Bénin, Sénégal, Mali, Niger, Togo, Guinée… Partout en Afrique de l’Ouest des coups de canif sont portés contre la démocratie dans une sous-région déjà meurtrie par le terrorisme. Une chronique de Francis Sahel
Coup sur coup, deux vitrines de la démocratie en Afrique de l’Ouest se sont brisées en moins de deux mois d’intervalle. Ce fut d’abord le tour du Sénégal, pays de longue tradition démocratique avec un multipartisme instauré dès 1974, d’enregistrer des reculades. Pour la première fois dans l’histoire du pays, Macky Sall, président sortant, a utilisé le système judiciaire pour neutraliser ses deux challengers les plus sérieux : Karim Wade, fils de l’ex-président Abdoulaye Wade pressenti pour être le candidat du Parti démocratique sénégalais (PDS) ainsi que Kalifa Sall, Maire de Dakar, envoyé opportunément en prison par une inspection d’Etat commanditée par la présidence de la république. Par Macky Sall pour être tout à fait exact. On connait la suite de l’histoire : le Conseil constitutionnel a déclaré Macky Sall vainqueur du scrutin dès le premier tour avec plus de 58 % de voix. Tant pis pour « l’exemplarité de la démocratie sénégalaise »
Bénin, une totale régression
A peine avait-on digéré l’effondrement démocratique du Sénégal, que le Bénin, premier pays d’Afrique francophone à avoir expérimenté, dès 1990, la Conférence nationale qui avait ouvert la voie à la démocratisation, entre dans de violentes convulsions, mêlant dérives autoritaires et affairisme du président Patrice Talon. Il y a peu, nul n’aurait parié un seul franc CFA sur l’hypothèse d’organiser au Bénin des élections législatives à l’exclusion de toute l’opposition. Nul n’aurait non plus parié un autre franc CFA sur la possibilité que le président Talon réserve à sa mouvance les 83 sièges de députés à l’Assemblée nationale, à l’issue d’un scrutin qui a enregistré un taux de participation de 23% seulement. Et comme pour achever le forfait, le pouvoir a ordonné la suspension d’internet dans le pays le 28 avril 2019 jour du scrutin alors que les forces de l’ordre tiraient à balles réelles sur les partisans de l’opposition qui manifestaient le 1er et le 2 mai 2019 pour dénoncer les conditions d’organisation des législatives. Fait inédit dans l’histoire politique du pays, au moins deux manifestants ont succombé à des blessures par balles.
Gnassingbé père et fils, un règne sans fin
Bien avant l’épisode des législatives contestées, le pouvoir de Patrice Talon a jeté en pâture un journaliste et des opposants politiques à la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (CRIET).
Avec des trajectoires politiques différentes de celles du Bénin et du Sénégal, le Niger et le Mali ont également connu des revers démocratiques. En effet, ce n’est qu’au forceps et après avoir emprisonné son principal Challenger Hama Amadou que le président nigérien Mahamadou Issoufou a réussi à se faire réélire lors de la présidentielle de février 2016. Son homologue malien Ibrahim Boubakar Keita (IBK) n’a guère fait mieux en réussissant lui aussi un passage en force pour se faire réélire lors de la présidentielle de juillet 2018. En dépit des appels réitérés de ses adversaires et de certaines missions d’observation, IBK et ses partisans ont refusé le gage de transparence de publier les résultats du scrutin bureau de vote par bureau de vote.
A regarder des près les perspectives politiques dans la sous-région, le recul démocratique observé en Afrique de l’Ouest devrait se poursuivre et même se traduire par le refus de l’alternance démocratique. Le Togo vient justement d’ouvrir la voie avec l’adoption jeudi 8 mai par voie parlementaire d’une nouvelle Constitution qui permet à Faure Gnassingbé de rester au pouvoir jusqu’en 2030. Il aura alors passé 25 années à la tête du Togo contre 38 ans pour son père Eyadema Gnassingbé, décédé en 2005.
Alpha Condé, 91 ans en 2020
L’opposant historique guinéen Alpha Condé, 81 ans, devenu chef de l’Etat, se dirige tout droit vers une modification constitutionnelle qui va lui permettre de rester encore dix années au pouvoir à partir de la fin de son mandat en 2020. Il aura alors 91 ans, dont 20 années au pouvoir.
En Guinée où la répression des manifestations contre le pouvoir a déjà fait plus de 80 morts depuis l’arrivée d’Alpha Condé au pouvoir en 2010, le projet de troisième mandat nourrit par le président Alpha Condé pourrait être lourd de conséquences.
A la différence de l’Afrique centrale, qui a résisté à la démocratisation (Cameroun, Tchad, Congo-Brazzaville, Guinée-Equatoriale), l’Afrique de l’Ouest a connu au début des années 1990 un cycle d’élections libres et transparences ainsi que des alternances au sommet de l’Etat. Le plongeon de la démocratie intervient aujourd’hui alors que la sous-région semble totalement démunie face à la menace terroriste.
Francis Sahel
Mondafrique£