« En Mauritanie, la philosophie générale des modes d’action a été de parvenir à avoirl’initiative opérationnelle en toutes circonstances »
Colonel mauritanien à la retraite, N’Diawar N’Diaye est consultant en géopolitique et conférencier sur les problématiques de sécurité internationale
Depuis les années 2000 et bien davantage au cours de la dernière décennie, la bande sahélo-sahélienne a connu des attaques terroristes régulières qui ont occasionné de nombreux morts et des blessés, jetant l’effroi et la consternation dans les États-Majors des pays touchés, peu habitués à cette forme de guerre opérée par des kamikazes.
Face à cette menace, la Mauritanie a su se réinventer en posant de nouveaux postulats stratégiques et opérationnels. A problème de souveraineté, solution de souveraineté. Les décideurs politiques et militaires mauritaniens, malgré des contraintes économiques majeures, ont reconstruit leur armée en l’équipant, en la formant avec l’aide de plusieurs partenaires (France, États-Unis) et surtout en l’entraînant selon des modes d’action alliant mobilité, légèreté, souplesse, réactivité, puissance-feu et appui aérien. La philosophie générale de ces modes d’action a été de parvenir à avoir, en toutes circonstances, l’initiative opérationnelle et cela a été payant, depuis lors.
La réorganisation de nos services de renseignement a été un atout déterminant dans la recherche, le recueil, l’analyse et l’exploitation des informations de manière humaine et électronique.
La responsabilité d’un État est d’assumer pleinement les obligations régaliennes en matière de défense et de sécurité de son territoire car personne ne le fera à sa place. Il appartient donc aux pays sahéliens de prendre les dispositions nécessaires pour reconstruire leurs armées, les former, les entraîner. C’est un préalable urgent et vital avant que l’aide internationale ne puisse les épauler et les accompagner dans leur combat pour la survie de leurs peuples. Si la Mauritanie l’a fait, les autres peuvent le faire. C’est une question de souveraineté, de volonté politique, de détermination et d’engagement national.
Cohésion sociale. Le Mali est le pays le plus durement touché par ces attaques terroristes et qui fait partie du ventre mou des pays du Sahel avec le Burkina et le Niger. Si rien n’est fait, nous risquons l’effondrement de ce pays doté d’une riche histoire et carrefour du commerce régional. Une partition de facto est en train de s’établir à Gao, Tombouctou, Kidal où le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) cherche à obtenir son indépendance via l’auto-détermination.
En 2013, si l’opération française Serval n’avait pas réussi à stopper in extremis l’avancée terroriste, le Mali serait aujourd’hui sous la coupe des groupes armés islamistes. L’armée malienne, complément désorganisée, n’avait pu opposer qu’une faible résistance bien que les forces djihadistes soient moins armées et expérimentées qu’aujourd’hui.
Depuis plusieurs mois, les conflits intercommunautaires ont fragilisé davantage la cohésion sociale et aggravé la situation sécuritaire.
Le Burkina Faso avait une armée structurée et très politisée. A la disparition de Thomas Sankara en 1987, ce pays a consacré ses efforts à la création et au renforcement d’une unité spéciale de parachutistes qui a attisé la jalousie des autres corps constitués. A la chute de Blaise Compaoré en 2014, les forces politiques ont détruit ce qui restait de cette unité d’élite sans pour autant s’atteler à la création d’une armée républicaine. Le général Gilbert Diendéré, ancien chef d’État-major particulier de Compaoré et ex patron du renseignement, a été poussé à la retraite avant d’être incarcéré à la suite du coup d’État, rapidement avorté, de 2015.
Cette armée-là, mal encadrée et démobilisée n’a pas eu les capacités nécessaires pour s’opposer à la déferlante terroriste et criminelle.
Le Niger dispose d’une bonne armée, bien qu’encore en construction, mais elle est confrontée à un problème de sous-équipement alors qu’elle doit intervenir sur un territoire très vaste. C’est une armée très politisée parce qu’elle a eu à occuper les devants de la scène politique des décennies durant. Elle abrite aussi la base aérienne française de la force Barkhane, ce qui focalise sur elle l’attention des terroristes et des éléments Boko Haram.
La force Barkhane de 4 500 hommes, dont il faut saluer au passage l’engagement et les sacrifices consentis, ne peut à elle seule éradiquer le fléau du terrorisme. Elle est bien équipée et possède des hommes déterminés évoluant dans des conditions difficiles. Mais le désert n’est pas leur théâtre d’opérations privilégié, ce qui constitue un handicap même s’ils ne le reconnaissent pas. L’introduction des drones armés n’aura qu’un impact relatif parce que les forces terroristes évoluent sur un théâtre qu’ils connaissent bien et sont renseignés et fugaces. Ces dernières bénéficient actuellement de l’apport de djihadistes qui viennent de la Libye, du Maghreb, de l’Asie. Ces combattants sont expérimentés, déterminés et équipés d’armes libyennes qui continuent à traverser le Sahara. Ils ont su s’attirer la complicité des populations locales moyennant des aides sociales, fruits de leurs multiples trafics.
