Ce 9 janvier 2022, les chefs d’État de la CEDEAO vont devoir prendre des décisions après le projet de chronogramme de retour à l’ordre constitutionnel envisagé par les autorités maliennes. Ce sera entre un durcissement des sanctions et un compromis politique. Selon un politologue, “le bras de fer n’arrange personne”.
Entre le Mali et la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), l’heure de vérité s’est peut-être décidée entre la fin de 2021 et le début de 2022. S’appuyant sur les recommandations des Assises nationales de la refondation arrivées à leur terme le 30 décembre dernier, Abdoulaye Diop, le ministre malien des Affaires étrangères, est allé à Accra, la capitale du Ghana, soumettre un projet de chronogramme électoral au président en exercice de la CEDEAO, le chef d’État ghanéen Nana Akufo-Addo. Le document prolonge la transition jusqu’en décembre 2026 au plus tard. Or, depuis le putsch d’août 2020 qui a abrégé le pouvoir de l’ex-Président Ibrahim Boubacar Keïta, l’organisation régionale réclame un retour à l’ordre constitutionnel en février 2022. Ce timing, surprenant pour beaucoup d’observateurs et condamné par plusieurs partis et regroupements politiques, serait-il le défi de trop des colonels de Bamako à des chefs d’État ouest-africains placés de fait au pied du mur?
“De manière objective, lucide et rationnelle, il est déjà impossible d’organiser des élections au Mali en février 2022. Pourquoi la CEDEAO n’aiderait-elle pas le Mali à restaurer sa sécurité territoriale de sorte à pouvoir organiser des élections crédibles en lieu et place d’élections qui ne seraient possibles que dans une partie du pays avec des autorités qui n’auront qu’une emprise sur des portions du pays, notamment dans le centre et dans le nord? Au regard de cela, je me demande si l’organisation d’élections doit être la priorité dans ce pays d’autant que la CEDEAO sait que le Mali est en partie occupé par des terroristes”, souligne le docteur Sylvain Nguessan, analyste politique et sécurité, directeur de l’Institut de stratégies d’Abidjan, interrogé par Sputnik.
Communiqué de la CEDEAO sur le Mali pic.twitter.com/K0Py0JSHeU
Après Abdoulaye Diop à Accra, c’est le médiateur de la CEDEAO pour la crise malienne, Goodluck Jonathan, qui a débarqué à Bamako le 5 janvier dans l’optique de “faire entendre raison” à la junte sur les conséquences politiques et économiques que peut avoir une transition jugée aussi longue. Cette visite de l’émissaire communautaire est un prélude au Sommet extraordinaire des chefs d’État convoqué d’urgence pour le 9 janvier dans la capitale ghanéenne. Les risques d’un durcissement des sanctions contre le Mali sont réels.
“Il est vrai que les +normes+ d’une transition se situent en général et au maximum autour de deux ans. Alors, quand l’exécutif malien demande à aller jusqu’en 2026, cela peut choquer l’imaginaire collectif. En même temps, je suis surpris que la seule arme que détient la CEDEAO dans les pays en crise soit des menaces d’embargo alors qu’il est de notoriété que ce type de sanctions n’atteint jamais véritablement les cibles. Un embargo contre le Mali ne fera pas souffrir les tenants du pouvoir, ni l’élite, ni même peut-être la classe moyenne, mais le petit peuple. Il est dommage que la CEDEAO, après plus de 45 ans d’existence, n’ait pour alternative que l’embargo contre un pays en crise”, constate le politologue ivoirien.
Après les Assises Nationales de la Refondation, les autorités de la transition doivent convaincre
Avec les crises guinéenne et malienne, la CEDEAO a pu mesurer ses divergences internes lorsqu’il s’agit de passer à des niveaux de sanctions élevés. Aux premières heures du coup d’État au Mali en août 2020, le Sénégal avait opposé son veto à un embargo global contre son voisin immédiat, puissant partenaire commercial et dont le port de Dakar reste le principal lieu d’approvisionnement en marchandises de toutes sortes. Dakar pourrait-il fermer les yeux en considérant que le pouvoir de transition malien a définitivement dépassé les limites du tolérable?
“Il n’y a pas d’autre alternative que le compromis politique entre les deux parties. Les menaces n’y feront rien! La CEDEAO ne doit tirer aucun plaisir à voir nos cousins maliens souffrir de faim en plus des attaques terroristes qu’ils subissent au quotidien et qui ont déjà fait assez de morts. À mon avis, il est nécessaire que la CEDEAO baisse le ton et que les autorités maliennes donnent sa chance à cette recherche de compromis de sorte qu’une solution durable puisse être trouvée. Dans le contexte actuel, le bras de fer n’arrange personne. Pour la CEDEAO, il urge qu’à l’interne elle puisse trouver des mécanismes de résolution du type de crise auquel elle est confrontée avec le Mali et la Guinée”, suggère le docteur Sylvain Nguessan.
Dans un entretien avec le magazine Jeune Afrique de janvier 2022, le ministre des Affaires étrangères Abdoulaye Diop affirme que “les Maliens ont le sentiment que la CEDEAO et la communauté internationale ont tendance à avoir deux poids et deux mesures dans l’examen de la situation de certains pays de la région”. Une allusion au report de l’élection présidentielle en Libye soutenue par le Niger, pays très engagé contre le pouvoir malien, et à la validation du coup d’État survenu au Tchad après l’assassinat en avril 2021 du Président Idriss Déby Itno et sa succession immédiate par son fils Mahamat Idriss Déby à la tête du pays.
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