Le premier ministre, Soumeylou Boubey MAIGA, a présidé ce lundi 10 décembre 2018, les travaux de la 23ème session de l’Espace d’interpellation démocratique (EID) au Palais de la Culture, Amadou Hampathé BA, de Bamako. Sur 454 cas d’interpellation adressés aux autorités politiques et administratives du pays, 210 ont été retenues par la Commission d’organisation. Ces interpellations ont été examinées par un Jury d’honneur de 9 membres, dirigé par Me Dior Fall SOW, ancienne procureure de la République du Sénégal.
Membres du gouvernement, partenaires au développement, organisations de défense des droits de l’Homme et de la société civile ainsi que les interpellateurs étaient nombreux à prendre part à cette journée qui s’inscrit dans le cadre de la Journée commémorative de la Déclaration universelle des droits de l’Homme.
Exercice salutaire
Institué dans notre pays depuis 1997, l’EID est une véritable tribune de promotion et de protection des droits de l’homme qui se tient chaque année en marge de la célébration de la Journée internationale des droits de l’homme.
Dans son mot de bienvenue, la présidente, Mme Dior Fall SOW, a tenu a remercié le gouvernement du Mali pour la tenue de cette session. «Cet espace est important pour que les administrés et les administrateurs puissent se comprendre pour résoudre les problèmes du pays dans le dialogue», a-t-elle souligné.
A l’ouverture des interventions, le Médiateur de la République, Baba Akhib HAIDARA, a souligné que la dynamique enclenchée, depuis la 19ème Session en 2014, s’appuyant sur des mécanismes de fonctionnement sans cesse améliorés et procédant par des écoutes toujours plus proches des concitoyens, où qu’ils se trouvent, continue de produire des effets positifs sur la participation populaire à l’Espace d’interpellation démocratique.
Le record
Ainsi, a-t-il fait savoir, les demandes d’interpellations sont passées de 177 en 2013 à 290 en 2017. Ce record vient d’être pulvérisé avec 454 demandes enregistrées en 2018. Devant cette forte croissance d’intérêt de nos concitoyens pour l’EID, il est encourageant de relever que le taux de participation des régions, en dehors du District de Bamako ne cesse également d’augmenter.
En effet, sur les 454 demandes d’interpellation, 367 proviennent des régions, soit 80,82 % et 84 de Bamako soit 18,50%. Quant à la participation féminine, elle s’accroît légèrement, passant de 5 % en 2017 à 7,26% en 2018.
Conformément aux textes en vigueur, a-t-il expliqué, la Commission préparatoire a procédé à un examen minutieux des 454 dossiers reçus et les a classé comme suit : 45 dossiers retenus pour la lecture ; 210 pour « suite à donner» et 199 qui n’ont pas été retenus pour non-conformité avec les critères de l’EID.
Le foncier, première raison de saisine
Encore une fois, de l’analyse des dossiers d’interpellations, on peut constater la récurrence des litiges domaniaux et fonciers qui représentent à eux seuls 41,40 % de l’ensemble des interpellations reçues. A ces litiges s’ajoutent ceux relatifs au fonctionnement de la justice, aux situations administratives irrégulières, aux licenciements abusifs, aux violations des droits de la personne, etc.
Au sujet du rapport-bilan du gouvernement, concernant l’exécution des recommandations des EID, M. HAÏDARA a fait savoir que beaucoup de préoccupations, qui ont fait l’objet d’interpellations, ont été effectivement prises en charge par les ministères concernés. Sur les 147 interpellations retenues pour «suite à donner», 90 ont reçu des réponses soit 61,22%. A cet effet, il a salué la prompte réactivité des départements ministériels aux sollicitations de sa structure ainsi que la résolution de bon nombre de dossiers traités.
