sécurité savent qu’elles sont engagées dans une longue guerre d’usure. Leur mental est une des clés du succès de la guerre contre les jihadistes. En outre, la haute hiérarchie militaire fait tout son possible pour entraîner et équiper ses troupes. C’est salutaire. Ensuite, s’agissant des conflits intercommunautaires du Centre, certaines initiatives locales, avec l’implication des chefs coutumiers et religieux, ont donné quelques résultats encourageants. Je reste convaincu que des populations, qui ont vécu pendant des décennies en paix et dans la concorde, sauront se retrouvées de nouveau.
L’application de l’Accord d’Alger pourrait-elle ramené la paix dans notre pays ?
L’Accord pour la paix et la réconciliation issu du Processus d’Alger, signé en mai 2015 par le gouvernement du Mali et les membres de la Plateforme (Gatia et MAA) d’une part et la CMA en juin 2015 d’autre part, concerne uniquement l’Etat du Mali et les mouvements de la rébellion armée. Les troupes jihadistes (Aqmi, Mujao, Ansardine…) ne sont pas concernées
L’Accord repose principalement sur les principes suivants : réaffirmation de l’intégrité territoriale du Mali, décentralisation (trop poussée à l’ensemble des régions du Mali), meilleure représentation des populations du Nord dans toutes les instances nationales, rattrapage économique pour les régions au Nord du Mali, désarmement, réinsertion des anciens combattants (DDR).
L’Accord a fait fi des origines des quatre rebellions que le Mali a connues depuis son indépendance, à savoir le fait de l’irrédentisme d’une minorité touareg (les Ifoghas) et arabe face aux principes républicains de l’Etat, qui reposent sur la “démocratie majoritaire”. De ce fait, les Imghads (beaucoup plus nombreux) sont plus représentatifs dans la République. Ces derniers ont toujours été proches de l’autorité centrale à Bamako. Cette réalité entre ancienne chefferie et leurs “sujets” devenus indépendants et “dominants” à cause de la République fait dire par bon nombre de spécialistes que les problèmes du Septentrion malien sont avant tout d’ordre intercommunautaire, avant d’être un conflit avec le Sud.
L’Accord est asymétrique en ce sens qu’il fait la part belle à la minorité séparatiste au détriment de la grande majorité touareg et de l’Etat malien. L’application de l’Accord d’Alger (en l’état) se traduira par un fédéralisme qui ne dit pas son nom et par une certaine ethnicisation de l’Armée malienne recomposée. Les régions disposeront d’un chef de l’exécutif élu au suffrage direct (comme le président de la République du Mali), d’un Parlement régional, de son propre budget et de ses forces de sécurité. Le fédéralisme n’est pas applicable à un Etat central, qui est faible.
La communauté internationale fait beaucoup de pressions sur les gouvernements maliens pour la mise en œuvre de l’Accord. J’ai bien peur, que sans une relecture et l’adaptation de l’Accord, son application, qui doit passer par le vote référendaire (des populations du Nord et du Sud), ne soit pas possible.
Le président Emmanuel Macron a annoncé la fin progressive de l’opération Barkhane et son remplacement par une nouvelle opération multinationale. Quelle est votre opinion sur ce changement ?
C’est la décision du président de la France. Pour le moment, les troupes au sol ne mèneront plus d’opérations conjointes avec les FAMa et leur nombre sera réduit progressivement, de moitié d’ici 2 ans. La nouvelle coalition internationale semble s’orienter vers une guerre plus ciblée, dite chirurgicale, avec des drones et l’aviation classique. Nous verrons bien. L’enseignement a tiré est simple : nous devrions compter d’abord sur nous-mêmes. C’est notre armée qui finira par gagner cette guerre, comme elle l’a fait à trois reprises dans le temps, sans aucun appui. Cela prendra beaucoup de temps et nécessitera d’énormes sacrifices.
Pensez-vous que la Russie interviendra au Mali ?
Le Mali, en tant qu’Etat souverain, a le droit de demander l’aide de tout pays (qui n’est pas sous sanction des Nations unies) dans sa guerre contre le terrorisme. Si la puissante Russie veut bien venir nous aider, elle serait la bienvenue, tout comme la Chine et biens d’autres. Ceci étant, je ne vois pas, côté Kremlin, pour l’instant, de raison objective d’une intervention importante au Mali.
Faut-il négocier avec les jihadistes ?
