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Une candidature rwandaise à la tête de l’OIF: pourquoi et comment?

Rien ne va plus à l’Organisation internationale de la Francophonie. A quatre mois de l’élection cruciale à la tête de l’OIF, la campagne vient de commencer avec l’annonce de la candidature de la Rwandaise Louise Mushikiwabo, soutenue par la France. Cette candidature à laquelle personne ne s’attendait vient perturber les calculs de l’actuelle secrétaire générale Michaëlle Jean, candidate à sa propre succession. Derrière les rivalités de personnes pointent des enjeux économiques et géopolitiques.

Acte I du renouveau quadriennal à la tête de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF). Alors que c’est seulement en octobre prochain, à Erevan (Arménie), lors du XVIIe sommet réunissant les 83 chefs d’Etat et de gouvernements de l’OIF que sera dévoilé le nom du prochain patron (ou patronne) de l’organisation, la Francophonie est déjà entrée en campagne avec l’annonce récente par le chef de l’Etat français en faveur d’une candidature rwandaise à ce poste. Ce scénario était fortement évoqué depuis quelque temps dans les milieux autorisés.

«  La ministre des Affaires étrangères du Rwanda a toutes les compétences et les titres pour exercer cette fonction », a proclamé Emmanuel Macron, apportant haut et fort son soutien à la candidature de Louise Mushikiwabo, cheffe de la diplomatie rwandaise depuis 10 ans, au poste prestigieux du secrétaire général de l’OIF. Le président français a profité du passage à Paris du Rwandais Paul Kagame pour officialiser la position de la France.

En raison du rôle central de Paris au sein de l’organisation francophone dont celui-ci est le principal bailleur de fonds, la proclamation du président français sonne comme un adoubement de la candidature rwandaise. C’est aussi une déclaration de guerre à l’actuelle secrétaire générale, la Québécoise Michaëlle Jean, candidate à sa succession. Le courant n’est jamais très bien passé entre la Canadienne et le président Macron. Toute cette publicité « qui n’est pas dans les habitudes » de la diplomatie francophone « donne l’impression que Michaëlle Jean a commis une faute tellement lourde qu’elle devrait être sanctionnée », a déploré l’historien congolais Isidore Ndaywel, à l’antenne de RFI.

Pour le moins inattendue à cause des relations tendues entre Paris et Kigali depuis le génocide de 1994 au Rwanda, l’annonce du président français a pris de court la planète francophone, qui se perd, depuis, en conjectures sur l’opportunité de la candidature rwandaise.

« J’ai été d’autant plus surpris que le Rwanda n’a pas témoigné jusqu’ici d’un intérêt démesuré pour la francophonie », s’est étonné pour sa part un ambassadeur africain, qui suit de près les affaires francophones. Membre de l’organisation des pays ayant le français en partage depuis sa fondation en 1970, le pays des Mille Collines a pris ses distances, sous Paul Kagame, avec l’OIF, et a rejoint le Commonwealth en 2009. Paul Kagame a également banni la langue de Molière, héritée du colonisateur belge, dans les administrations, pour les relations publiques, le tourisme et même dans les écoles et les universités, tout en restant membre de l’OIF.

La candidature rwandaise bouscule la donne. Prenant la parole lors de son passage à l’Elysée en mai dernier, en marge du salon Vivatech consacré à la technologie numérique qu’il a visité en compagnie du président Macron, le chef de l’Etat rwandais n’a pas manqué de brandir sa présence ininterrompue dans la famille francophone depuis bientôt un demi-siècle comme un argument justifiant son ambition nouvelle de diriger l’OIF. Il a également déclaré combien il était heureux de contribuer à la Francophonie en « proposant des personnalités comme Louise Mushikiwabo ».

