A peine entrés dans l’adolescence, filles et garçons sont soumis sur ces sites à l’une des pires formes du travail des enfants. Ils cassent de la pierre et la transportent à longueur de journée
Dia Diakité n’a que 10 ans. Cette élève de l’école fondamentale travaille, durant son temps libre, dans la carrière de N’Tanfara située dans commune rurale du Mandé, cercle de Kati. Sa tache : ramasser et transporter les pierres. Il n’est que 10 heures du matin mais le soleil, déjà haut dans le soleil, balance une chaleur insoutenable qui n’empêche pourtant pas Dia de travailler normalement. Elle n’arrête qu’à 18 heures pour ramener 1000 Fcfa à la maison.
Comme elle, ils sont nombreux les enfants, filles et garçons, à travailler dans cette carrière artisanale. Ils sont employés à diverses tâches : concasser les pierres ou les ramasser ou encore les transporter en brouette. Outre le caractère physiquement harassant de ce travail, les mômes sont exposés à des risques de surdité du fait des explosions de mines à longueur de journée. Sans oublier le risque très élevé d’accidents occasionnés par les fréquentes chutes de pierres auquel il faut ajouter les conséquences de l’ingestion à fortes doses de poussière.
La majorité des enfants employés dans ces carrières ne vont plus à l’école. Ils travaillent pour le compte de leurs parents soit pour des exploitants contre rémunération.
Dia Diakité travaille au compte de sa maman qui, elle même, loue ses services à un des nombreux exploitants du site. Pour gagner la carrière, Dia doit parcourir à pied environ 5 km. La journée de travail débute vers 7 heures du matin. Elle fait la navette, un récipient rempli de pierres sur la tête, pour approvisionner Seydou (nous avons changé les noms) qui est chargé de les concasser à coups de marteau. Le garçon, de 13 à 14 ans, est à la fois concasseur et porteur de caillasses dans la carrière.
Culotte courte, chemise bleue noircie par la crasse, Seydou abat un travail colossal. Assis à côté d’une montagne de pierres et équipé d’un marteau, il casse les grosses pierres que la petite Dia lui apporte. Les deux enfants forment une équipe. Le garçon empoche 1500 Fcfa à la fin de la journée.
TIRER SA FAMILLE DE LA PAUVRETE. Tout à son travail, il prend à peine le temps de lever son visage couvert de sueur et poussière vers son interlocuteur. Il avoue que le travail est trop pénible pour lui. Mais il s’empresse d’ajouter qu’il doit le faire pour aider sa famille et aussi financer son départ pour l’étranger. Le jeune garçon rêve en effet d’horizons lointains pour faire fortune et tirer sa famille de la pauvreté. Cette ambition est si exclusive qu’il rejette en bloc toute idée d’aller à l’école ou dans un centre d’apprentissage. « La priorité est désormais de travailler pour venir en aide à mes parents », lance-t-il avec fierté. Mais, admet-il, il ferait un travail moins pénible s’il avait le choix.
Si Seydou et Dia sont payés à la journée, nombreux sont ici les enfants qui perçoivent un salaire mensuel. Leurs employeurs leur garantissent leurs trois repas quotidiens et un salaire mensuel de 20.000 à 22.500 Fcfa.
Sur le site, on croise donc des enfants qui cassent et transportent des pierres mais aussi d’autres, des filles, surtout, qui sont vendeuses ambulantes. Elles sillonnent la carrière et proposent de l’eau fraiche, des jus de bissap et de gingembre, etc. La petite Satourou vend des œufs durs à 100 Fcfa l’unité pour sa maman. Elle ne va pas à l’école car, explique-t-elle, ses parents n’ont pas les moyens de l’y envoyer. « Nous vivons de petit commerce mes parents et moi. Ma mère ne cesse de me dire qu’il faut que je l’aide à vendre ses marchandises pour qu’on puisse manger à notre faim », souligne Satourou.
Comme elle, nombreuses sont les petites filles soutiens de famille aujourd’hui. A peine sorties de l’enfance, elles effectuent des travaux pénibles au lieu d’aller à l’école. Les conventions internationales contre le travail des enfants peinent pour le moment à empêcher ce phénomène qui interpelle les pouvoirs publics et les parents. C’est tout le sens de la célébration de la Journée internationale de la lutte contre le travail des enfants qui a pour thème cette année : « Non au travail des enfants : oui à une éducation de qualité ». C’est une occasion de plaider pour une éducation de qualité et d’intensifier la lutte contre le travail des enfants.
Malgré l’engagement résolu des pouvoirs publics d’enrayer le travail des enfants dans notre pays, surtout dans ses pires formes, le phénomène reste répandu et trop d’enfants exercent encore dans différentes activités souvent très dangereuses.
Pourtant depuis 1998, le Mali a matérialisé sa volonté de combattre le phénomène par la ratification des principales conventions internationales protégeant les enfants d’une part et la mise en place d’un arsenal juridique au niveau national pour lutter contre le travail des enfants d’autre part. Ainsi, la Constitution de 1992 proclame dans son préambule la détermination du peuple malien « à défendre les droits de la femme et l’enfant ».
Malgré ces dispositions, constate Boucary Togo, le directeur de la Cellule nationale de lutte contre le travail des enfants, l’emploi précoce demeure encore un phénomène important dans notre pays.
Selon l’enquête nationale sur le travail des enfants réalisée en 2005, environ deux enfants sur trois âgés de 5 à 17 ans sont économiquement actifs, soit environ 3 millions d’individus, dont 93% sont des enfants économiquement actifs et âgés de 5 à 14 ans. Ils exercent un travail dommageable et 40% de la même tranche d’âge effectuent un travail dangereux. Face à cet état de fait, le gouvernement a décidé d’intensifier la sensibilisation du public sur la question, de renforcer la prévention et la répression des infractions au regard du Code de travail et d’intégrer la lutte contre le travail des enfants dans le Cadre stratégique de la lutte contre la pauvreté.
Mais la pauvreté explique-t-elle, à elle seule, l’accentuation du travail des enfants, surtout dans ses pires formes ? Pas si sûr ! Les politiques publiques menées pour la protection et la promotion des droits de l’enfant se heurtent à de nombreux obstacles : pauvreté, d’accord mais aussi, analphabétisme, persistance de pratiques coutumières, manque de moyens de l’État et des collectivités territoriales. En dépit donc des différents programmes mis en œuvre et de l’engagement de la société civile et des organisations non gouvernementales nationales et internationales, la situation des enfants reste difficile dans plusieurs domaines : accès à la santé, à éducation ou encore travail précoce.
Boucary Togo assure que ce n’est pas faute d’un effort soutenu de la Cellule nationale de lutte contre le travail des enfants. Il évoque à ce propos l’adoption d’un plan d’action national pour l’élimination du travail des enfants en juin 2011 pour la période de 2011-2020. Ce plan développe des stratégies multidimensionnelles afin de réduire le fléau de façon durable. En plus de ratifier les conventions internationales du travail, l’Etat a renforcé la législation nationale tout en améliorant les connaissances sur le phénomène.
Cependant, avertit Boucary Togo, l’ampleur de ce phénomène recommande d’agir et vite, notamment en traduisant en actes concrets tous les engagements pris par notre pays en matière de lutte contre le travail des enfants. L’Etat qui a privilégié jusque-là la sensibilisation, l’information et la réinsertion pour empêcher le travail des enfants dans les carrières et les mines artisanales, est appelé, maintenant, à appliquer la loi dans toute sa rigueur.
M. A. TRAORE
source : L Essor