Je ne vois pas comment une guerre peut prendre fin sans négociation. Simplement on ne le dit pas sur la place publique. La France nie toujours qu’elle ne débourse pas un centime pour la libération de ses otages. Tous ceux qui connaissent les dossiers savent que c’est faux. IBK et Moctar Ouane auraient dû éviter de parler de négociations. En outre, l’Etat aurait dû chercher des relais comme le Haut conseil islamique ou l’iman Dicko, d’autant plus que les questions religieuses sont très importantes dans ce conflit.
Monsieur le ministre, si vous le voulez bien, revenons sur les sujets de politique interne. Quelle est votre analyse des changements intervenus à la tête de la Transition ?
Dès le départ, j’avais dit à certains hauts responsables de la Cédéao que l’attelage d’un exécutif à trois têtes ne tiendrait pas. Les trois sommets d’un triangle ne s’alignent jamais, à moins d’être une ligne droite. Dans un trio, il y a toujours un qui est mis de côté. Dans notre cas d’espèce, c’est le vice-président, qui était “marginalisé” par le tandem Président/Premier ministre de la Transition. L’illustration sera la formation du gouvernement II de la Transition, marquée par le départ de deux acteurs majeurs du coup d’Etat du 18 août 2020. Deux officiers supérieurs appartenant de surcroit à la garde républicaine, un corps qui n’a toujours pas eu des rapports faciles avec celui des bérets verts d’Assimi Goïta. Sans doute que le départ de Sadio Camara et de Modibo Koné du gouvernement aurait créé des remous dans une armée, déjà en guerre. De ces faits, le coup de force du 24 mai est compréhensible. Aujourd’hui, nous nous retrouvons avec un exécutif classique ayant un président de la Transition et un Premier ministre, Choguel Maïga, de surcroit issu des rangs du M5/RFP, véritable acteur de la chute de l’ancien régime d’IBK.
Justement que pensez-vous du nouveau gouvernement de Choguel Maïga ?
Sincèrement, je m’attendais à beaucoup mieux que ça. Dans ce pays, il faut absolument que nous arrêtions de placer dans des postes de responsabilités des parents et des amis. Dans tous les pays du monde qui progressent, et cela sans exception, ils ont trouvé des cadres compétents, engagés et honnêtes, leur ont confié des postes de responsabilités et ont créé les conditions pour qu’ils puissent donner le meilleur d’eux-mêmes.
Au Rwanda, au Ghana tout prêt, à l’île Maurice, au Botswana… c’est le principe de la “culture du résultat” qui explique leurs succès. Nelson Mandela disait : “L’homme politique s’entoure d’hommes acquis à sa cause, ceux qui lui sont loyaux. Il sait que ceux-ci feront ce qu’il désire. Sa politique consiste à préserver son pouvoir. L’homme d’Etat ira chercher partout les femmes et les hommes compétents, quelle que soit leur appartenance, pourvu qu’ils partagent sa vision, afin de constituer une équipe avec eux pour développer le pays. Sa politique vise à servir le peuple qui lui a confié son pouvoir pour un temps donné”. Il très rare d’avoir un homme providentiel, mais des hommes de bonne foi peuvent constituer des équipes gagnantes.
Pour revenir au gouvernement rentrant de Choguel, attendons de voir ce qu’ils feront dans les prochains mois. Nous pourrions alors aviser.
Pensez-vous que ce gouvernement pourrait mener les réformes institutionnelles et tenir les élections dans les délais ?
Nous verrons la feuille de route du gouvernement lors de sa déclaration de politique générale devant le CNT. Cependant, je pense, sans grand risque de me tromper, que les attentes des populations avisées portent sur les actions prioritaires suivantes : (i) les actions judiciaires sur les tueries et les détournements massifs de biens publics, (ii) la réforme du code électoral, avec la création de l’Organe unique de gestion des élections, (iii) le nettoyage du fichier électoral et (iv) l’organisation de l’élection présidentielle, transparente et crédible.
Pour réaliser proprement ces tâches, s’il y a lieu d’ajouter trois à quatre mois à la durée de la Transition, je dirais : pourquoi pas. Il vaut mieux se donner un peu de temps pour organiser des élections acceptables. Si le gouvernement travaille bien, les chefs d’Etat de la Cédéao et par ricochet ceux de l’Union africaine, de l’Union européenne et des Nations unies, pourraient accepter ce petit délai supplémentaire sur la durée de la Transition.
Il est question d’amnistier les membres de la junte. Qu’en pensez-vous ?