L’homme fort de Kigali n’a pas convaincu pour autant, notamment les fonctionnaires de l’OIF qui, eux aussi, ont été pris de court par le soutien inattendu de la France à la candidature rwandaise. Ils pointent du doigt la contradiction entre la logique « tout anglais » épousée par le Rwanda et la mission de la Francophonie consistant à favoriser le rayonnement de la langue française. Sous couvert d’anonymat, les diplomates de l’avenue Bosquet (siège parisien de l’OIF, NDLR), évoquent l’acquittement tardif tous les ans par le gouvernement rwandais de sa quote-part au budget de l’OIF. Plus inquiétant encore à leurs yeux, le peu d’égards témoignés envers les observateurs dépêchés par la Francophonie à la dernière élection présidentielle remportée par le président Kagame en 2017 avec plus de 98% de voix.

Aux commandes depuis 1994, Paul Kagame a instauré un régime autoritaire au Rwanda dont il a changé la Constitution qui lui permet, désormais, de rester au pouvoir jusqu’à 2034. Considérée par beaucoup comme le numéro deux du régime, Louise Mushikiwabo, ministre des Affaires étrangères et porte-parole du gouvernement rwandais depuis bientôt une décennie, a brillé par sa fidélité à la ligne du président qu’elle défend bec et ongles, jusqu’à en assumer les excès et les dérives en matière de respect des droits de l’homme et la liberté d’expression.

Habituée à être la voix de son maître, saura-t-elle, si elle est élue, affirmer son indépendance et promouvoir, comme l’exigent les textes normatifs de l’OIF, les pratiques de la démocratie, des droits et des libertés dans tout l’espace francophone, y compris au Rwanda, s’inquiète-t-on au siège de la Francophonie.

Une diplomate pas comme les autres

Malgré ces inquiétudes légitimes, tous reconnaissent les grandes qualités personnelles de la candidate rwandaise. « Diplomate chevronnée, convaincante, cultivée, elle saura donner du lustre à l’OIF qui en a bien besoin », affirme un ancien diplomate du Quai d’Orsay qui l’a pratiquée lors des négociations internationales et a pu mesurer de près sa capacité de résilience. Le « franc-parler » de la ministre rwandaise suscite l’admiration des diplomates habitués au tact et à la circonspection de leurs pairs et fatigués de devoir lire entre les lignes. « Sa formidable histoire personnelle, doublée de son expérience précieuse à l’international, font d’elle une excellente candidate pour le poste du secrétaire général de l’OIF », confie un ancien haut fonctionnaire de la Francophonie qui a vu les secrétaires généraux à l’œuvre depuis la création de ce poste il y a une vingtaine d’années.

Fille cadette d’une famille de propriétaire terrien, Louise Mushikiwabo a grandi à Kigali dans les années postcoloniales marquées par la montée des tensions entre Hutu et Tutsi. Elle a vu sa famille proche se faire décimer en 1994 par les génocidaires. Seul membre tutsi du gouvernement Habyarimana, son frère aîné Lando Ndasingwa, homme politique en vue, fut l’une des premières personnalités assassinées avec toute sa famille, lorsque le génocide a commencé en avril 1994. Louise, qui a été épargnée parce qu’elle était partie faire des études aux Etats-Unis, est « un pur produit de l’histoire tragique rwandaise », déclare le politologue rwandais Paul Kananura, exilé à Bordeaux. « C’est ce qui expliquerait à mon avis son allégeance sans faille aujourd’hui à la ligne politique de Paul Kagame, mettant en avant l’unité du pays et la stabilité », poursuit le politologue.

Louise Mushikiwabo a vécu 20 ans aux Etats-Unis où elle a fait des études de français et d’interprétariat. Elle y a travaillé comme interprète professionnelle, a participé à diverses activités humanitaires et a publié un livre à mi-chemin entre témoignage et récit intitulé Rwanda means the Universe (Saint Martin’s Press, 2007), avant de revenir s’installer dans son pays à l’invitation de Paul Kagame. Ce dernier la nomme d’abord à la tête du ministère de l’Information, avant de lui confier en 2009 le portefeuille des Affaires étrangères.

En tant que diplomate en chef du Rwanda, la protégée de Kagame a marqué les esprits à l’international par son éloquence dans la langue de Molière comme dans celle de Shakespeare, son intransigeance et son souci de mettre constamment en avant les progrès économiques et technologiques de son pays comme réponses aux attaques sur le déficit de démocratie et de libertés du régime qu’elle défend.

