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[Analyse] Réunion sur la Libye: la feuille de route du 29 mai est-elle réaliste?

Cette conférence élargie du 29 mai à Paris a réuni pour la première fois quatre hauts responsables libyens, dont certains sont très antagonistes. Tous ont engagé leur responsabilité pour l’application de la déclaration commune à l’issue de la conférence – sans pour autant la signer. Cette déclaration ouvre la voix à l’organistation des élections le 10 décembre 2018 en Libye. Cependant, nombre d’obstacles risquent d’entraver la route à cet accord.

Le président français Emmanuel Macron a pesé de tout son poids pour la tenue de cette réunion mardi 29 mai à Paris. Elle s’est déroulée en présence des quatre principaux responsables libyens et avec la participation de vingt pays, dont quatre chefs d’Etat africains, ainsi que quatre organisations internationales.

Il y a dix mois, le président français avait déjà réuni à Paris le Premier ministre Fayez al-Sarraj et l’homme fort de l’est libyen, Khalifa Haftar. En élargissant le cercle de discussions, Emmanuel Macron relance son initiative afin de trouver une solution à la crise libyenne. C’est une étape-clé pour la réconciliation estime la France.

Opération diplomatique pour un acccord non paraphé

C’est une initiative audacieuse mais risquée, ont estimé certains observateurs. Pour sa part, l’Elysée la décrit comme historique. Emmanuel Macron est parvenu à réunir des personnalités antagonistes, non seulement au niveau libyen ou arabe, mais aussi au niveau international. « C’est une grande opération diplomatique pour le président Macron, mais c’est aussi une relégitimation pour trois acteurs libyens dont aucun aujourd’hui n’a une légitimité quelconque aux yeux des Lybiens, rappelle Hasni Abidi, directeur du Centre d’études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen à Genève. Ils sont perçus comme responsables du blocage et de la situation actuelle. »

A l’issue de la réunion, l’accord est accepté mais pas signé, comme espéré :  aucun des acteurs de la réunion d’hier n’a souhaité parapher l’accord. Officiellement, ils souhaitent d’abord le soumettre à ceux qu’ils représentent en Libye. Certains y voient aussi le signe d’un profond manque de confiance. Pour Emmanuel Macron, il s’agit juste de bon sens pragmatique. « Vous avez là des présidents d’institutions qui ne se reconnaissent pas mutuellement. Donc nous avons trouvé cette formule qui consiste, plutôt que de s’entêter à chercher une déclaration insignable par des gens qui ne se reconnaissent pas, à les faire d’abord se rencontrer et avoir une approbation formelle qui les engage. Ils se sont tous engagés à oeuvrer selon ce calendrier », assure le chef de l’Etat français.

→ RELIRE: Libye: un accord pour des élections le 10 décembre 2018

« Ils ne signent pas d’accord parce qu’il n’y a pas d’accord, nuance Jean-Yves Moisseron, directeur à l’Institut de recherche et développement (IRD) et rédacteur en chef de la revue Maghreb/Machrek, Donc ils ne veulent pas mettre leur signature au bas d’un document qui risquerait de les affaiblir au niveau interne. Ils ont tous conscience que la feuille de route mise en place sera difficile à tenir, donc ils ne veulent pas s’engager. »

Toutefois, reprend-t-il, cette réunion marque « un début. Ce n’était pas une réunion pour rien. Elle est utile du point de vue de la construction d’une vision commune par la communauté internationale. Mais je ne suis pas sûr que l’ensemble des pays étaient représentés au plus haut niveau. Et ce qui se décidera en Libye tient d’abord aux logiques internes ».

Ingérences étrangères régionales

En outre, des pays comme l’Italie, la Grande-Bretagne ou les Etats-Unis, qui bénéficient d’une grande influence en Libye et qui étaient présents à la réunion, ont montré leur réticence à l’initiative française.

En effet, la division règne sur place. Des milices soutenues par des forces politiques régionales, fragmentées, s’opposent les unes aux autres, avec une grande césure entre l’est et l’ouest. Les puissances de la région et du Golfe se livrent à des guerres par procuration dans ce pays qui souffre de trop d’ingérences.

Ainsi, des pays comme l’Arabie saoudite, les Emirats et l’Egypte qui soutiennent le maréchal Khalifa Haftar ne semblent pas prêts à renoncer à leur soutien. Et d’autres pays, comme le Qatar et la Turquie qui soutiennent des milices islamistes continueront aussi de le faire après ce 29 mai. Indépendamment l’un de l’autre, chaque axe propose et offre en Libye argent, armes, ainsi que soutien politique et diplomatique.

