Comment peut-on dire que la justice est une priorité lorsque la part budgétaire qu’on lui accorde ne dépasse pas 1% ? Comment avoir une bonne justice si les magistrats chargés de rendre cette justice ne sont pas financièrement indépendants (salaire insuffisant, pas de sécurité sociale garantie etc.)? Comment avoir une bonne justice si les conditions de travail des magistrats laissent à désirer à tout point de vue (infrastructures, mobiliers, outils de travail comme l’ordinateur etc.)? Comment mettre les magistrats à l’abri de la tentation dans un contexte de précarité des conditions de travail et salariales ? Comment lutter efficacement contre la corruption et asseoir les bases de la démocratie et garantir la souveraineté de l’Etat avec de telles conditions déplorables de travail des magistrats ?
L’organisation judiciaire du Mali
En 2012, le Mali a connu un coup d’état militaire et l’occupation des régions du Nord par les groupes armés islamistes, encore actifs dans certaines régions. Aujourd’hui, le pays a entamé une période de transition ayant comme objectif de restaurer la paix et l’unité nationale.
Le système judiciaire malien est fortement inspiré du droit français . La justice est rendue par des tribunaux de première instance (au nombre de 16), des justices de paix (juridiction civile) aux compétences étendues (au nombre de 42), des Cours d’appel (au nombre de 3) et les tribunaux administratifs (au nombre de 03). Parmi les juridictions spécialisées on retrouve aussi les tribunaux militaires
Les juges sont nommés par le président de la République qui est lié par les propositions du Conseil supérieur de la magistrature .Il subsiste une justice traditionnelle, qui mêle droit coutumier et droit musulman. Cependant son influence décline peu à peu au profit de la justice formelle . En matière de droit coutumier, la composition des juridictions de première instance et de paix est complétée par deux assesseurs de la coutume des parties.
La Constitution prévoit que les magistrats du siège sont inamovibles et que le président de la République est garant de l’indépendance du pouvoir judiciaire . Quant au droit international, le Mali a ratifié la plupart des conventions internationales relatives à la promotion et à la protection des droits de l’Homme, mais aussi le Statut de Rome en 2000 instituant la Cour pénale internationale (CPI).
Un personnel judiciaire réduit face à la forte demande
En 2012, le secteur de la justice au Mali avait un budget de 0,6 % du budget national La justice malienne souffre de plusieurs défaillances. Le nombre de magistrats est insuffisant pour assurer une bonne couverture territoriale. En 2016, il y avait 571 juges, c’est-à-dire 1 juge pour 44.345 habitants . En 2008, il y avait 333 greffiers, et 70 greffiers en chef pour une population de 12 millions d’habitants environ. Les derniers auditeurs recrutés remontent à l’année 2010.
En 2016, il y avait 571 juges, c’est-à-dire 1 juge pour 44.345 habitants . En 2008, il y avait 333 greffiers, et 70 greffiers en chef pour une population de 12 millions d’habitants environ
Récemment, il y a eu un concours de recrutement d’auditeurs de justice dont les résultats ne sont pas encore publics. L’efficacité de la justice est affectée par la précarité des moyens matériaux et la mauvaise gestion, menant inévitablement à une justice lente. Les frais de justice sont trop élevés et les citoyens ne peuvent pas bénéficier d’une aide juridictionnelle de la part de l’Etat, car inexistante de facto. Les procédures pour y accéder sont souvent très longues.
