Les débats autour de l’efficacité et de la légitimité des opérations de paix sont liés de près à plusieurs autres débats pragmatiques et normatifs sur le fonctionnement et la désirabilité de l’ordre mondial actuel.
Dans un premier temps, les opérations de paix sont liées à la question de l’intervention militaire justifiée par des raisons humanitaires. Le dilemme sur l’intervention militaire humanitaire peut être posé crûment : faut-il tuer pour sauver des vies ou laisser mourir ? Par exemple, l’Organisation des Nations unies a été durement critiquée, et avec raison, pour son inaction lors du génocide au Rwanda en 1994. L’intervention humanitaire, le droit ou devoir d’ingérence ou la responsabilité de protéger sont ainsi invoqués pour légitimer des interventions en Libye et au Mali ou pour exiger une intervention en Syrie et en République centrafricaine.
Toutefois, bien avant ce dilemme, les opérations de paix ont d’abord cherché à stabiliser, défendre et reproduire le système international en gérant les risques de guerre entre les États. C’est le modèle traditionnel onusien qui aurait été créé en 1956 pour résoudre la crise de Suez. Notamment après la guerre froide, mais dans les faits dès 1960 au Congo belge dans le cadre du processus de décolonisation, les opérations de paix s’impliquent aussi dans la gestion et la résolution des conflits armés à l’intérieur des États. Dans les deux cas, elles sont conçues et déployées dans le contexte des enjeux de puissance et de pouvoir de ceux qui bénéficient de la stabilité du système international.
Plus fondamentalement, les opérations de paix reflètent une vision du monde et de la paix ; celle qu’on désire ou ose imaginer. Communément, la paix est comprise comme l’absence de guerre. Mais tout effort de paix implique une conception de ce qu’est ou devrait être une société « en paix ». Autrement dit, la manière dont on la définit et la promeut prescrit les structures et relations politiques, économiques et sociales à construire ou reconstruire. La vision dominante véhiculée par les organisations internationales est à l’origine de bien des discussions sur la légitimité des opérations de paix.
Les opérations de paix sont-elles efficaces ?
Selon plusieurs analystes et centres de recherche, la violence organisée et les conflits armés régressent. Le Human Security Report Project identifie, entre autres causes expliquant cette tendance, l’augmentation des missions de paix comme un facteur important à la mise en oeuvre de stratégies de prévention et de résolution des conflits.
Certes, les opérations de paix ont sauvé des vies et participé à la résolution de plusieurs conflits. La seule présence de Casques bleus influence le déroulement du conflit et les processus de paix en tenant responsables les acteurs de la violence, en témoignant de la bonne ou mauvaise volonté des acteurs, en protégeant les personnes vulnérables et en sécurisant l’accès pour les humanitaires. Mais cette influence n’est pas toujours positive, comme en témoignent l’impact socioéconomique des troupes onusiennes sur la région où elles sont déployées et les cas de corruption et d’agressions sexuels.
À savoir si elles sont efficaces, la réponse dépendra des critères de succès de l’évaluateur. Selon une conception minimaliste, il semble effectivement qu’elles aient contribué à la régression des conflits et de la violence armée en s’interposant entre les belligérants. Toutefois, si les opérations de paix doivent favoriser les conditions à long terme d’une société en paix, juste et équitable, le bilan n’est pas aussi positif.
Les opérations de paix sont-elles en crise ?
D’autres analystes sont plus sceptiques et suggèrent que le déclin des conflits est dû à la méthode utilisée pour les codifier et pour que les données soient interprétées, et à la manière classique dont les guerres civiles sont conceptualisées. Les opérations de paix ayant tendance à « geler » plutôt que résoudre les conflits, les situations de « ni guerre, ni paix » peuvent fausser les données. Ainsi, les missions de paix sont sérieusement remises en question au point tel que certains détracteurs parlent formellement de crise.
C’est que le modèle classique de « maintien de la paix » a laissé sa place à une conception plus ambitieuse de « consolidation de la paix » qui conçoit et prévoit la transformation des sociétés où sont déployées les missions. Cette transformation implique une présence internationale à long terme et vise la promotion d’une paix durable via l’établissement des normes et des institutions de la démocratie procédurale et de l’économie de marché.
Bien que l’imposition de ces normes puisse paraître raisonnable sinon désirable pour certains acteurs internationaux (surtout occidentaux), elle est souvent vécue et interprétée comme une ingérence néocoloniale par les acteurs locaux. La question de la crise, donc, se pose directement sur les sites où il est possible d’observer les activités locales de résistance, d’opposition et de négociation face aux missions de paix internationales
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L’Observatoire sur les missions de paix et les opérations humanitaires de la Chaire Raoul-Dandurand organise un colloque international les 28 et 29 novembre prochains afin de discuter et débattre de l’efficacité et de la légitimité des opérations de paix. S’il est possible d’identifier une « crise » des missions de paix, elle se situe surtout dans les débats autour de l’imposition du modèle libéral et du projet d’ingénierie sociale que les opérations de paix importent. Mais l’échec, dans bien des cas, de construire ou consolider les normes et institutions libérales promises pose le problème d’identifier la nature précise de la crise. S’agit-il d’une crise de légitimité, d’un questionnement sur l’efficacité et la capacité des missions à consolider la paix, ou un problème provenant des formes multilatérales de coopération internationale ? Que signifient les signes de résistance et d’opposition aux opérations et missions de paix ?
Dans un contexte où il n’existe pas de consensus sur la marche à suivre (Syrie), où il est difficile de recruter un nombre suffisant de soldats pour une intervention (Mali, République centrafricaine) et où la présence internationale s’éternise (Bosnie, République démocratique du Congo), il est important de réfléchir à l’avenir des opérations de paix.
Source : le devoir