Dans un entretien à bâtons rompus, nous avons échangé avec le président de l’ONG Collectif Cri de Cœur, Almahady Moustapha Cissé. Journaliste par passion et humanitaire par accident… et par devoir. Lors de cet entretien, il a abordé entre autres sujets, son parcours et surtout les raisons qui l’ont poussé à rentrer dans l’humanitaire. “Ce sont les cris de détresse des femmes, des personnes sans moyens en mars 2012 lors de l’occupation des régions du Nord en 2012 qui nous ont poussés à répondre à leur appel par un Cri de Cœur”…
Beaucoup de Maliens l’ont découvert au-devant de l’actualité en avril 2012 lorsqu’il arborait des tee-shirts rouges au niveau de différents carrefours de Bamako pour rappeler à l’opinion nationale et internationale la gravité de la situation et du drame qui couvaient dans les régions Nord du Mali sous occupation des mouvements terroristes et jihadistes.
Un appel du devoir Comment le journaliste s’est reconverti en humanitaire ?
Cissé s’est retrouvé dans ces domaines à cause de l’occupation de la ville de Gao par le MNLA le 31 mars 2012. Son parcours de correspondant de presse internationale et correspondant de guerre lui a permis de recevoir des messages disant que la situation était explosive et qu’il fallait agir. “C’était le chaos en ces temps et les gens fuyaient partout. Ceux qui ne pouvaient pas fuir, à savoir les personnes âgées, les malades et ceux qui n’avaient nulle part où aller, s’en remettaient à Dieu”… C’est ainsi que le nom “Collectif Cri de cœur” est venu a-t-il révélé.
Cet homme, dont le cœur est empli d’émotion, recevait des messages disant que les jihadistes ont saccagé l’hôpital, pillé les banques et que rien ne marchait. Le 31 mars 2012, à 18 h, il a reçu l’information qu’une femme mariée a été violée par les jihadistes devant son époux et sa belle-famille. C’est à ce moment-là qu’il a décidé d’agir. Ainsi, il a lancé un appel à tous les ressortissants de Gao pour se retrouver à la Bourse du travail. A l’époque, Alain Juppé, ministre des Affaires étrangère de la France, a fait une annonce étant à Dakar que les rebelles du MNLA ont obtenu des résultats dont il faut tenir compte.
La France souveraine, la France des droits de l’Homme et membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies qui cautionne le coup d’Etat contre d’ATT et cautionne aussi une prise d’arme par les groupes rebelles contre un Etat souverain ?
C’est là qu’ils ont décidé de sortir faire une déclaration le mardi 3 avril à Bamako. Leur demande de manifestation a été refusée, mais ils sont sortis malgré la fermeture de leur itinéraire par un dispositif sécuritaire. Il multipliait à l’époque avec son équipe des meetings et des marches pour dénoncer l’occupation terroriste et surtout l’appel à l’ouverture d’un corridor humanitaire pour les populations et les villes sous occupation. “Les Maliens du Nord sont en otages, Ne les oubliez pas..”, scandait-il lors d’un meeting le 3 avril 2012 à la Bourse du travail.
C’est d’ailleurs à la suite de ce meeting qu’Almahady et ses compagnons ont pris la Tour d’Afrique comme lieu de ralliement et de mobilisation pour l’ouverture du premier corridor humanitaire.
Depuis cette date, les membres du Collectif Cri de Cœur ont pris tous les grands carrefours de Bamako. Chaque matin, ils investissaient la circulation pour expliquer que la vie continue à Bamako tranquillement, tandis que les gens mourraient à Gao et à Tombouctou. C’est à cette date qu’ils ont décidé d’ouvrir un corridor pour apporter l’assistance à ces régions. Un appel aux dons a été lancé et les Maliens ont réagi de l’intérieur comme de l’extérieur.
L’appel fut attendu ! Et le vendredi 13 avril 2012 a vu le départ du premier convoi en direction des régions de Gao et de Tombouctou.
La première caravane a réuni des besoins médicaux et divers produits d’une valeur de 70 millions de F CFA, mais pendant deux jours, il n’y avait pas de volontaire pour acheminer cette aide à Gao. Sur un effectif de 48 personnes lors du départ, le car s’est finalement retrouvé avec 16 personnes, essentiellement des agents médicaux. Le convoi a quitté Bamako vendredi 7 avril pour arriver le mardi 11 avril 2012 à Gao avec toutes sortes de tracasseries sur la route. Les choses sont parties de là, c’était le début d’une aventure. Lorsque les caravaniers sont revenus deux semaines après, ils ont voulu retourner parce que, selon eux, la situation dépassait l’entendement. Il y a des médecins et des étudiants en médecine qui ont tout abandonné pour suivre la caravane. De cette période jusqu’en septembre, tout ce qui était infrastructure sociale de base, santé, éducation, environnement, c’est le Collectif “Cri de Cœur” qui s’en occupait. Après, la Croix-Rouge a fait une mission et le CICR aussi. Le retour de la caravane a coïncidé avec l’accord d’Ouaga et la mise en place du premier gouvernement de Cheick Modibo Diarra. Pendant 13 mois, les gens ont abandonné leurs postes, d’autres ont fermé leurs entreprises pour accomplir un devoir patriotique. Lorsque l’opération Serval est intervenue et que l’armée est retournée, ils ont rencontré des difficultés. L’Etat même était pressé de reprendre, surtout que certains chefs de service pensaient que le Collectif se substituait à eux.
