Kweneng, une cité-Etat disparue en Afrique du Sud, a longtemps intrigué les archéologues. Ils connaissaient l’existence des ruines de cette métropole au sud de Johannesburg. Mais la télédétection par laser a récemment permis aux chercheurs de « voir » sous les hautes herbes et les arbres. Karim Sadr, un archéologue de l’université du Witwatersrand, invité Afrique de RFI, répond aux questions de Michel Arseneault.
Rfi : Karim Sadr, à quoi ressemblent les ruines de Kweneng ?
Karim Sadr : On voit quelques anciens murs de pierre ici et là, couverts par la végétation.
Pourtant, vous avez réussi à voir, si l’on peut dire, sous la végétation. Qu’est-ce que l’on peut voir ?
On trouve à peu près 900… en anglais on dit « compounds ».
En Afrique de l’Ouest on dirait des concessions.
Peut-être que c’est la même chose.
Sur le plan d’une ville, la première chose que l’on voit ce sont des routes. Parlez-nous des rues qui traversaient Kweneng.
Nous avons calculé quelque chose comme dix kilomètres de routes. Sur les deux côtés, c’est marqué par une ligne de pierre. Il me semble que ces routes sont destinées à diriger le trafic des vaches d’une partie de la ville à l’autre. Ce sont probablement des routes processionnelles, plutôt pour les vaches. Dans les récits historiques, on parle de processions de vaches, qui arrivaient chaque soir, qui rentraient des champs, un événement très populaire, très important : regarder l’arrivée de leur richesse dans la ville.
Combien de gens habitaient Kweneng ?
On peut penser autour de 5 000, 10 000, 20 000… Même plus que cela. Mon estimation pour Kweneng c’est qu’il y avait, au minimum, 5 000 personnes, mais peut-être qu’il y avait des périodes où cela montait jusqu’à 10 000.
C’était des cultivateurs ou des éleveurs ?
Normalement, dans les cultures Tswanas, les femmes étaient cultivatrices et les hommes éleveurs.
Cette ville était une ville riche ?
Il y avait beaucoup de bétail. La richesse de cette culture tswana, effectivement, se calculait par leur richesse en bétail.
Comment avez-vous fait pour savoir que c’était une ville où l’on parlait tswana ?
Le style d’architecture en pierre que l’on trouve ici, dans cette région, est lié aux gens qui parlent tswana.
Qui était le roi de Kweneng et quelles étaient ses fonctions ?
Les descendants des gens qui habitaient ici et qui parlent tswana, ils ont dans leur tradition orale les noms de rois qui remontent jusqu’à plusieurs générations, très loin. Probablement qu’un de ces rois était le roi de Kweneng, mais nous ne pouvons pas en être sûr. Ils étaient les plus riches. Ils avaient accès à tout le bétail dans le royaume. Mais dans la culture tswana, il y avait une forte éthique d’égalité et les rois et familles nobles essayaient toujours de ne pas montrer qu’ils étaient différents. Dans l’architecture, dans les sites archéologiques, nous pouvons à peine savoir où était le secteur royal, parce qu’il n’y avait presque aucune différence.
Mais vous l’avez pourtant trouvé ce palais royal ?
On a quelques concessions qui sont beaucoup plus grandes que le reste et les plus grandes concessions se trouvent dans la partie centrale.
Pourquoi Kweneng a-t-elle disparu au XIX siècle ?
C’est encore une hypothèse à tester, mais il me semble que vers 1825 il y avait une période de guerre civile dans cette partie de l’Afrique australe.
Est-ce qu’il s’agit d’affrontements avec les Européens qui étaient déjà sur place ou avec d’autres villes voisines ?
Non, dans cette région, les Européens n’étaient pas arrivés. Ils n’étaient pas encore là, dans le nord de l’Afrique du Sud. Un grand front militaire est sorti du KwaZulu-Natal, les gens qu’on appelle aujourd’hui les AmaBhele, et a envahi cette région. La guerre civile était entre chaque voisin, l’un contre l’autre. C’était vraiment une période de grande perturbation.
Les facteurs climatiques ont-ils aussi joué ?
C’est une hypothèse. Vers le XVIIIe siècle [c’est la] période du Petit âge glaciaire. A cause de cela il y avait beaucoup de problèmes au niveau de l’agriculture. Il manquait de la nourriture pour beaucoup de gens et ils attaquaient le voisin pour avoir quelque chose à manger. Mais il y avait des raisons politiques aussi, sans doute.
Tous ces facteurs ont poussé la population de Kweneng à fuir vers d’autres régions ?
Les guerriers AmaBhele qui sont arrivés ont détruit une grande partie de la ville. Ils ont probablement chassé ou tué les populations.
Tout cela, vous le saviez quand même un peu, vous le soupçonniez. Mais est-ce qu’il y a des choses qui vous ont étonné ?
La première c’est, que Kweneng existait, qu’il y avait une ville – une métropole -, ici, si près de Johannesburg. On savait qu’il y avait des royaumes tswanas plus à l’Ouest, au Nord-Ouest. Mais on ne savait pas que cela existait ici, aussi. Ça c’est la première chose, qui est une grande surprise. Il n’était pas clair qu’il y avait une métropole, une ville très étendue, parce qu’on ne pouvait pas voir sur les photos aériennes, sur les images satellites. On savait qu’il y avait des ruines, mais pas qu’il y avait une métropole, une capitale d’un royaume. Cela veut dire que la nation Tswana, avant les colonies, ici, était beaucoup plus étendue que nous ne l’avions pensé.