On ne dit pas « albinos », corrige notre interlocuteur. Le terme exact est « personne atteinte d’albinisme », puisqu’il s’agit d’une maladie. Albinos est un terme péjoratif, conclut-il ! Il est vrai que, pour en parler, il est bien placé. A l’origine de la toute première association de défense des droits des personnes atteintes d’albinisme au Mali, il est également entré dans l’histoire il y a quelques années en devenant le premier « albinos » (de albino en espagnol, du latin albus qui signifie blanc, ndlr) à entrer dans un gouvernement de la République.
Tollés et grincements de dents, se souvient celui qui continue, depuis cette position qui lui impose « un devoir de réserve », de se battre pour changer l’image que l’on a des personnes qui partagent sa condition. De personnalités atteintes d’albinisme, le Mali en a beaucoup. Qui ne connait, de par le monde, le célèbre Salif Kéita, qui met aujourd’hui sa célébrité au service de la lutte pour la défense de leurs droits ? Et pourtant, la discrimination, la stigmatisation, et, pire, les crimes contre eux sont toujours d’une amère actualité. Que faire pour changer les choses, changer le regard torve avec lequel la grande majorité d’entre nous les regardent ? La rédaction a choisi cette semaine de vous dresser 5 portraits de personnes atteintes d’albinismes. Certaines sont connues, d’autres pas. Elles sont l’illustration qu’elles sont « spéciales », mais pas du tout pour les raisons que nous croyons…
Dr Banzoumana Traoré, chercheur, coordinateur de l’ONG SAVAMA-DCI : « Cela ne fait pas de moi un paria! »
Quand j’étais enfant, je ne comprenais pas pourquoi les gens se détournaient sur mon passage, pourquoi les autres enfants se moquaient de moi, m’insultaient… Je me suis beaucoup bagarré avant de décider de les laisser dans leur ignorance, parce qu’à partir d’un certain âge j’ai compris que j’étais différent mais que cela ne faisait pas de moi un paria. A l’adolescence, j’ai fait partie de l’échantillon d’une étude sur l’albinisme au Mali. J’ai compris que j
’étais spécial, mais cela ne devait pas me handicaper. Cela m’a poussé à aller de l’avant, à m’imposer. J’avais des problèmes de vue. Même tout près du tableau, je ne parvenais pas à déchiffrer les écrits. A lieu d’aller à l’Institut des Jeunes aveugles apprendre le braille, comme beaucoup le font, j’ai continué, prenant les cahiers de mes camarades pour recopier les leçons après les cours… Ce n’est qu’à l’université que j’ai eu des lunettes adaptées à ma vue. J’étais très timide, mais j’ai travaillé sur ça aussi et j’ai avancé. Quand je vois quelqu’un qui veut mettre ça en avant, je suis direct : « si tu ne peux pas travailler avec un albinos, dis-le moi ». La barrière est très vite dépassée.
Membre de l’Association malienne pour la protection des albinos (AMPA), je m’investis pour que les albinos sortent de leur coquille. Notre combat porte sur
la sensibilisation de l’opinion locale sur l’albinisme, la lutte pour l’accès aux soins spécialisés et l’éducation et l’insertion professionnelle.
La nouvelle de l’assassinat de Fana ne m’a pas surpris. C’est toujours le cas à l’approche des élections. Il est temps que des dispositions particulières soient prises pour nous protéger, pas seulement au Mali mais partout sur notre continent. Quand je voyage en Afrique, je ne me promène jamais la nuit, je fais attention à où je vais. Alors qu’ailleurs je me sens libre !
Nantenin Keita : « Les choses rares sont précieuses »
Athlète de haut niveau handisport, Nantenin Keita est aujourd’hui une femme accomplie. Même si, au départ, cela a été compliqué pour elle, elle a su s’accepter et cultiver sa différence pour en faire une richesse.
Fille du chanteur malien Salif Keita, Nantenin a surtout vécu en France. « C’était plus facile de vivre mon enfance en France. Mais le regard des autres enfants sur moi était différent. C’était un peu compliqué mais j’ai réussi à m’intégrer ». Dans la vie de tous les jours, les albinos sont confrontés à beaucoup de difficultés. « J’avais du mal à m’accepter en tant que personne albinos, surtout à l’adolescence. Après, j’ai compris que j’allais mourir albinos et qu’il fallait que je m’accepte », avoue l’athlète. « Dès lors, les regards sur moi ont changé ».
Si elle a pu avancer et atteindre les sommets, c’est avant tout parce qu’elle a pu compter sur sa famille. « J’avais deux modèles et j’aime faire les choses par moi-même. Pour moi il était important de réussir, parce que je voulais être heureuse. Le sport m’a aussi beaucoup aidée ».
La jeune femme condamne rigoureusement les crimes dont sont victimes les albinos en Afrique. « Le bonheur de quelqu’un ne doit pas passer par le massacre ou la mutilation d’une autre personne. Un albinos n’est pas un animal mais un être humain » déplore-t-elle.
En tant qu’athlète de haut niveau devenue une icône pour les albinos, Nantenin Keita appelle au dépassement de soi. « Être albinos ne doit pas être un frein à notre réussite. Au contraire, parce que les choses qui sont rares sont précieuses ». Elle plaide pour un changement de mentalité des Maliens et des Africains en général. « Nous ne devons pas être seuls dans ce combat, tout le monde doit se sentir concerné », conclut la championne paralympique.
