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Affaire du Député Bourama Tidiane Traoré Coupable, avant d’être jugé

Beaucoup d’encre et de salive ont coulé depuis l’incident rocambolesque qui a vu la semaine dernière deux personnalités de premier plan    un juge et un député – en venir littéralement aux mains dans les locaux de la Justice de paix à compétence étendue de Ouéléssébougou,  se donnant ainsi en spectacle aussi bien aux  badauds  qu’à tout le pays, y compris aux plus hautes autorités.

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Pendant plusieurs jours, cet incident regrettable a  tenu le pays en haleine et  pris les allures d’une véritable affaire d’Etat, rameutant au passage le ban et l’arrière ban des partisans des deux protagonistes  mais aussi et surtout quasiment toutes les institutions de la République.

S’il est trop tôt d’évaluer tous les dégâts psychologiques  et moraux causés par le vent de folie provoqué par cette rixe inédite dans les annales du Mali entre un magistrat et un législateur, en revanche l’on peut déjà toucher du doigt l’impact négatif qu’il a eu sur l’image de deux des plus prestigieuses institutions de la République que sont l’Assemblée nationale et la Magistrature. Ces institutions  s’en sortent, c’est le moins qu’on puisse dire, avec une image plus qu’écornée, se situant à mille lieues de l’idée que le commun des mortels a de la dignité qui doit s’attacher à d’aussi éminentes fonctions.

Pour les Maliens, comme probablement pour les citoyens lambda d’autres pays, l’écharpe de député et la robe de magistrat imposent en effet à ceux qui ont le redoutable privilège de les arborer ou les porter, une tenue exemplaire et une conduite au dessus de tout reproche. Après le vaudeville qui s’est déroulé à Ouélessébougou la semaine dernière, les uns et les autres doivent aujourd’hui déchanter, revenus qu’ils sont désormais de ce qui leur restait d’illusions sur nos élites.

Il y a plus grave, la gestion de l’affaire, qui a frôlé la crise institutionnelle avec la montée au créneau des députés exigeant à l’unanimité du gouvernement la libération immédiate de leur collègue arrêté, n’a pas été des plus heureuses.

En effet,  la précipitation avec laquelle la machine judiciaire s’est emparée du député, conduit manu militari au camp 1 alors que, de sources concordantes, l’intéressé était en sang et plutôt en piteux état, sans qu’il eût été préalablement conduit comme il se devait dans un établissement sanitaire, et traduit en quelques heures devant le Tribunal de grande instance de la Commune VI du district de Bamako  pour y répondre de son forfait, crée aujourd’hui au sein de l’opinion publique un réel malaise.

Pour beaucoup d’observateurs, cette circonstance ne fait que conforter l’image détestable que renvoie au quotidien l’institution judiciaire, qui ressemble de plus en plus à une caste d’intouchables.  Si l’on y ajoute le fait que le ministre de la Justice en personne, saisi de l’affaire, aurait donné des instructions au Procureur général Daniel Téssougué pour que soit arrêté l’impénitent et le corporatisme manifesté à l’occasion par les collègues du juge agressé, l’impression de déséquilibre dans le traitement du dossier s’accentue.

Quant aux faits mêmes de l’affaire, force est de constater qu’une seule version est abondamment relayée par les médias et que l’infortuné député de Ouéléssébougou y est dépeint comme étant l’agresseur avant même d’avoir été jugé à l’issue d’un procès équitable. Sans aucun doute, le député  Bourama Tidiane Traoré ne peut-il  se prévaloir de l’immunité parlementaire dans le cas d’espèce et les circonstances particulières de la rixe avec le juge ne plaident pas non plus en sa faveur – les faits sont survenus dans le bureau du magistrat – mais il doit en tout état de cause bénéficier, comme tout autre citoyen, de la présomption d’innocence, principe qui a valeur constitutionnelle en République du Mali. Tout comme doivent être respectés à son égard tous les droits de la défense.

Le respect de ces principes est d’autant plus nécessaire que personne d’autre n’était présent au moment où il y a eu des coups entre les deux protagonistes, le garde  du juge n’étant intervenu que lorsque les choses ont dégénéré. Qui peut savoir, dans ces conditions, sans débat contradictoire et sans avoir entendu attentivement tous les sons de cloche, toutes les versions, qui des deux parties a, le premier, donné à l’autre des coups ou exercé des violences ou voies de fait ?

Certes, le juge de Ouéléssébougou n’est pas connu pour des frasques ou son manque de pondération. On peut même dire qu’il jouit d’une bonne réputation de courtoisie, mais cela suffit -il, pour le disculper à l’avance de toute part de responsabilité dans la survenance des faits ayant abouti à l’échange de coups avec son interlocuteur ?

Il est probable, selon toute vraisemblance, que toutes les circonstances ayant entouré l’incident survenu entre les deux personnalités ne seront pas élucidées. C’est, à notre avis, une raison supplémentaire pour que la raison prévale de part et d’autre, et surtout de la part de la Justice. Si jamais les poursuites initiées contre le député de Ouéléssébougopu étaient maintenues malgré les multiples médiations initiées ici et là pour calmer le jeu, la Justice devra , dans un souci d’apaisement, faire preuve du plus grand discernement dans l’application des peines prévues pour la répression des  infractions retenues contre le parlementaire, à savoir violences et voies de fait exercées contre un magistrat dans l’exercice de ses fonctions.

Ces peines sont en effet d’une très grande sévérité, puisqu’elles peuvent aller jusqu’à cinq ans d’emprisonnement au cas où une incapacité de travail personnelle résultant de la commission de ces infractions dépasserait 20 jours, sans compter qu’elles peuvent donner lieu à l’application de la réclusion criminelle lorsque sont retenues certaines circonstances aggravantes. Après le vent de folie et les errements de ces derniers jours, la raison va-t- elle finir par prévaloir au prétoire ?

Rien n’est moins sûr, si l’on s’en tient aux derniers développements du dossier où l’on apprend qu’une audience spéciale aura lieu dès ce lundi 1er décembre 2014 au Tribunal de la Commune VI qui s’apprêterait à statuer, si l’on en croit des sources bien informées, sur l’affaire. D’aucuns affirment qu’à cette occasion, le Tribunal se penchera sur la validité de la résolution prise par les députés et exigeant la libération sans condition de leur collègue incarcéré. Si cette information était confirmée, ce serait sans doute une première dans les annales judiciaires du Mali. Et une preuve supplémentaire du manque de discernement qui risque d’être le principal obstacle à un traitement satisfaisant de ce dossier fort encombrant. Ce serait un précédent fâcheux qui porterait une atteinte grave au principe  constitutionnel de séparation des pouvoirs, qui fonde l’organisation des pouvoirs publics dans notre pays et qui exclut  bien évidemment qu’un tribunal ou une cour  de l’ordre judiciaire puisse connaître de la régularité d’un vote ou d’une résolution prise par la représentation nationale.

Birama  FALL

SOURCE: Le Prétoire  du   2 déc 2014.
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