Mamadou Konaté, revendeur de timbre fiscal et gérant d’un parking de motos devant un tribunal de grande instance à Bamako, déclare qu’il ne revend pas plus de vingt timbres par semaine contre une moyenne de 200 avant la grève illimitée des magistrats. Une situation qui perturbe son commerce.
Le Focus : Depuis le début de la grève illimitée des magistrats, quelles sont vos difficultés ?
Mamadou Konaté : Avant la grève, je pouvais revendre plus de 40 timbres par jour, soit 200 par semaine, mais aujourd’hui, je ne vends pas plus de 20 timbres par semaine. Ce qui fait que la grève illimitée des magistrats a causé plus dégâts qu’on ne pouvait l’imaginer. Ils ne viennent même plus au tribunal. Il n’y a pas de jugement depuis deux mois. Tous les travaux sont arrêtés. La situation est devenue inquiétante. Nous ne savons plus quoi faire. Notre activité principale est de revendre ces timbres fiscaux et faire le parking de motos devant le tribunal. Ce petit commerce ne nourrit plus son homme. En clair, pas de juge, pas de client pour nous. C’est les deux à la fois : le timbre ne marche plus et il y a moins d’affluence au parking.
Le Focus : Comment faites-vous pour survivre ?
M. K. : Nous survivons réellement. Ce n’est plus une vie. J’ai de la chance, car la grève a trouvé que j’avais économisé un peu d’argent. J’avais 75 000 F CFA sur mon compte Orange-Money. Ces deux derniers mois, je me débrouillais avec ça. Maintenant, ce compte est presque vidé et la grève illimitée bat son plein. Je compte m’endetter auprès d’un ami, commerçant au Grand marché de Bamako. Dans le cas contraire, j’enverrai ma femme et mon enfant au village. Sinon, on ne peut pas continuer à vivre dans cette situation. Heureusement que ma femme, qui est du même village que moi, n’a pas assez de problème. Elle comprend la situation et me soutiens sans faille.
Je comptais prendre le chemin de la migration pour un avenir radieux hors du continent. Certes le chemin n’est pas facile, mais c’est mieux qu’ici. Les magistrats grévistes revendiquent leurs droits parce que fonctionnaires d’Etat contrairement à moi. Qui est là pour revendiquer mon droit ? A m’aider à résoudre mon problème personnel ou à me donner un emploi formel ? Personne, excepté ma femme. On est abandonné par le gouvernement.
Les magistrats qui revendiquent l’amélioration de leurs salaires et le renforcement de leur sécurité nous insultent à la limite. De toute façon, si le mot d’ordre de la grève illimitée n’est pas levé avant la fin de ce mois, je chercherai d’autres solutions. Et ça sera la traversée du désert pour rejoindre l’Europe (l’Italie ou en l’Espagne).
Il n’y a plus d’avenir pour moi dans ce pays. Tout est corrompu. Je croyais que les magistrats étaient à notre service, mais récemment j’ai compris beaucoup de choses. Personne ne travaille pour sauvegarder les droits fondamentaux des pauvres citoyens. Ils travaillent tous pour eux-mêmes et leurs familles. Ça, on peut le dire ouvertement.
Le Focus : Un message à l’endroit du gouvernement et des syndicats grévistes ?
M. K. : Je demande aux magistrats de revenir travailler. Les Maliens ont assez souffert. Les gens sont en prison. Ils devaient être jugés depuis le mois passé. Ces détenus sont dans la galère. Mais si c’était le frère ou la femme d’un des leurs qui était prisonnier ou prisonnière pendant cette période, il n’allait pas agir comme ça. Il allait trouver une solution rapide. Mais, quand on est pauvre on n’a pas souvent le choix.
Les gardés en vue souffrent énormément. Ils n’ont même pas à manger trois fois par jour. Ces grévistes s’en contrefichent. Ils sont avec leurs familles. En plus, ils mangent tranquillement dans leurs maisons et passent tout leur temps à raconter n’importe quoi à la presse. Nous en avons assez de cette fantaisie. Il faut qu’ils le sachent. Qu’ils arrentent un peu et pensent aux Maliens emprisonnés et aux paisibles citoyens.
Propos recueillis par Hamissa Konaté
Le Focus