Vers une candidature africaine unique

« Outre ses talents personnels nombreux, le grand atout de la candidature de Louise Mushikiwabo est avant tout d’être africaine », rappelle un spécialiste de la Francophonie. En effet, soucieux de ne pas perdre de nouveau un poste qu’ils considèrent devoir leur revenir, les Africains négocient depuis des mois, afin d’éviter de retomber dans la situation où ils se sont retrouvés il y a 4 ans à Dakar, lorsque les divisions africaines ont fait le jeu de l’actuelle secrétaire générale Michaëlle Jean.

Les Africains ont été confortés par Emmanuel Macron qui n’a eu de cesse de leur rappeler que le gros du bataillon de la francophonie se trouve aujourd’hui sur leur continent. « Je crois très profondément que le centre de gravité de la Francophonie est en Afrique, et que si nous voulons faire réussir la Francophonie, on doit la décentraliser, s’assurer que la jeunesse africaine se l’approprie et penser la Francophonie dans le plurilinguisme », a répété le chef de l’Etat français en recevant Paul Kagame à l’Elysée le 23 mai. Selon le magazine Jeune Afrique qui a été le premier à révéler le soutien de la France à la candidature rwandaise, c’est Rabat qui aurait joué « le rôle d’intermédiaire, à la demande de la France, pour suggérer à Kigali de présenter cette candidature rwandaise ».

« Derrière les personnes, il y a une formidable convergence d’intérêts économiques et géopolitiques, affirme pour sa part Pascal Airault, journaliste à L’Opinion et co-auteur de Françafrique. Opérations secrètes et derniers mystères (Tallandier, 2016).  Le Rwanda est un petit pays qui exerce une influence disproportionnée dans sa région. Pour le pragmatiste Emmanuel Macron, normaliser les relations avec le Rwanda permettra à la France de reprendre sa place dans la région économiquement stratégique des Grands Lacs où les Américains sont omniprésents depuis Bill Clinton. »

Explication de texte d’Antoine Glaser, journaliste et écrivain français, spécialiste de l’Afrique : « La Francophonie a toujours été utilisée par la France comme un instrument pour défendre les intérêts français. Paris s’est servi de Boutros Boutros-Ghali comme d’Abdou Diouf, les premiers secrétaires généraux, pour avancer ses pions en Afrique. Sous François Hollande, la France n’ayant plus les moyens a passé la main au Canada, qui a imposé la candidature de Michaëlle Jean. Emmanuel Macron tente aujourd’hui de reprendre la main. Il fait mieux, en faisant d’une pierre deux coups. En proposant le poste de secrétaire général à la ministre rwandaise, il réconcilie la France avec le Rwanda d’une part et s’assure d’autre part que la direction de l’OIF revienne à l’Afrique. C’est un coup de maître digne d’un champion d’échecs, car personne ne sait mieux que le président français que désormais la sauvegarde des intérêts de la France passe par les chefs d’Etat africains. Cela peut paraître très cynique, mais c’est ainsi. »

La promotion des droits et des libertés citoyennes dont l’OIF a fait son cheval de bataille depuis les années 2000, avec plus ou moins de succès, risque d’être la première victime de l’entente cordiale franco-rwandaise, comme le craignent les fonctionnaires de l’avenue Bosquet.

L’Acte II du jeu électoral à la tête de la Francophonie se déroulera, en juillet, au sommet de l’Union africaine à Nouakchott, où le Rwanda qui dirige actuellement l’UA a placé la question d’une candidature unique africaine sur l’agenda des chefs d’Etat. Beaucoup pensent que d’ici là une candidature anti-Louise Muchikiwabo a encore quelque chance de mobiliser les démocrates africains autour des fondamentaux de l’OIF que sont, entre autres, la démocratie et la langue. Mais qui pourra l’incarner ? La question devra rester ouverte tant le bilan de l’actuelle secrétaire générale de la Francophonie, la seule autre candidate déclarée à ce jour, peine à convaincre la sphère diplomatique francophone.

RFI

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