Les projets éducatifs et humanitaires devraient intégrer les droits de toutes les élèves
(Nairobi, le 16 juin 2019) – Des dizaines de milliers de filles enceintes et de mères adolescentes se voient privées de leur droit à l’éducation en Afrique, malgré les progrès réalisés dans certains pays, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui, à l’occasion de la Journée de l’enfant africain organisée par l’Union africaine. Le thème de 2019 concerne les droits des enfants dans le cadre de l’action humanitaire en Afrique.
Le continent africain a le taux de grossesse des adolescentes le plus élevé au monde, d’après les Nations Unies. Même si de nombreuses grossesses ne sont pas planifiées, d’autres surviennent dans le cadre de mariages d’enfants, un problème galopant auquel beaucoup de gouvernements africains ne parviennent pas à s’attaquer efficacement. Parmi les autres causes figurent l’exploitation et les abus sexuels, le manque d’information sur la sexualité et la reproduction ainsi que l’accès limité aux services de planning familial et à la contraception moderne. Lors des crises humanitaires, notamment celles dues à la guerre ou aux catastrophes naturelles, les filles et jeunes femmes font face à un risque élevé de violence et d’exploitation sexuelle, aboutissant souvent à des grossesses non désirées.
« Un nombre choquant de filles en Afrique deviennent mères avant d’être elles-mêmes adultes, y compris dans des situation de crise humanitaire », a déclaré Elin Martínez, chercheuse auprès de la division Doits des enfants de Human Rights Watch. « Beaucoup de mères adolescentes ne retournent pas en classe parce que leurs écoles les excluent ou que leurs familles ne les laissent pas continuer leur scolarité. »
Dans toute l’Afrique, des élèves sont obligées de quitter l’école parce qu’elles sont tombées enceintes ou devenues mères. La Sierra Leone, la Tanzanie et la Guinée équatoriale interdisent même explicitement aux filles enceintes de suivre les cours. En novembre 2018, la Banque mondiale a suspendu un prêt de 300 millions USD en faveur de l’enseignement secondaire en Tanzanie, se disant préoccupée de cette exclusion scolaire des filles enceintes et des mères adolescentes. Suite aux discussions entre la Banque mondiale et le président John Magufuli, le gouvernement s’est engagé à trouver des solutions pour que ces adolescentes retournent en classe. Mais le gouvernement n’a pas honoré sa promesse, laissant des milliers de filles déscolarisées.
En juin, la Cour de justice de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) jugera une affaire contre la Sierra Leone où les plaignants contestent l’exclusion discriminatoire que le pays pratique envers les élèves enceintes. Cette exclusion est en place depuis l’épidémie d’Ébola en 2015, au moment où les grossesses d’adolescentes avaient fortement augmenté suite à la vague de violences sexuelles subies par les filles, a rapporté Amnesty International.
Human Rights Watch a constaté que 27 pays africains disposent actuellement de lois ou de politiques protégeant la scolarisation des adolescentes en cas de grossesse ou de maternité. Parmi les principales mesures récentes destinées à protéger leur scolarité, en juillet 2018, le Burundi a annulé un décret ministériel adopté trop hâtivement et qui voulait exclure de l’enseignement les filles enceintes ainsi que les garçons responsables de ces grossesses. En décembre, le Mozambique a abrogé un décret discriminatoire de 2003 qui obligeait les filles enceintes à suivre les cours du soir. Enfin en février 2019, le Zimbabwe a introduit un amendement de la loi sur l’Éducation qui protège les filles enceintes de l’exclusion.
Toutes les mineures, y compris les filles enceintes et les jeunes mères, ont le droit de continuer ou de reprendre leur scolarité lors des crises humanitaires, ou de s’inscrire aux programmes de cours intensif si elles ont été déscolarisées trop longtemps.
