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Abel Jafri dans «Timbuktu», un émir d’Aqmi tout en nuances

Il fait partie des têtes d’affiche dans Timbuktu, le film d’Abderrahmane Sissako sorti en salles le 10 décembre. Abel Jafri, acteur de 48 ans, y incarne Abdelkrim, un émir d’al-Qaïda au Maghreb islamique qu’il joue de façon si nuancée qu’il le rendrait presque sympathique.

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« Beaucoup de gens m’abordent dans les festivals comme si j’étais quelqu’un du cru, un vrai Mauritanien. Ce qui me fait plaisir, parce que ça veut dire que j’ai bien fait mon boulot », dit Abel Jafri, acteur français né en Tunisie d’une mère de la région de Carthage et d’un père touareg algérien. Il a grandi en France, d’abord dans un village de Saône-et-Loire, près du Creusot où travaillait son père, puis à Aubervilliers, en banlieue parisienne. On le sollicite à la télévision et dans le cinéma français pour son côté arabe, même s’il ne l’est pas vraiment. A 48 ans, il prend encore des cours pour se perfectionner dans la langue de ses parents et être en mesure d’accepter plus de rôles…

Pour Timbuktu, un film pour lequel Abderrahmane Sissako l’a sollicité dès le départ – après avoir écrit le scénario -, il a tout laissé tomber à Paris. Il est parti tourner six semaines dans le désert de Mauritanie, en 2013, dans des conditions parfois difficiles. Il n’en parle pas mais, pour mémoire, l’opération Serval, l’intervention militaire française déclenchée en janvier 2013 au nord du Mali, était encore en train de traquer les islamistes et de libérer les villes maliennes, de l’autre côté de la frontière.

« C’était parfois spartiate, raconte-t-il. On dormait sur de petits matelas mousse, et l’armée mauritanienne, des militaires avec des vraies mitraillettes, encadrait notre convoi dès qu’on changeait de décor ».

L’ambivalence du terroriste

Abel Jafri y incarne un émir d’Aqmi tout en nuances – un homme presque sympathique sous sa carapace de chef de guerre. « On n’est pas dans le cliché avec les gros durs, explique-t-il. Les responsables jihadistes sont dans un rapport social avec les gens ». Il a travaillé son rôle sur la base d’une épaisse documentation et en rencontrant des gens en Mauritanie qui avaient été en contact avec des islamistes. Comme l’explique le réalisateur Abderrahmane Sissako au journal Libération, « celui qui est barbare est d’abord un être humain et avant d’être un égorgeur, il a été enfant ».

Abdelkrim, qui serait l’un des surnoms donné à l’émir touareg d’Aqmi, est un homme traqué et dangereux dans la vraie vie. Dans le film Timbuktu, il est dépeint comme quelqu’un qui ne sait pas conduire un 4×4 et se cache derrière une dune pour fumer. Un homme qui détient un otage français mais lui donne ses médicaments, qui tourne autour d’une belle Touarègue sans pour autant la harceler. Ce personnage de fiction, auquel Abel Jafri donne un côté décidément très humain, laisse ses lieutenants exécuter les basses besognes. Il se détourne d’une scène où une femme est fouettée en public pour avoir chanté, comme s’il ne supportait pas la violence qu’il sème lui-même… 

Une aventure humaine en Mauritanie

Abel Jafri a vécu une aventure cinématographique et humaine unique à Oualata, le village du désert mauritanien où a été tourné l’essentiel du film, dans un décor naturel similaire à toutes les villes du nord du Mali. En dehors du tournage, il a vécu une expérience humaine très forte, en partageant le quotidien des habitants : il a d’abord entrepris de ramasser tous les déchets en plastique apportés par le vent et qui rendent malade le bétail, en mobilisant les enfants. Ensuite, il a organisé des parties de football avec les garçons du village. Des jeunes qui ont tourné la fameuse scène magique du film : un match dans le sable autour d’un ballon imaginaire, dans un acte de pure résistance à la loi des islamistes.

Avec ce premier grand rôle, l’acteur espère sortir des rôles typés qu’on lui confie depuis longtemps au cinéma ou la télévision. Souvent, il joue les Algériens, les petites frappes – dans Voyoucratie, un premier long métrage français de Kevin Ossana et Fabrice Garçon – ou les éducateurs sociaux, dans Famille d’Accueil, une série produite par France 3. « J’aimerais aussi faire le libraire du coin ou le type qui aime sa femme, sourit-il. L’avocat ou le médecin issu des minorités, qui existe dans la société française mais n’est pas représenté à l’écran ».

« On ne fait pas des films pour avoir la Palme d’or »

Positif, cet acteur prend la vie comme elle vient. S’il n’a pas toujours les rôles dont il rêve, il n’a pas hésité au début de sa carrière à prendre les petits boulots qui se présentaient : coursier, gardien de nuit, barman, représentant de commerce. Il le répète sans aucune animosité : « On nous colle souvent des étiquettes, mais nous n’avons pas vécu dans nos pays d’origine. Je porte la mémoire de mes parents, mais mes origines, ce sont les vaches de Saône-et-Loire, les conjugaisons, les baskets obligatoires pour le sport et les vacances passées entre Aubervilliers et La Courneuve. On était neuf à la maison, mes parents n’avaient pas les moyens... »

Avoir vu la Palme d’or échapper à Timbuktu au festival de Cannes ne lui a laissé aucune amertume. « On ne fait pas des films pour avoir des récompenses ! Et puis, c’était déjà très bien d’être sélectionné, de voir la réaction du public. A la sortie des projections, de grands cinéastes comme Tarantino nous faisaient des signes pour nous dire qu’ils avaient aimé. » Dans les festivals de cinéma, où il a accompagné Abderrahmane Sissako ces derniers mois pour présenter le film, d’autres réalisateurs lui ont proposé des rôles similaires, pour jouer les barbus dans le désert, dans une production au Moyen-Orient notamment. Il a décliné. « Je n’ai pas envie de faire le terroriste pendant les vingt-cinq prochaines années, explique-t-il. Je me sens plus Européen. Je n’ai pas ce désir d’aller faire des choses ailleurs. Et puis nous avons de très bons réalisateurs en France. »

 

Source: RFI

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