La méfiance des milices libyennes

Or, la myriade de milices qui opère sur le terrain libyen n’était à Paris et donc non associée à l’accord. Pas plus que les kadhafistes, inscrits en grand nombre sur les listes électorales, ou encore les tribus.

A la veille de la conférence de l’Elysée, treize groupes armés de l’ouest libyen avaient diffusé un communiqué dénonçant la rencontre de Paris. Ces milices avaient appelé à un dialogue inter-libyen loin de toute ingérence extérieure.

Car pour ces parties, Paris n’est pas neutre, elle est considéré comme l’alliée d’une partie des Libyens. Nombre de Libyens pensent que Paris veut imposer le maréchal Khalifa Haftar comme président. Plusieurs observateurs libyens ont même exprimé leur inquiétude de voir les élections se transformer en une « couverture à une dictature militaire ».

« Tant qu’il n’y a pas d’accord politique au niveau interne, toute initiative sera vouée à l’échec, avance le spécialiste Jean-Yves Moisseron. Ces réunions, si elles peuvent être utiles, n’ont qu’un impact très limité. Là où la communauté internationale pourrait au fond inciter beaucoup plus fortement ces milices à se mettre d’accord, ce serait par exemple en brandissant la menace de l’embargo sur le pétrole. »

Les douze travaux de Ghassan Salamé

Selon l’accord, les protagonistes doivent d’ici le 16 septembre, avoir pris des dispositions pour permettre la tenue de l’élection présidentielle de décembre prochain. En clair, il leur faut adopter une nouvelle Constitution. Ghassan Salamé, l’envoyé spécial de l’ONU pour la Libye, estime que le défi est colossal : « pendant cette réunion, beaucoup de gens pensaient à tout le travail qui a été fait ; moi je pensais surtout à tout le travail qui m’attend. C’est un travail immense, puisque d’ici précisément le 16 septembre nous devons décider de la base constitutionnelle sur laquelle les élections vont avoir lieu. »

« M. Sarraj a cité trois possibilités : ou un référendum sur le texte adopté le 29 juillet 2017, ou une révision de la déclaration constitutionnelle de 2011, ou alors l’extraction du projet constitutionnel des parties qui concernent l’élection et les compétences du président et de leur application immédiate en attendant l’adoption du référendum à plus long terme. Il faut trouver quelle est la solution qui recueille le plus de consensus. »

Depuis la chute de Mouammar Khadafi en 2011, trois textes constitutionnels ont été rédigés. Le dernier, celui de juillet 2017, n’a toujours pas été adopté.

Des élections d’ici sept mois ?

A la veille de cette réunion, l’International Crisis Group avait estimé que la conférence risquait d’être contre-productive en l’absence d’un consensus plus large incluant d’autres acteurs politiques et militaires libyens. Le groupe a considéré que tenir le calendrier des élections avant la fin de l’année est difficile à respecter, « les parties libyennes ne sont pas prêtes et cela pourrait susciter des tensions […] C’est même irréaliste techniquement parlant. »

L’objectif d’une élection au 10 décembre prochain « paraît extrêmement difficile à atteindre, aux yeux du directeur de l’IRD Jean-Yves Moisseron. Tout simplement parce que les conditions sociales et institutionnelles qui permettraient d’atteindre cet objectif ne sont pas réunies. Le pays est encore divisé, il n’y a pas d’accord politique sur des solutions, il n’y a pas de Constitution, et l’idée de commencer par une élection présidentielle pour enclencher le processus me paraît difficile dans le contexte libyen. »

D’autres observateurs voient en l’initiative française une précipitation qui rappelle le scénario des élections de 2012 qui ont conduit à plus de divisions dans le pays.
Ils considèrent que la Libye n’est pas encore prête pour des élections. « La réunion de Paris est loin de répondre aux conditions requises pour organiser des élections importantes et pour ramener la paix à une stabilité et à une réconciliation. Les acteurs libyens ne sont pas tous prêts pour rentrer dans une élection. La diplomatie internationale et la diplomatie du président Macron sont en panne parce qu’on recycle des recettes anciennes pour essayer de trouver une approche de solution à la crise libyenne », conclut le chercheur Hasni Abidi.

 

RFI

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