Force Takouba. Les nouvelles forces spéciales européennes, appelées à être déployées au Sahel dans le cadre de la force Takouba, réduiront peut-être le lourd fardeau des morts et des blessés de cette guerre atypique, asymétrique mais ne l’éradiqueront pas.
Crée par le conseil de sécurité en 2013, la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma) a pour principales missions l’appui aux efforts de stabilisation du pays, la protection des civils et le rétablissement de l’autorité de l’État sur l’ensemble du territoire national.
D’un effectif de plus de 14 000 hommes, elle revient cher à la communauté internationale et n’a pas réussi, tant s’en faut, à restaurer l’autorité de l’État malien sur l’ensemble du territoire national. Elle peine à se déployer au nord du pays, ne parvient pas à protéger suffisamment les civils, comme en témoignent les exactions communautaires, encore moins à stabiliser le pays. Le Mali vit une situation de désolation et d’insécurité flagrante.
Au forum de Dakar sur la paix et la sécurité en novembre, les présidents de la Mauritanie et du Sénégal ont milité avec vigueur et passion pour que le multilatéralisme devienne une réalité objective dans la prise en charge de ce conflit. Ils ont demandé et plaidé, entre autres, pour des mandats robustes, des équipements et des règles d’engagements adaptés pour mettre fin à cette guerre asymétrique. Mais cela apparaît comme un vœu pieux quand on se réfère à la déclaration de Bintou Keïta, sous-secrétaire de l’ONU pour l’Afrique. La représentante onusienne déclarait en substance : « la lutte contre le terrorisme est un combat qui doit être mené par les armées nationales. Elle ne rentre pas dans le cadre des missions de l’ONU. Les mandats déjà robustes des missions de maintien de la paix peuvent être adaptés mais ils sont indépendants de la lutte contre le terrorisme ».
Compte tenu des failles et des insuffisances actuelles, des réajustements politiques, économiques et militaires s’imposent sans toutefois remettre en cause toute la stratégie adoptée. L’implication des partenaires étrangers est plus que jamais nécessaire. Ce n’est pas une guerre du Sahel pour les pays sahéliens. Elle dépasse largement ce cadre et s’étendra, au-delà du reste de l’Afrique, au monde occidental.
Appui feu. Une solidarité financière plus conséquente et plus rapide des pays nantis est indispensable pour soutenir cet effort de guerre. Les pays sahéliens, confrontés à des problèmes de développement primaire, ont d’autres priorités. En dehors des équipements nécessaires et vitaux dont ont besoin les armées africaines, il faut inconditionnellement soutenir l’effort de guerre et mettre en place une doctrine d’emploi de ces forces peu préparées au combat en zone désertique (hormis le Tchad et La Mauritanie). Il faut créer et entraîner ces forces dans des schémas tactiques alliant mobilité, légèreté, fugacité, puissance de feu et renseignements proactifs.
En outre, il serait judicieux d’intégrer certaines forces de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’ouest (Cedeao) telles que les armées aguerries et expérimentées du Sénégal et du Nigeria pour peu qu’elles s’acclimatent au combat en zone désertique. Les stratèges politiques et militaires auront le soin de réfléchir à la forme de cet engagement et de proposer les solutions les plus adaptées. Et trouver les interactions avec les armées nationales, la force du G5 Sahel, le dispositif Barkhane et des forces spéciales Européens. L’objectif est de tirer profit des différentes capacités dont les plus importantes sont assurément le renseignement qu’il faut mutualiser, l’appui feu aérien et la neutralisation des cibles clairement identifiées.
Enfin, les Etats devront s’atteler à la déradicalisation des djihadistes capturés et détenus comme les jeunes désœuvrés en quête d’aventure. Faite ou pas d’éminents d’érudits, cette démarche reste tributaire d’autres actions que sont la judiciarisation des crimes terroristes et l’application ferme des sanctions qui en résultent. En complément de ce dispositif, les États devront offrir aux repentis des perspectives de vie plus attrayante et porteuse d’espoir.
Cette guerre se gagnera militairement ou ne se gagnera pas. Le sous-développement, la précarité, la pauvreté, le manque d’éducation, le déficit sanitaire peuvent être à l’origine de la guerre ou inversement deses conséquences. Il faut sécuriser, stabiliser avant de développer mais il faut le faire rapidement car le temps presse, il y va de l’existence des États de la région.