Il est important de savoir qui serait visé par cette amnistie ? Personnellement, je pense que les membres de l’ex-CNSP méritent d’être amnistiés. Pour comprendre, revenons aux mois de juillet et août 2020. Le régime est acculé dans ses derniers retranchements. Sa réponse est l’usage de la force brutale, dont le point culminant est la tuerie du 11 juillet (une vingtaine selon certaines sources, 11 selon le gouvernement) et une centaine de blessés. Alors que tout le monde s’attend au départ du Premier ministre, Dr. Boubou Cissé, ce dernier est reconduit et forme un gouvernement restreint de six membres, le 27 juillet 2020.
Dès lors, aucun dialogue n’est plus possible avec le M5/RFP. L’heure est à la radicalisation du côté du régime. De l’autre côté, les Maliens sont plus que jamais décidés à en finir avec le régime prédateur d’IBK. Toutes les conditions étaient réunies pour une déflagration. Un bain de sang était fort probable. C’est dans ce contexte de tension extrême qu’intervint le coup d’Etat du 18 août. Ce fut une action salvatrice et populaire, comme en témoignent ces images de liasse populaire un petit partout au Mali, de symbiose entre militaires et civils, ces derniers montés sur les chars et les véhicules des hommes d’Assimi Goïta. Le coup d’Etat n’a pas versé une goutte de sang.
J’ajoute que depuis le coup d’Etat, nous entendons (pour le moment) de moins en moins de scandales financiers, qui étaient devenus le lot quotidien du régime défunt.
Les tenants de l’orthodoxie constitutionnelle m’en voudront certainement de soutenir l’amnistie des auteurs du coup d’Etat. En effet, l’article 121 de la Constitution de 1992 dispose que : “Tout coup d’état ou putsch est un crime imprescriptible contre le peuple malien”. Cependant, nos constitutionalistes purs et durs devraient savoir que le Mali vit dans l’inconstitutionnalité depuis le 11 juillet 2020. Je ne suis pas juriste et encore moins un constitutionaliste, mais je sais m’entourer des meilleurs experts. Voilà ce qu’un d’entre eux m’explique :
“L’article 91 de la Constitution accorde un mandat de 7 ans aux membres de la haute juridiction constitutionnelle. Pour l’exercice de ce mandat, les membres de la Cour constitutionnelle bénéficient d’une immunité de fonction. En outre, ils sont protégés contre toute atteinte à leur fonction et il ne peut légalement être mis fin à leur mandat que par voie de démission.
Autrement dit en dehors de la démission, il n’existe en République du Mali aucune disposition, ni constitutionnelle, ni législative ou réglementaire qui permette la fin anticipée du mandat confiée à un membre de la Cour constitutionnelle. Pourtant, et en dépit de ce constat, le président IBK, sur les conseils des équipes du Premier ministre de l’époque, a signé le décret n°2020-0312 du 11 juillet 2020 pour mettre fin par anticipation au mandat de trois membres restant de la Cour constitutionnelle (Mme Manassa Danioko, M. Baya Berthé et M. Bamassa Sissoko).
L’inconstitutionnalité et l’illégalité de cette mesure étaient flagrantes et ces circonstances ont créé un précédent inédit en matière constitutionnelle. Désormais, le juge constitutionnel qui est en charge de contrôler l’élection présidentielle peut voir son mandat s’écourter à tout mandat en raison de la seule volonté du président de la République. A l’issue de ce montage juridico-politique, le directeur de cabinet du Premier ministre s’est retrouvé propulsé à la fonction de président de la Cour constitutionnelle nouvellement composée.
Nous sommes déjà dans l’inconstitutionnalité, confortée par d’autres actions de la Cour constitutionnelle. Buvons le calice jusqu’à la lie. Laissons donc la Constitution de côté et basons-nous sur la Chartre de la Constitution pour amnistier par le CNT tous les auteurs du coup d’Etat salvateur du 18 août 2020. Mais rien que les auteurs du coup d’Etat. Il ne devrait avoir aucune amnistie pour les auteurs des tueries de Sikasso, Bamako, Kayes lors des événements de mars à août 2020. Et encore moins pour les prédateurs du denier public, implicitement responsables des centaines de femmes qui meurent durant les accouchements sans assistance, des milliers d’enfants qui meurent à cause du paludisme, de tous ces centaines de milliers de Maliens qui attrapent toute sorte de maladies à cause de l’eau impropre à la consommation, de ces milliers de jeunes qui vont mourir dans le désert ou dans la Méditerranée.
