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Sahel: réduire la stratégie à l’option militaire serait une erreur (JH Jézéquel)

Un hommage national est rendu ce lundi après-midi en France aux treize militaires tués au Mali dans la collision de deux hélicoptères au cours d’une opération de combat contre des jihadistes. Une cérémonie aux Invalides, à Paris, en présence du président malien Ibrahim Boubacar Keïta. Cet hommage sera rendu alors que le président français Emmanuel Macron a annoncé qu’il était prêt à revoir « les modalités d’intervention » de la France au Sahel. Quels sont les changements envisageables et/ou souhaitables ? Jean-Hervé Jezequel, directeur du projet Sahel à l’International Crisis Group est notre invité.

Rfi : Jean Hervé Jézéquel, après la mort de ces treize soldats français au Mali, qu’est-ce qui peut changer dans la guerre au Sahel ?

Jean-Hervé Jézéquel : Le président Macron a lui-même dit qu’il considérait que les options étaient sur la table, qu’il fallait rouvrir les discussions sur les ambitions stratégiques au Sahel. Mais je ne pense pas qu’à court terme la question du retrait soit l’une des possibilités. L’une des options possibles, c’est celle, effectivement, de renforcer les moyens militaires en faisant venir d’autres contingents. Il y a un appel du pied qui est fait en direction d’autres voisins européens. Egalement un appel à la sous-région africaine. Du côté de la Cédéao, il y a des discussions en cours autour de la possibilité, aussi, de renforcer l’investissement des pays ouest-africains dans la lutte au Sahel.

Je pense que l’un des dangers serait d’enfermer la question de la révision de la stratégie que dans une option militaire. Au fond, il faut regarder au-delà. Si l’on veut mener une lutte efficace contre les insurrections au Sahel, ce qu’il faut aussi ce sont des outils qui permettent de bien distinguer les acteurs terroristes qui sont mus par un agenda plus global, qui sont finalement assez peu nombreux, et la masse d’insurgés locaux, qui sont eux mus par des motivations locales. Et au fond, l’outil militaire permet mal de distinguer ces deux catégories d’acteurs. Des outils plus politiques seraient sans doute plus utiles.

Les treize soldats français sont morts lors d’une poursuite d’une colonne de l’EIGS d’Abou Walid al-Sahraoui. Vous, qui, dans un rapport récent, prôniez le dialogue avec certains jihadistes, comme la katiba Macina au centre du Mali, est-il possible, à vos yeux, de dialoguer avec l’EIGS d’Abou Walid al-Sahraoui ?

Quand vous regardez la composition de l’EIGS, vous y trouvez tout un ensemble de jeunes lieutenants peuls qui, il y a une dizaine d’années, étaient membres de milices locales qui étaient surtout en demande de protection, en recherche de sécurité et en dialogue avec leur propre État pour essayer d’obtenir des postes dans l’armée, dans la Garde nationale. Dix ans plus tard, ces mêmes personnes sont devenues de dangereux terroristes internationaux avec lesquels on ne peut plus discuter. Je pense que c’est cette division-là qu’il faut questionner. On aurait tout à gagner à élargir le groupe des personnes avec lesquelles on peut discuter. Il ne s’agit pas de dire que l’ensemble du groupe auquel les forces nigériennes, maliennes et internationales sont confrontées dans cette région-là, sont disposées au dialogue. Mais à l’intérieur de ces groupes-là, il y a effectivement des gens qui sont mus par des agendas essentiellement locaux. Plus on attend, plus on radicalise les positions, moins ce type de dialogue politique sera possible.

Ce lundi après-midi, le président Ibrahim Boubacar Keïta sera aux côtés de son homologue français Emmanuel Macron, lors de la cérémonie aux Invalides. Comment interprétez-vous ce geste ?

C’est un geste, je pense, d’hommage un peu normal de la part du président malien. Après, effectivement, au Mali, certains considèrent qu’il y a comme deux poids et deux mesures, que le président n’en fait peut-être pas assez de manière visible, aussi, pour les pertes en interne. Il y a eu des débats, par exemple, sur l’opportunité de créer des monuments, d’avoir également des cérémonies en l’honneur des soldats maliens, des fils de la patrie malienne qui sont tombés lors des combats.

Et après la mort de ces treize soldats français, est-ce que le sentiment anti-Français qui semble monter à Bamako, peut continuer de se renforcer, ou au contraire peut diminuer ?

Je pense qu’on est sur une tendance un peu longue de renforcement de ce sentiment anti-Français. Quand on suivait un petit peu les réseaux sociaux après cette annonce, il y avait énormément de théories conspirationnistes qui circulaient déjà dans les heures qui ont suivi. Je pense qu’on est effectivement dans une période (de dénigrement) des motivations de l’intervention française. Il y a toute une raison pour cela. Et c’est vrai que, par exemple, il y a sans doute un certain nombre de manipulations des réseaux sociaux, en partie par des acteurs locaux qui désapprouvent cette présence, ou par des acteurs locaux qui veulent aussi masquer leurs propres responsabilités, ou pourquoi pas, par des tiers-états qui pourraient avoir un intérêt.

Mais je crois que, ne voir dans cette montée du sentiment anti-Français que des manipulations de réseaux sociaux, serait une erreur. Il reflète autre chose. C’est qu’il y a vraiment, au fond, le sentiment que la France a été l’un des leaders des réponses aux insurrections sahéliennes et que cette réponse-là ne marche pas. Les violences continuent de s’étendre, elles s’aggravent même et elles se mâtinent même maintenant de tensions locales à base communautaire. Il y a toute une frustration qui se retourne un peu logiquement envers ceux qui sont considérés comme ceux ayant défini les options de la lutte.

Source : RFI

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