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Afrique de l’Ouest: un coup d’État peut-il laisser une trace positive?

Un coup d’État peut-il être « démocratique » ou simplement perçu comme positif ? La situation en Guinée s’inscrit dans une histoire longue en Afrique de l’Ouest, qui compte quatre putschs ayant participé à la construction démocratique, mais aussi beaucoup de juntes ayant plongé leur pays dans l’abîme.

Le coup d’État perpétré le 5 septembre en Guinée, suivi par des scènes de liesse populaire mais condamné par nombre d’instances régionales et internationales, ne relève nullement d’une nouvelle expérience politique en Afrique de l’Ouest. Loin s’en faut : la sous-région est habituée à toutes sortes de putschs – militaires et constitutionnels, souvent motivés par des questions de succession ou la volonté de rester au pouvoir.

Le renversement d’Alpha Condé par le colonel Mamady Doumbouya, et les premiers jalons d’une transition sans calendrier précis, ont-ils des chances d’aboutir à des avancées sérieuses ? « Les premières décisions de la junte confortent les optimistes, témoigne à Conakry le jeune blogueur et journaliste Mamadou Yayhapetel Diallo, mais certains Guinéens restent prudents, de peur que la junte, même si elle martèle ne pas vouloir reproduire les erreurs du passé, ne soit téléguidée par des généraux qui restent dans l’ombre et dont on ne connaît pas l’agenda ».

À l’aune du passé, les probabilités de succès restent très aléatoires : sur les 50 putschs recensés en Afrique de l’Ouest depuis les Indépendances, seulement quatre ont laissé des marques positives.

Olusegun Obasanjo, putschiste contre son gré en 1976

Olusegun Obansajo, officier opposé aux coups d’État, est mis devant le fait accompli par des putschistes qui font tomber en 1975 le régime autocratique de Yakubu Gowon. Cet esprit brillant est prié de faire partie d’un triumvirat d’officiers au pouvoir, pour remettre la démocratie sur les rails au Nigeria et organiser des élections en 1979. Après l’assassinat de Murtala Mohammed, le chef de la junte en 1976, Obasanjo en prend les rênes sur la demande insistante de l’armée – alors qu’il voulait se retirer.

Il lance une opération « Deadwood » pour licencier 1 000 fonctionnaires corrompus, des débats thématiques hebdomadaires avec des universitaires et des chefs traditionnels plutôt que des politiciens, tout en maintenant une répression qui coûte la vie à la mère du musicien Fela. Il a été le premier et le seul général-président à rendre volontairement le pouvoir en 1979, à 41 ans – contre les conseils de ses pairs – à un civil élu (Shehu Shagari, nordiste), auquel il remet une nouvelle Constitution et les clés de la IIe République. Il se retire en refusant « l’ethnicisme » et tout soutien au candidat Obafemi Awolowo, un Yorouba issu des régions sud comme lui.

Il a ensuite connu les honneurs et la reconnaissance internationale. Il critique la série de régimes militaires qui se succèdent au Nigeria, et il est jeté en prison en 1995 par le Sani Abacha, qui a installé une dictature militaire en 1993. Après la mort de ce dernier et une brève transition, il revient sous l’habit de civil en 1999, à la faveur d’élections qu’il remporte avec 62,6% des voix, incarnant alors le renouveau. Au terme de deux mandats, en 2007, il se retire, sans écouter son propre camp, qui lui demande de rester.

Jerry Rawlings, parti de son plein gré au Ghana

Le Ghana serait-il ce qu’il est sans Jerry Rawlings, l’un des rares pays où les alternances sont aussi régulières que pacifiques depuis deux décennies ? La question reste débattue à Accra. Le jeune capitaine d’aviation, après son premier coup en 1979, à 32 ans, a fait fusiller huit généraux dont trois anciens chefs d’État sur une plage. Un coup de semonce contre ceux qu’il appelait les dirigeants « véreux ».

Quelques mois plus tard, il rend le pouvoir aux civils, à l’issue d’élections auxquelles il n’est pas candidat. En décembre 1981, il revient par la force pour imposer sa vision de l’intérêt général et faire cesser la gabegie. Arrivé à la fin de son second mandat électif en 2000, il donne l’exemple en prenant sa retraite. Depuis, les alternances se font de bonne grâce. Aucun chef d’État n’ose briguer de troisième mandat au Ghana.

Thomas Sankara, l’icône africaine

Combien d’enfants s’appellent-ils Thomas, même dans les pays musulmans en Afrique de l’Ouest, en hommage à Sankara, putschiste en 1983 à 33 ans ? L’icône est révérée, pour son œuvre de lutte contre le colonialisme et sa volonté d’émanciper son peuple – y  compris à coups de bottes, via des Comités de défense de la révolution (CDR).

Apôtre de l’égalité des sexes et de l’autosuffisance alimentaire, qu’il a réalisée, il contraint les fonctionnaires au port du coton local, le « Faso dan fani ». Le Burkina Faso lui doit son nom de « pays des hommes intègres », et conserve la réputation non galvaudée d’être moins corrompu que ses voisins.

Il se classe encore, en 2020, au 15e rang des pays les moins corrompus d’Afrique, et au 40e rang mondial sur 88 dans l’indice dégressif de perception de la corruption de Transparency International, bien avant le Mali (30e), le Niger (32e) et la Côte d’Ivoire (36e). Et ce, malgré la longue mainmise sur le pouvoir de Blaise Compaoré, compagnon d’armes et tombeur de Sankara, assassiné en 1987.

Amadou Toumani Touré (ATT), le putschiste renversé

Bien avant d’être lui-même renversé en 2012 en tant que président civil par un officier sans envergure, le Malien Amadou Toumani Touré (ATT) a été, dix années durant, un héros de la jeunesse africaine. La raison ? Le fait d’avoir perpétré un putsch « démocratique » contre Moussa Traoré, dictateur qui avait réprimé dans le sang une contestation étudiante devenue un soulèvement populaire en 1991. ATT organise une transition « express » et remet le pouvoir un an plus tard au président élu Alpha Oumar Konaré, sans se présenter.

Il revient en grand boubou en 2002, sans réussir à contrer la corruption, le trafic de drogue international qui gangrène toute la sous-région, puis la poussée islamiste associée à une rébellion touarègue en 2012. L’armée malienne, massacrée à Aguelhok et en déroute, contraint ATT à fuir le palais de Koulouba à pied, avant un exil au Sénégal.

Si l’on trouve ces quatre exemples côté pile, nombre d’autres putschs, côté face, ont débouché sur de graves violations des droits de l’homme, avec notamment Sani Abacha en 1993 au Nigeria, Yaya Jammeh en 1994 en Gambie ou Moussa Dadis Camara en Guinée en 2008. Quid du colonel Doumbouya ? S’il prend goût au pouvoir,  envisagera-t-il de revenir, comme ATT et Obasanjo, une fois la transition faite et par la voie des urnes ?

Seule certitude pour l’instant : les péripéties que représentent les coups participent aussi à l’évolution politique d’une région fragile, qui n’en a pas fini avec la soldatesque.

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