Les frais de justice sont trop élevés et les citoyens ne peuvent pas bénéficier d’une aide juridictionnelle de la part de l’Etat, car inexistante de facto. Les procédures pour y accéder sont souvent très longues
Il existe seulement quelques bureaux de clinique juridique qui fournissent des services d’assistance judiciaire gratuits. Ces bureaux sont l’œuvre d’associations de défense des droits de l’Homme . La justice malienne est caractérisée par la coexistence de plusieurs ordres juridictionnels (pluri-juridisme) ; causant un manque de transparence pour les justiciables et des relations parfois conflictuelles entre les institutions formelles et traditionnelles. La capacité des autorités judiciaires à mener des enquêtes en dehors des grandes villes demeure limitée en raison de l’instabilité de la situation sécuritaire . La corruption au sein des autorités judiciaires est également présente
Les défis à relever pour une justice au service des justiciables maliens
Une refonte profonde du budget de fonctionnement de la justice, en passant de 0,6% à 5% du budget national pour assurer l’indépendance de la justice et renforcer la démocratie, est plus que nécessaire. Cette refonte permettra certainement de rehausser le niveau du salaire des magistrats pour leur permettre de se mettre à l’abri du besoin et de la tentation. Elle leur permettra également de travailler dans un environnement adéquat afin de rendre efficacement les décisions de justice dans les conditions optimales de travail (infrastructures, équipements de bureau, frais de déplacement, etc.).
Une refonte profonde du budget de fonctionnement de la justice, en passant de 0,6% à 5% du budget national pour assurer l’indépendance de la justice et renforcer la démocratie, est plus que nécessaire
De surcroît, la dépolitisation de la justice pour permettre aux magistrats de travailler indépendamment, sans pression de quelque nature, au nom de la séparation des pouvoirs pour renforcer les institutions judiciaires et la démocratie en déroute. La formation initiale et continue des magistrats doit être une priorité. Par exemple, leur spécialisation en :
- Droit économique;
- Droit des affaires ;
- Sur les flux financiers illicites au sein des industries extractives ;
- Droit fiscal, etc.
Ceci permettra aux magistrats d’être mieux outillés pour lutter efficacement contre certains fléaux (flux financiers illicites au sein des industries extractives, la fraude et, l’évasion fiscale…), qui contribuent à l’appauvrissement de l’Etat en absence de répondant sur le plan judiciaire.
Par ailleurs, la loi instituant le Bureau du Vérificateur Général (BVG) doit être impérativement révisée afin de lui accorder les pouvoirs d’investigations (pouvoir de poursuite) propres pour les cas de fraude, en créant en son sein une cellule qui s’occupera uniquement de ce volet
Par ailleurs, la loi instituant le Bureau du Vérificateur Général (BVG) doit être impérativement révisée afin de lui accorder les pouvoirs d’investigations (pouvoir de poursuite) propres pour les cas de fraude, en créant en son sein une cellule qui s’occupera uniquement de ce volet. Ce qui permettra au Vérificateur Général de remettre les dossiers de scandales financiers et autres détournements aux différents procureurs généraux près les différentes Cours d’appel du Mali et non au président de la République, qui n’est pas une institution judiciaire. Ainsi, il revient à la justice de poursuivre les auteurs et complices conformément à l’esprit des lois en république.
Autre chantier phare pour la proximité de la justice avec les justiciable, est l’adoption , depuis 2011, de la loi portant création des juridictions et une autre fixant le ressort des juridictions. Ces lois sont en train d’être mises en œuvre progressivement, et depuis, les justices de paix à compétence étendue ont toutes été remplacées par les tribunaux d’instance composés d’au moins trois (3) magistrats (président, procureur, juge d’instruction).
Les Tribunaux de première instance (TPI) ont été remplacés par les Tribunaux de grande instance (TGI) qui exigent en principe une collégialité pour rendre les jugements (3 magistrats comme dans les Cours d’appel).Mais, c’est la mise en œuvre qui est très lente en raison de certaines contraintes financières et de ressources humaines insuffisantes. Donc, il faudrait plutôt insister sur l’accélération de la mise en œuvre de ces lois pour rendre la justice proche des citoyens.
Bréhima Mamadou Koné, dit Patrice Emérite Lumumba est un chercheur spécialisé en politiques agricoles, en politiques publiques, à l’évaluation de programmes et de projets de développement.
Source: Wathi