Le vendredi dernier, pour la 21è fois, les Algériens sont redescendus dans les rues, à Alger comme dans les principales villes du pays, en lançant des slogans : «Etat civil, pas militaire !» ; « Ici, c’est une République, pas une caserne ! ». Les manifestants continuent de réclamer le départ de toutes les figures politiques de l’ère Bouteflika, y compris le général Ahmed Gaïd Salah, et une Transition politique pour préparer les futures élections. Ce qui n’est pas l’avis du Chef d’Etat-major qui place désormais une ligne rouge à ne pas franchir, en mettant en cause «les slogans mensongers» de certains manifestants, «aux intentions et objectifs démasqués».
Pour l’Homme-fort de l’Algérie convaincu que l’armée est et reste la «colonne vertébrale de la nation», il faut scrupuleusement respecter le processus transitionnel en cours dans le pays, en allant rapidement aux élections afin de permettre une continuité des Institutions. Le Chef d’Etat-major général de l’armée estime que la présidentielle constitue «la clé de voûte pour accéder à l’édification d’un Etat fort avec des fondements sains et solides». Est-ce donc la fin du puzzle entre l’armée et les manifestants ?
Jusque-là Gaïd Salah, au nom de l’institution militaire, s’était simplement borné à réprimer les seuls manifestants qui brandissaient le drapeau kabyle. Et n’avait pas encore proféré de mesures tranchantes pour qualifier les manifestants d’être des marionnettes «des cercles hostiles à l’Algérie et à ses institutions constitutionnelles».
Mais pourquoi de telles menaces contre des millions de manifestants alors que le mandat du Chef d’Etat par intérim est expiré, basculant de facto le pays dans le vide juridique ?
Depuis la chute de Boutef, Gaïd Salah est devenue la seule voix qui incarne l’autorité de l’Etat en Algérie. «Notre mise en garde nous est dictée par la quintessence même des prérogatives qui nous sont dévolues et c’est ce que requiert la nature des nobles missions sensibles dont l’ANP a l’honneur d’en porter le fardeau», martèle-t-il. C’est pourquoi, aux opposants qui contestent que l’institution militaire s’incruste dans le champ politique, il suggère que les intérêts supérieurs du pays lui confèrent la légitimité d’agir.
Le Chef d’Etat-major argumente que l’armée est bien au cœur du pouvoir, tant elle est la garante de «la souveraineté nationale», de «l’unité populaire» et de « l’intégrité territoriale». A ceux qui reprochent à la Grande muette de «s’incruster» dans le champ politique, Ahmed Gaid Salah suggère que les intérêts suprêmes du pays lui confèrent bien la légitimité d’agir. Puisque, selon lui, l’armée se pose en garante de «la souveraineté nationale» et de «l’unité populaire».
Compte tenu de l’histoire de la guerre d’indépendance, l’armée algérienne en tant qu’institution ne peut être mise en parenthèses par les manifestants. Toutefois, ces derniers veulent que son influence cesse désormais sur le jeu politique en devenant neutre. Le nouvel homme-fort du pays va-t-il accepter ce changement des mœurs politiques ?
Gaoussou M. Traoré