Ces fossoyeurs ont détourné les milliards de notre armée, mettant en danger de mort nos soldats face à des ennemis surarmés. Avion présidentiel, avions cloués au sol, chars en cartons, les 1200 milliards de FCFA de l’armée détournés en grande partie… et j’en passe, sont des crimes sans la réparation desquels, il n’y aura jamais de refondation du Mali. Tant que l’impunité sera la norme, le Mali continuera à s’enfoncer dans les tréfonds de l’abîme. Je vous renvoie au tableau apocalyptique de la situation de notre pays, dépeint au début de cette interview. Tous ces malheurs sont dus à la mauvaise gouvernance.
Une dernière question Monsieur le ministre : en même temps que votre parti, le RTD fusionnait avec l’URD, nous avons appris l’arrivée de l’ancien Premier ministre d’IBK, Dr. Boubou Cissé dans la formation de feu Soumaïla Cissé. Quelle est votre opinion sur cette adhésion ?
Il y a peut-être un hasard de calendrier, mais les adhésions n’ont aucune causalité.
Pour ma part, l’idée d’une fusion en cours entre ma formation politique le RTD et l’URD fait suite à un long entretien que j’ai eu avec le regretté président Soumaïla Cissé (qu’il repose en paix) en octobre 2020, à Dakar après sa libération. Soumaïla m’a fait savoir qu’au cours de son long enlèvement, il avait eu le temps de bien réfléchir sur la situation de notre pays et sur des pistes de solutions qu’il voudrait partager avec certains amis et camarades. Entre autres, il avait trouvé que l’émiettement (avec plus de 200 partis politiques au Mali) engendrait la politique alimentaire et contribuait à jeter le discrédit sur la classe politique.
Selon lui, il était impératif de favoriser les regroupements politiques autour de 5 à 6 grandes formations politiques. Pour sa part, il avait l’intention de démarcher un certain nombre de leaders afin qu’ils rejoignent l’URD. A cet effet, il me dit que du fait de notre proximité il serait bon que “j’ouvre le bal”. Nous avions prévu de lancer l’opération en avril 2021, après sa tournée de remerciements aux chefs d’Etat, quelques jours de vacances avec sa famille et de larges concertations avec les leaders politiques, de la société civile et du secteur privé. Dieu en a décidé autrement en appelant Soumaïla à Lui cet inoubliable 25 décembre 2020. Puisse le Tout-Puissant l’accueillir parmi les siens. Amine.
Lors de mon voyage à Bamako en janvier 2021 pour présenter mes condoléances à ma sœur Astan, Bocar et autres membres de la famille, j’ai rencontré en marge quelques responsables de l’URD, dont certains étaient au courant de mes entretiens avec Soumaïla sur la fusion de nos formations politiques. Je les ai assurés que je tiendrais les engagements tenus auprès de mon défunt ami.
C’est donc, avant tout, la volonté de contribuer à l’achèvement de l’œuvre d’un grand ami que j’ai cherché à venir à l’URD. D’emblée, j’ai annoncé aux membres du BEN de l’URD que j’ai rencontrés et sur les médias publics que je ne venais pas pour être candidat de l’URD à l’élection présidentielle. En 2018, j’ai sursis ma candidature pour soutenir Soumi Champion dès le 1er tour. Je suis fier du soutien que j’ai eu à lui apporter lors de cette élection présidentielle qu’il avait remportée. Si Soumaïla était là, je ne serais pas candidat en 2022 et allait me battre à côté de lui pour l’aboutissement de sa carrière politique. Le décès de Soumaïla est bouleversant, car c’est la rupture brutale d’un destin inachevé. C’est en cela, que nous, amis réels, devront œuvrer pour faire germer les plantes dans les sillons qu’il a tracés. C’est le sens de mon engagement avec l’URD.
Cela n’a rien à avoir avec Dr. Boubou Cissé. Je n’ai rien contre la personne que je trouve posée et réfléchie. Mais ma conviction est qu’il ne serait jamais venu à l’URD si Soumaïla était vivant. Ce qui pose pour moi un premier problème d’éthique.
Un autre aspect éthique tient à la reconnaissance pour l’ami de son père qu’est IBK. Boubou doit tout à IBK sur le plan politique. En cela, il lui doit une dette de reconnaissance. Par ailleurs, lorsque les manifestations ont commencé en mars 2020, IBK n’était pas visé en premier lieu : c’était le gouvernement. La crise s’aggravant, Boubou aurait dû forcer sa démission auprès d’IBK. Ce qui aurait permis de lancer les bases d’un dialogue entre le M5 et IBK, avec l’appui de l’iman Dicko.
