Lors des obsèques de la légende du football africain Salif Kéita dit Domingo, sa fille aînée Raky lui a rendu un vibrant hommage, le mercredi 6 septembre dernier, à la place du Cinquantenaire en présence de plusieurs personnalités politiques, administratives et sportives dont le Premier ministre Dr Choguel K. Maïga. Voici en intégralité son discours.
Je voudrais tout d’abord remercier le président de la Transition, chef de l’Etat, Son Excellence le colonel Assimi Goïta ainsi que le gouvernement de la Transition d’avoir en si peu de temps organisé cet hommage à Salif Kéita, notre père.
Nous souhaitons également remercier toute la famille pour son soutien dans cette dure épreuve. Pendant des jours, les médias du monde ont relayé les exploits du footballeur Salif Kéita. Et aujourd’hui les intervenants ont parlé du président de la Fédération malienne de football, de l’homme d’affaires, du ministre, du formateur de jeunes talents. Mais pour Séré et moi, Salif Kéita était tout simplement notre papa.
Un soir d’hiver à Boston, papa est arrivé à la maison, fatigué, bien trop fatigué.
Maman a regardé papa inquiète. Elle a demandé à son mari : Qu’est-ce qui ne va pas Général ? (Elle l’appelait Général quand elle se faisait des soucis pour lui).
Papa s’est confié à maman. Il a dit à maman que le football devenait trop comme un métier et le ballon perdait de sa magie.
– Quand je dispute mes matches aujourd’hui Fanta loin de la maison c’est comme si j’étais presque une machine qui fait la même chose tout le temps.
C’est avec vous, toi et les filles, que je redeviens Salif. Je veux passer plus de temps avec vous car nos filles grandissent et je les vois trop rarement.
Papa et maman se sont assis pour planifier leur avenir ce jour car ils étaient des complices, des amis et surtout des partenaires. Des partenaires qui se battaient tous les jours loin de leur pays, leur famille et leurs cercles d’amis, pour donner un avenir à leurs deux filles.Papa et maman ont décidé de poursuivre des études pour rentrer armés au Mali.
Donc papa a raccroché ses crampons pour entamer un nouveau métier. Il est devenu notre papa à plein temps et on a découvert que papa n’était pas juste un footballeur exceptionnel. Il avait le don de rendre un simple évènement magique.
Tous les jours, notre famille se réveillait tôt car on avait du trajet à faire.
Et une fois au volant de sa voiture, papa sortait sa cassette magique.
– Je vais vous faire découvrir la plus belle voix au monde les filles : Salif Kéita.
Et quand Salif Kéita se mettait à chanter, papa secouait la tête le sourire aux lèvres pour dire : Mon homonyme Salif Kéita fait les louanges du plus grand Roi au monde : Soundiata Kéita. Qui est l’origine du plus grand Royaume au monde, qui engendra le Roi le plus puissant et riche de tous les temps, Mansa Moussa. Et vous Raky et Séré Kéita vous êtes des princesses de Naréna. Et Séré rigolait et était fière d’être une Princesse. Soudainement papa se mettait à rire, son rire légendaire pour dire, votre nom Kéita est puissant. Beaucoup de Kéita ont fait de grandes choses.
Comme Modibo Kéita et son frère Mandingue Mamadou Konaté. Vous savez ce qu’ils ont réussi à faire, les filles ? Ils ont chassé les colons du Mali ! Et Séré et moi nous crions : Waaaaaouh ! Séré a dit à papa : Moi aussi je connais un grand Kéita. Salif Kéita le plus grand footballeur du monde. Papa a rigolé, y ja sigui Séré ? Salif a joué un peu au ballon mais n’a pas été aussi grand. Tu es grand papa ! Tu es grand ! L’homme était modeste. Sur le chemin du retour, papa nous racontait des histoires pour nous faire rire. Il nous parlait de Wolofobougou et comment lui et ses frères et sa bande d’amis de toujours chassait les margouillats dans les arbres pour les manger. Ensuite, il cherchait également les totos dans les trous. Et Séré et moi, on criait. Et vous savez qui était toujours derrière nous, Tanti Oumou Tchini, ma sœur ! Oumou Tchini était redoutable avec le lance-pierre.
Ensuite, elle nous rejoignait sur le terrain pour un match de foot.
Moi je lui disais y té ta so Oumou Tchini, le foot c’est pour les garçons. Et elle disait non je joue Salif et Tanti Oumou Tchini marquait un magnifique but.