Selon ses organisateurs, l’accroissement continu du nombre d’interpellations, dans le cadre de l’EID, reflète la confiance que les citoyens placent dans l’Institution du Médiateur de la République dans leur quête de justice et d’équité. Pour Baba Akhib HAIDARA, cette confiance est largement tributaire du travail inlassable que mènent les défenseurs des droits humains issus de la société civile d’une part, et d’autre part, le Médiateur de la république.
Les griefs des défenseurs des droits humains
Présents lors de cette cérémonie, les responsables des organisations de la société civile ont dénoncé l’approche du gouvernement en matière de promotion et de protection des droits de l’homme. Ainsi, ces organisations à l’instar de la CNDH, l’AMDH, la CN-CIEPA/Wash, etc. ont dénoncé l’impunité, l’insécurité galopante, les atteintes graves aux libertés d’expression et de manifestation, le faible accès des populations aux services sociaux de base dans plusieurs localités du pays ; enfin à l’inégalité d’accès aux médias d’État…
De son côté, M.Malick COULIBALY, président de la CNDH, a indiqué que l’impunité est la sève nourricière du crime. «Elle est pour le crime ce qu’est le Nil pour l’Egypte», a-t-il dénoncé.
Au Mali, explique Malick COULIBALY, l’impunité résulte de la paralysie de la Justice dans les zones où l’insécurité règne en maître. Par ailleurs, a-t-il déploré, elle est le fruit de nombreux dysfonctionnements du service public de la justice.
Pour illustrer ces propos, il a cité, entre autres, les tueries de Aguelhok en 2011, l’affaire des 16 prêcheurs mauritaniens et maliens tués en 2012, la mort suspecte du jeune Fousseyni OUATTARA le 19 août 2012, les charniers non encore refroidis de Sokolo, Dioura, Dogo, etc. «Dans ces affaires tragiques, la réponse pénale appropriée se fait attendre», s’est insurgé l’ancien de la justice de la Transition de 2012.
Comme conséquences de cette impunité M. COULIBAY, par ailleurs ancien magistrat, constate avec regret la résurgence de la vindicte populaire et de la justice privée. Au passage, rappelle-t-il, le mois dernier, une mère a perdu 3 de ses fils, le 30 octobre courant à Doumanzana. Lynchés pour avoir eu le malheur d’être assimilables à des voleurs. Pour Malick COULIBALY, «le sentiment d’impunité peut expliquer la justice populaire ; elle ne peut en aucun cas la justifier», s’est-il insurgé.
La loi d’entente incriminée
Pour sa part, le représentant de l’AMDH, Bréhima KONATE a souligné que l’impunité est aussi induite par le projet de loi d’entente nationale, à travers ses articles 3 et 4. De la lecture combinée de ces textes, a-t-il fait savoir, il résulte que les crimes isolés non imprescriptibles peuvent être «exonérés ». Ce qui fait dire à Me KONATE que si elle venait à être votée par les députés, le 13 décembre 2018, cette loi d’entente nationale risque d’anéantir tous les efforts consentis par l’État lui-même, ses partenaires et la société civile en matière de justice, de paix et de réconciliation nationale.
A cette tribune, la Coalition nationale pour la campagne internationale pour l’eau et l’Assainissement CN-CIEPA/Wash, a indiqué que dans son rapport 2017, il ressort que 6 millions de Maliens n’ont toujours pas accès à l’eau potable, soit le tiers de la population. De même, 1.269 villages ou fractions ne connaissent pas toujours le gout de l’eau potable. Pour changer la donne, cette coalition invite l’Etat à allouer 5% du budget national au secteur hydraulique d’ici 2023 ; promouvoir l’accès équitable des populations aux services d’eau et d’assainissement ; aménager des dépôts de transits et des décharges finales à Bamako et dans les capitales régionales, etc.
En somme, bien que n’étant pas une juridiction, ce Forum offre aux populations un cadre favorable à la dénonciation des mauvaises pratiques administratives en même temps qu’il leur permet d’apprendre à exercer, de façon citoyenne, leurs droits et libertés démocratiques dans un état de droit.
Par Abdoulaye OUATTARA
Source: info-matin