Sans doute la première figure féminine du rap malien, Amy D, comme on l’appelle est certainement peu connue des fans de la génération actuelle. Et cela parce qu’elle vit en France depuis près de 15 ans. Choriste adulée des stars de la musique malienne, elle est brillamment revenue au devant de la scène grâce au nouveau projet, «Nomades», de Flem, un rappeur français. Produit entre Bamako et Paris, cet opus réuni Amy D (interprète avec Flem) et Bouréima Farka Touré dit Vieux Farka (composition).
Essentiellement composé par le fils du monstre sacré du blues (Ali Farka Touré), Vieux Farka Touré (Bouréima de son vrai nom), «Nomades» séduit par ses chants mandingues, ses mélodies touaregs et ses textes engagés magistralement interprétés par Aminata Doumbia dite «Amy D» et le porteur du projet, Flem. Même si la sortie de l’album a été retardée par la pandémie de la Covid-19, des singles sont disponibles depuis le 18 septembre 2020 sur toutes les plateformes de streaming. «Nomades est une pépite à la croisée des musiques du monde, du Rap et du Slam», commente un critique français fasciné par ce projet atypique comme beaucoup de ses collègues.
Et c’est sans doute avec un immense bonheur que les fans d’Amy D retrouvent sa voie sensuelle sur ces chants. Si tous les titres de l’œuvre sont composés par Vieux Farka Touré, les chants sont écrits et interprétés par Amy Doumbia et Flem. Et ce bonheur, ses complices (Flem et Vieux Farka) sont les premiers à le ressentir. «Amy est une très talentueuse chanteuse. Elle a une très belle voix», reconnaît Vieux Farka Touré dans un reportage sur leur collaboration. «J’ajoute que Amy est une personne qui apporte la joie de vivre à son entourage. Je lui souhaite une longue vie», renchéri un fan.
Un talent précoce
Aminata Doumbia ! C’est son nom à l’état civil. Mais, la grande majorité de ses fans et des mélomanes ne la connaissent que comme Amy D ou «Amy Dsya» (en référence à son premier album). «J’ai commencé la musique dès le bas âge. Déjà à huit ans, je participais aux semaines puis aux biennales artistiques et culturelles. C’est ainsi que j’ai été repérée. Avec le Diplôme d’études fondamentales (DEF), je voulais aller à l’Institut national des arts (INA) pour étudier la musique», nous explique la très joviale Amy.
Et de poursuivre, «mon choix a été rejeté par mes parents. Finalement, j’ai fait deux ans au lycée. ça n’a pas marché. Je me suis inscrite à l’INA. Malheureusement, je n’ai pas pu non plus terminer parce que j’ai été repérée par Salif Kéita et les tournées se sont enchaînées». Talentueuse danseuse avec une belle voix bien maîtrisée pour se mettre au diapason de l’ambiance et épouser l’émotion des salles de concert, Aminata est toujours cette grande choriste que les stars de la musique malienne et d’autres cieux s’arrachent pour le studio ou pour les tournées.
Mais, avant que son destin ne croise le chemin du Rossignol du Mandé (Salif Kéita), Amy s’était déjà faite une place au soleil avec les pionniers du mouvement hip hop malien, avec notamment Lassy King Massasy (Lassina Coulibaly qui a été un moment son époux) ; les groupes Sofa, Les Escrocs ; Fanga Fing, King Da Dja… «à l’époque, j’étais la seule fille parmi tant d’hommes à faire le rap. Je faisais le chœur et j’ai accompagné de nombreux groupes de l’ancienne génération», se rappelle la rappeuse.
«J’ai commencé à faire le rap entre mes 16 et 17 ans. Ce qui n’était pas bien vu par la société. Ce n’est pas déjà évident pour les garçons car, à l’époque, un rappeur était assimilé à un délinquant… On n’était donc pas bien compris à l’époque. Mais, dans le milieu rappologique, j’étais bien acceptée et bien intégrée. Ce qui était encourageant», confesse la jeune artiste.
Et par la suite, elle a fait son propre album, «Sya» en 2005. Une œuvre qui a fait fureur sur les hits de l’époque avec notamment des titres comme «Sya» et «Tchongo». Une somptueuse autoproduction de 8 titres rehaussée par des featuring avec des stars telles que Lassy King Massassy, Cheick Tidiane Seck ou Kwal.
«Sya signifie l’ethnie, mais aussi la source et l’origine. à travers ma musique, je cherche à me retrouver, à retrouver mes racines. Dans la vie, il faut toujours savoir qui on est, d’où on vient… Comme dit l’adage : si tu ne sais pas où tu pars, regardes d’où tu viens ! On peut ainsi mieux vivre. C’est à cet exercice que j’exhorte mes fans, voire tous les Maliens. Aujourd’hui, nous avons beaucoup de difficultés parce nous négligeons nos valeurs sociales et culturelles…», nous avait-elle confié dans un entretien à bâton rompu accordé à la sortie de «Sya» en 2005.
Les préoccupations des femmes rurales
Dans ce coup d’essai devenu coup de maître dans le paysage du rap malien, Amy évoque les problèmes de société, chante l’amour dans «Sarama» et rend hommage à la femme, surtout aux femmes rurales qui, selon le talent engagé, «méritent une attention particulière de la part des décideurs et des partenaires au développement …».
Sur cette œuvre, la rappeuse de Djélibougou touche autant au hip hop, mais aussi à la chanson traditionnelle malienne. Son énergie et ses grooves imparables faisaient déjà d’elle une référence pour la nouvelle génération. C’est à peine si elle a eu le temps de faire la promo de cet opus avant d’être happée par les sollicitations. En 1998, elle avait été déjà repérée par Salif Keïta qu’elle accompagnera sur scène et avec lequel elle fera plusieurs fois le tour du monde.
«Comme choriste, j’ai enchaîné les tournées avec Salif Kéita jusqu’en 2006. J’ai ensuite été sollicitée par d’autres artistes comme Cheick Tidiane Seck, Oumou Sangaré, Rokia Traoré… J’ai aussi collaboré avec les artistes de la variété française comme Thomas Pitiot…», nous confie la choriste attitrée d’Amadou et Mariam depuis 2011. C’est en 2006 que la jeune Malienne s’est réellement installée en France. «Je n’ai pas quitté le Mali, c’est la France qui m’a appelé pour venir y travailler», nous raconte-t-elle avec son humour qui traduit aussi sa simplicité, sa grande humilité.
Pour le second opus, Amy ne se presse pas. «Je ne vous dirais pas si c’est pour demain ou après demain, mais c’est en cours», dit-elle.
Et elle promet en tout cas du lourd avec de nombreuses collaborations pour faire oublier à ses fans leur longue attente. «Le développement de carrière n’est pas du tout évident en France. Quand on n’est pas soutenu par une grosse boîte de production, c’est très compliqué. Mais, je rends grâce à Dieu car j’ai pu m’y faire une place», reconnaît Amy D.