Séré booster par ses paroles annonçait : Papa j’ai eu la meilleure note en maths. J’ai battu les filles et les garçons. Papa était fier, il répondait à Séré : Toi tu as hérité de ma tête. Tu es brillante ! Donc moi vexée de ne pas avoir impressionné notre merveilleux Papa je répliquais. Moi aussi papa j’ai couru plus vite que toutes les filles et les garçons sauf 2.
Papa applaudissait. Toi Raky tu as mes pieds. Tu as le don du sport. Mais pour être sportif, tu dois avoir faim ma fille. Tu dois avoir beaucoup de Dousou donc la prochaine fois cours plus vite que les deux garçons. Et moi je répondais : oui papa comme tanti Oumou Tchini qui jouait mieux au foot que toi.
Papa se retournait pour dire : Né mo Fo dé.
Papa était un père aimant et attentionné
Après s’être suffisamment armés, un jour papa et maman nous ont assis pour nous annoncer qu’on rentre enfin au Mali.
Papa qui avait le don de rendre la moindre chose magique nous a fait découvrir le Mali de son enfance.
– Comme les tnenis quand il pleuvait.
– Ou les furus furus de la vendeuse de Bamako Coura car elle avait une recette magique.
– Souvent après les cours, quand il nous récupérait à l’école, il nous achetait du dibi à Korofina. Et il nous servait toujours les meilleurs morceaux, notre papa.
– Papa nous emmenait au sommet de Koulouba et savait trouver le point précis afin qu’on puisse admirer Bamako du sommet
Toujours entouré de ses amis :
Tonton Karounga Kéita
Tonton Sadia Cissé
Tonton Henri Corenthin
Tonton Moussa Konaté
Tonton Obré
Tonton Métiou Maïga
Tonton Siré Diallo
Tonton Fadel Dicko
Tonton Fané
Tonton Marocain
Et j’en passe tellement, ils sont nombreux
Le retour au Mali fut ponctué de moments agréables de découverte et de plaisir en famille. Papa nous a fait aimer notre pays.
En 2003, maman nous a quittés. Celle avec qui papa est arrivé au sommet de son sport. Celle avec qui il avait construit ce fameux hôtel et créé un centre de formation. Celle avec qui il avait passé ses meilleurs instants avec sa clique de toujours. Et surtout celle avec qui il avait construit sa famille.
Notre Papa, le Général en a pris un coup. Il semblait avoir perdu ce fameux don, ce don de rendre les instants passés avec lui, magiques.
Mais, par moments, ce don revenait.
Je l’apercevais quand il venait nous rendre visite (moi et mon mari James) en France. James et Papa regardaient le foot à la télé et James riait des blagues de Papa, car mon Papa faisait rire.
Et Papa m’a confié un jour quand nous étions seul à seul : Ton mari est un homme sage car il écoute plus qu’il ne parle et il a du cœur, il a le “fighting spirit” des Camerounais.
Mais il a un défaut.
Le quel Papa ? Il supporte Marseille et pas Saint Etienne !
Séré aussi l’apercevait quand Papa récupérait ses petits-fils Salif et Doudou à l’école tous les jours. Des petits-fils qu’il faisait rire avec ses histoires magiques.
Et comme ce jour où Papa a fait découvrir les statuts des plus grands Rois du Mali, à ses quatre petits-enfants : Fanta, Salif, Mouhamadou et Raoul.
Il leur a transmis tout son amour du Mali. Maman, voilà le Général. Accueille et fortifie-le comme tu l’as toujours fait. Quant à nous, nous sommes bien entourés. La famille de Wolofobougou est là et celle de Bamako Coura. Et tes amis, tes frères Tonton Moussa Konaté (à qui tu as confié tes princesses si tu avais à disparaître), Tonton Obré (qui est monté sur le premier avion d’Abidjan pour nous soutenir), sont là. Ainsi que toutes nos tantis qui ne cessent de nous prendre dans les bras pour nous fortifier. Et nos magnifiques sœurs, rayonnantes de couleurs car tu as toujours détesté le noir, nous accompagnent aujourd’hui comme toujours. Et sache une chose, tes princesses vont continuer de se battre… Mieux que des garçons… Pour perpétuer ton nom Salif Kéita de Naréna, digne fils Mandingue de la dynastie des Kéita.
Général va en paix. Notre papa Champion repose en paix !!!”
Source: Aujourd’hui-Mali