Sa reconduction au poste de PM a engendré une radicalisation du M5, qui a commencé à exiger le départ d’IBK même. De ce fait, Boubou a un devoir de réparation à son mentor. Pour payer cette double dette de reconnaissance et de réparation, Boubou aurait dû aller plutôt au RPM. Il aurait dû aller travailler avec le Dr. Bocar Treta pour faire du RPM un grand parti politique, comme au temps de la splendeur d’IBK. A défaut, il aurait dû créer sa propre formation politique, dont il aurait donné le parrainage à IBK. C’est cela le horogna (la grandeur). Soumaïla n’étant plus là, Boubou est-il venu renforcer simplement l’URD ? Il a en le droit. Mais, je suis sûr que c’est loin de cela. Je suis convaincu que Boubou Cissé est venu à l’URD pour chercher en être son candidat à la prochaine élection présidentielle. Cela pose un double problème politique.
Le 1er problème qui se pose tient au fait que l’URD, en tant que membre du FSD, partie prenante du M5/RFP, a combattu farouchement le régime d’IBK et de Boubou Cissé. S’il n’avait pas été enlevé, c’est Soumaïla Cissé qui aurait continué à diriger le FSD et probablement le M5/RFP. On se souvient que Soumaïla avait refusé de rejoindre le projet d’ouverture politique du PM Boubou Cisse, ainsi qu’un poste de Représentant spécial du chef de l’Etat (3e personnalité dans l’ordre protocolaire).
Alors comment l’URD peut combattre le régime de Boubou Cissé, le chasser du pouvoir et à peine un an après accepter que celui-ci soit le candidat du parti ? Il y a là une posture qui choque la morale. Et seul le gain de l’argent pourrait expliquer une telle attitude discréditant de certain. L’URD n’est pas une boutique à acheter. Si tel devait être le cas, alors Soumaïla avait tout faux : lui qui était tellement fier de son parti et qui n’arrêtait de me dire qu’il y a des gens qui sont avec lui depuis 2003 – pas seulement les cadres, mais aussi des militants de base. Non, j’ai l’espoir que les gardiens du temple de l’URD, ceux qui respectent la mémoire de Soumaïla veilleront à stopper net ce non-sens politique.
Sur le plan politique, un Boubou Cissé, très impopulaire encore auprès de beaucoup de Maliens (les plaies ne se sont pas encore renfermées), a toutes les chances de perdre la prochaine présidentielle. L’argent et les réseaux ne peuvent pas tout faire. Je pense que Boubou et ses riches soutiens n’ont plus de prise avec les réalités du peuple. S’ils voyaient toutes les réactions que je reçois suite à mes quelques sorties médiatiques, ils comprendraient que les Maliens ne souhaitent pas du tout voir Boubou Président.
Peuvent-ils compter sur le tripatouillage des élections comme en 2018 pour gagner en 2022 ? L’achat des votes et le bourrage des urnes seront très difficiles en 2022. Et puis, Boubou et les tiens ne sont pas les seuls à avoir de l’argent. Il y a au moins trois autres candidats milliardaires, qui pourraient recourir aux mêmes méthodes.
Et pourquoi Boubou est si pressé ? Dans tous les pays du monde, lorsque l’on perd le pouvoir, on se fait oublier quelques années ? J’avais échangé avec un des oncles de Boubou, Amadou Baouro Cissé, au hasard d’un vol Dakar-Bamako. Je lui avais conseillé de dire à Boubou d’attendre et de se faire oublier quelques temps, d’autant plus qu’il est jeune. Pourquoi, il ne peut pas attendre ? Serait-ce par peur d’être interpellé par la justice sur sa gestion de multiples dossiers ? Veut-il être député de Djenné pour pouvoir bénéficier de l’immunité parlementaire ? Veut-il être candidat de l’URD pour donner un caractère politique à toute éventuelle poursuite qui serait déclenchée contre lui ? La précipitation est souvent due à la panique, elle-même causant l’échec. Puisse l’URD éviter d’être entraîner dans cette aventure incertaine.
Et d’une façon générale, puisse le Bon Dieu permettre à ce pays d’avoir des bâtisseurs en 2022. Amine.
Propos recueillis par El Hadj A. B. HAIDARA
Source: Aujourd’hui Mali