Mariam Maïga, Présidente de l’Association AHB : « C’est ma différence positive »
Mariam Maïga, mère de deux enfants, réside en France depuis trente ans. Elle est la présidente de l’association les Albinos de HEMA Nayélé Banfora (AHB), basée à Compiègne et au Burkina, son pays d’origine. Sa couleur de peau, elle en est consciente depuis sa plus tendre enfance, c’est sa différence. Une différence qu’elle a décidé de positiver. Elle y réussit en se mettant au service de la communauté où elle vit. Mariam Maïga est en effet une femme aux multiples talents. Secrétaire de formation, elle se livre à plusieurs activités et à Compiègne, où elle vit, on la retrouve animatrice, restauratrice, formatrice ou encore surveillante dans le préscolaire. « Ayant à cœur d’évoluer professionnellement, je me lance dans différents domaines ».
Depuis plus dix ans, elle dirige l’association AHB qui vient en aide aux enfants albinos et malvoyants de Compiègne et du Burkina, sa terre natale. Grâce aux soutiens d’élus parisiens et d’associations et entreprises partenaires, l’association mène de nombreuses activités à travers des collectes de fonds. « J’accompagne les associations et les entreprises et toutes les personnes qui me connaissent, tant sur le plan professionnel que familial, disent de moi que je suis persévérante et courageuse ».
Vivant seule avec ses deux enfants, Mariam Maiga impose le respect. C’est une mère digne et une personne de confiance. Son engagement au service des personnes atteintes d’albinisme en a fait une figure dans sa communauté et il ne se passe de semaine sans qu’elle n’interpelle sur les réseaux sociaux sur la question de leur protection. « Il est important de réfléchir, de s’engager. Je pense que toute problématique a forcément une solution », assure la présidente de l’AHB. S’adressant aux parents, elle leur demande de laisser leurs enfants aller à l’école, car « l’éducation est l’arme la plus puissante au monde ».
Aboubakhar El Hassane Doumbia, chargé de programme : « Sans complexes grâce à l’amour de mes parents »
Je suis une personne atteinte d’albinisme âgée de 31 ans. Je suis marié et père de deux charmantes petites filles, Mouna et Astou. Je suis passionné de belles voitures, de documentaire sur les avions, de cinéma, de lecture et de mythologie grecque.
L’école a été pour moi un parcours du combattant, à cause de la faiblesse de l’acuité visuelle due à l’albinisme. Au cycle élémentaire, j’ai été transféré à l’Institut national des aveugles du Mali pour y apprendre l’écriture braille et rattraper mes camarades. Quand mes amis couraient les margouillats ou jouaient au ballon, je prenais le cahier de mon voisin de table pour me mettre à jour. Je suis aujourd’hui détenteur d’un diplôme en hôtellerie et tourisme de l’IUG et d’une maîtrise en journalisme et communication de l’ESTM.
J’ai été admis en 2016 au concours de recrutement dans la fonction publique et je travaille au ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche scientifique, à la Commission nationale malienne pour l’Unesco et l’Isesco comme Chargé de programme communication et information.
J’ai pu m’en sortir sans complexes grâce à l’amour de mes parents, tous deux intellectuels, qui savent que l’albinisme n’est qu’un accident génétique. Le soutien familial et de mon entourage ont été le socle de ma réussite. Mais certaines croyances favorisent notre stigmatisation et notre exclusion sociale. L’assassinat de la petite Ramata Diarra à Fana en est une illustration parfaite. Mais le plus dur est l’impunité dont jouissent les auteurs de massacres à l’encontre des personnes atteintes d’albinisme. C’est préoccupant, effrayant et révoltant.
Le progrès des mentalités est un travail de longue haleine et passe nécessairement par la sensibilisation et l’information. C’est pourquoi je dis que nous sommes des êtres humains comme les autres. Le même sang coule dans nos veines, nous avons les mêmes émotions, les mêmes rêves…
Mamadou Sissoko, expert en droit du handicap : « Pour changer les choses, il faut un sursaut collectif »
Je suis né dans une famille polygame à Abidjan et issu d’une fratrie de 18 enfants dont 5 garçons atteints d’albinisme. J’ai 36 ans, je suis marié et informaticien de profession. Je suis engagé dans la société civile quand je suis devenu le webmaster d’une organisation de défense des personnes handicapées. J’ai bénéficié d’une formation et suis devenu expert conseiller en droit du handicap.
Je me souviens qu’en famille, il y a toujours eu des traitements particuliers pour nous. Prendre en charge un enfant atteint d’albinisme, c’est un surcoût pour les parents. Dès qu’il commence à marcher, il doit être protégé contre le soleil, mais aussi contre les crimes rituels. Avant l’école, il faut l’amener chez l’ophtalmologue, car il nait avec une vision très faible, en général 2/10.
Le système scolaire n’est pas adapté aux personnes atteintes d’albinisme, dont certains ont la vue qui décroit au fil des années. Il existe pourtant des solutions, comme prévoir un banc à part pour l’enfant, au risque de le voir exclu du groupe. Il faut le suivre, sensibiliser la classe pour qu’on l’intègre, faire comprendre aux autres que sa différence doit être respectée.
Mes parents m’ont beaucoup protégé, c’est une grande chance. J’ai pris conscience de mon albinisme à travers les faits de vie, comme une insolation après une journée avec les amis à la piscine… J’ai compris que je n’étais pas comme les autres. Mais je n’ai pas subi de discrimination, comme malheureusement la grande majorité des personnes atteintes d’albinisme et comme le démontre l’affaire de Fana. Pour changer les choses, il faut un sursaut collectif. En Afrique de l’Ouest, c’est en périodes électorales que les crimes rituels commencent. Pourquoi les gens continuent-ils de penser que cela peut leur donner le pouvoir? On s’enrichit juste à leur, et à nos, dépens. Ouvrons les yeux!
Source: journaldumali