Parmi les actions fortes, en mars 2013, ils ont mis en place une école sous occupation. Le MNLA a été chassé de Gao le 28 juin 2012 lors d’une rencontre qui a mal tournée. Les résidents de Gao soufflaient un peu avec l’arrivée du Mujao, sinon la vie était devenue difficile avec le MNLA. Les membres de l’association recevaient simplement l’itinéraire et ils étaient escortés pour assister les nécessiteux. Une équipe de psychologues a été dépêchée pour aider les victimes à surmonter les traumatismes comme le viol, le mariage forcé. Ce processus continu jusqu’à présent.
En 2017, “Cri de cœur” a organisé ces femmes en association pour porter plainte contre la République du Mali. Elle est en coalition depuis 2015 avec l’AMDH, la FDH, Demeso, Wildaf, l’APDF pour porter plainte contre ceux qui ont violé les femmes, attenté à leur dignité et ceux qui ont aussi pillé le Mali.
A rappeler que la Clinique Naata, qui signifie espoir en sonrhaï, a été ouverte en mars 2013 pour la prise en charge psycho médicale, psychologique et la prise en charge médical et les chirurgies.
De l’ensemble du volet psychologique, ce sont 3000 femmes qui ont été assistées, mais celles qui en souffrent dans leur chair sont 300 et leur prise en charge continue. Chaque année, il y a de nouveau cas parce que la crise n’est pas encore finie. Ainsi, le Collectif Cri de Cœur a été érigé en ONG le 20 juin 2019. Elle dispose de partenaires institutionnels comme le Fonds des Nations unies, Avocats sans frontières. Il y a aussi des personnes ressources qui font des dons mensuellement. Il y a des gens qui leur donnent depuis des années dans la plus grande discrétion et dans l’anonymat.
Le collectif est devenu une ONG parce que les membres intervenaient pratiquement partout au Mali, mais avec le retour de l’Etat à travers l’opération Barkhane et autres, ils se sont réorientés et pour être logique, ils ont fait de Gao leur base opérationnelle et Bamako est resté la base politique. L’équipe de Gao est constituée de bénévoles, de permanents et de salariés, alors qu’il n’y a qu’un seul salarié à Bamako qui s’occupe des finances.
A un moment donné, Almahady Cissé voulait arrêter avec l’humanitaire pour faire autre chose parce qu’il n’est pas fonctionnaire et il ne voulait pas vivre de l’humanitaire. C’est là qu’il a repris ses activités professionnelles de consultant. Mais, à la suite d’un séjour à Gao, il a été obligé de reprendre les activités de l’ONG à cause de nombreuses demandes de soutien.
Cri de Cœur pour Tombouctou
Avec la résurgence de l’insécurité et le blocus maintenu par les groupes armés terroristes, Cri de Cœur et ses partenaires, dont la Société malienne de rhumatologie (SMRH), ont organisé en septembre 2022 une mission humanitaire en marge de la célébration de la Journée mondiale de l’arthrose. Cette année en partenariat tripartite avec l’Association pour le développement du cercle de Tombouctou et la SMRH comptent organiser une mission humanitaire à Tombouctou. Dans le programme des activités de commémoration et d’hommage aux victimes du Bateau Tombouctou, des journées de consultations gratuites, des formations et d’assistance diverse. Et nous comptons sur les amis du Mali et de Tombouctou, notamment le Maroc pour réaliser cette mission. Le Maroc, parce que Tombouctou a des liens avec le royaume…C’est un Cri de Cœur dont il souhaite pour Tombouctou afin d’avoir une aide de la part du Maroc pour la matérialisation de l’organisation d’une série d’activité cette année. Il s’agit d’une mission d’assistance humanitaire, d’un plan de résilience, d’une activité culturelle, la réparation de la mémoire du bateau Tombouctou et faire un plaidoyer afin qu’un nouvel bateau siffle.
Ce projet d’assistance à Tombouctou tient énormément à cœur l’ONG Cri de cœur qui a comme devise, Faites Parler vos Cœurs…
Du journalisme à l’humanitaire…
Cet homme aux multiples caquettes a commencé son métier d’animateur à la Radio communautaire de Gao, Radio Naata en 1991 alors qu’il était encore élève. Il a été l’un des premiers animateurs de cette radio et c’est de là que naquit sa passion du journalisme. Almahady Moustapha Cissé a ensuite fait un saut dans la presse écrite en 1994 comme correspondant du journal “L’Observateur” toujours à Gao.
De cette date jusqu’en 2005, il s’est consacré uniquement à la presse, en étant correspondant de ces certains organes de presse internationale tels que Interpress News Agency, le réseau d’information des Nations unies, IPS et AP. Ces organes lui ont permis de voyager à travers le monde en tant que rédacteur délégué pour couvrir de nombreux conflits en Afrique et des rencontres internationales.
Sur le plan national, il a collaboré avec de nombreux journaux, notamment “Le Continent”, “Le Républicain”, “L’Essor”, “Le Canard Déchaîné”. Il a été rédacteur de Kledu magazine de 2005 à 2008 et aussi pigiste pour beaucoup de groupes internationaux comme “Le Marabout”.
Depuis 2005, il a rangé la plume pour de nouvelles expériences. Il est consultant en communication avec sa boite de communication stratégique, management, conseil, études de marketing – Wabaria Consulting – créée en 2008 avec des hauts et des bas, mais il s’accroche.
Présentement, Almahady Cissé est conseiller technique au cabinet du président du Conseil national de Transition, et aussi membre actif de nombreuses organisations.
Humble et affable, il fait sienne la citation de feu Me Demba Diallo : “Quand on veut vivre de l’intellect, il faut se battre à être parmi les meilleurs…”
Marie Dembélé
Source: Aujourd’hui-Mali