Certains pays actuellement touchés par des crises humanitaires, comme la République démocratique du Congo, le Nigeriaet le Soudan du Sud, ont adopté des lois qui protègent le droit des jeunes mères à retourner en classe, mais nécessitent des politiques éducatives pour veiller à ce que ces lois soient appliquées. Au Burkina Faso et en République centrafricaine, il manque une loi ou politique ciblant cette question.
En République démocratique du Congo, plus de 48 % des filles et femmes de 15 à 19 ans sont enceintes ou déjà mères. Un rapport de la Coalition mondiale pour la protection de l’éducation contre les attaques a constaté que les filles rencontraient de nombreuses difficultés à la fois en raison de leur stigmatisation en tant que survivantes du viol ou des violences sexuelles, et de la grossesse résultant de ces actes criminels. Certaines filles ont rapporté qu’elles ne pouvaient pas obtenir de services psychosociaux (psychiatriques) ni de soutien leur permettant de reprendre leur scolarité. Beaucoup font face au rejet de la famille et de la communauté, surtout celles qui ont été par le passé membres de groupes armés.
Dans ces pays touchés par les crises, ni les programmes d’éducation nationale ni ceux mis en place sous l’égide des Nations Unies ne prennent en compte les besoins éducatifs des filles qui sont enceintes ou qui ont des enfants, a déclaré Human Rights Watch. Autrement dit, les interventions visant à aider les enfants à continuer ou à reprendre leur scolarité lors des périodes de crise ne répondent pas aux besoins éducatifs des filles enceintes et des jeunes mères. En général, l’analyse des besoins humanitaires se concentre exclusivement sur les besoins médicaux et nutritionnels des mères et de leurs enfants.
« Je l’ai fait, je suis retournée en cours parce que je voulais poursuivre mes études, mais ce n’est vraiment pas facile », a témoigné Olivia B., une étudiante à l’université de 24 ans originaire de Kananga, dans la région congolaise du Kasaï, qui a été violée par un milicien alors qu’elle fuyait une attaque dirigée contre son établissement. « Les étudiants se moquent de moi. Je suis mal à l’aise à l’université… Ils me critiquent… J’ai peur et j’ai honte… Aucun enseignant, aucun professeur, personne n’est intervenu pour m’aider. Il n’y a aucun programme ni quoi que ce soit pour me soutenir. »
En l’absence de dispositif appuyant la scolarisation des filles enceintes et des mères adolescentes dans les situations de crise humanitaire, non seulement leur accès à l’éducation s’en trouve limité, mais ces enfants déjà vulnérables sont aussi exposées à davantage de violence, de difficultés et de pauvreté, a déclaré Human Rights Watch.
Les programmes éducatifs humanitaires devraient être inclusifs, veillant à ce que des environnements et infrastructures scolaires, temporaires ou permanents, puissent répondre aux besoins de scolarisation des filles. Les gouvernements africains devraient inscrire dans la loi des protections en faveur des filles enceintes et veiller à ce que leurs programmes d’éducation nationale, y compris les projets d’enseignement d’urgence ou d’intervention de crise, prévoient des mesures pour que les filles enceintes et les mères adolescentes puissent poursuivre leur scolarité.
Outre leur obligation fondamentale de garantir le droit à l’éducation sans discrimination, les gouvernements devraient adopter des mesures pour garantir que l’enseignement ne s’interrompe paslors des crises humanitaires. En vertu de la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant, les gouvernements africains ont l’obligation spécifique de faire tout leur possible pour protéger les enfants affectés par les conflits, en particulier pour atténuer les effets disproportionnés des conflits sur les filles, et de prendre des mesures pour que les filles ne soient pas exposées à la violence sexuelle ou forcées à se marier.
« L’éducation est vitale pour tous les enfants, surtout pour les filles dont l’enfance et la scolarité ont été interrompues par la grossesse », a conclu Elin Martínez. « Tous les gouvernements africains, organisations humanitaires et de développement et donateurs devraient faire en sorte que les filles enceintes et les mères adolescentes bénéficient de l’appui dont elles ont besoin pour rester scolarisées. »
Source: Human Rights Watch