En ce qui concerne la pertinence de la mission, le rapport indique que selon les situations d’exécution du budget, de 2017 à 2021, l’Etat a versé 196,095 milliards F CFA aux établissements privés d’enseignement secondaire, général, technique et professionnel au titre de paiement des frais scolaires, demi-bourses et pensions alimentaires des élèves de l’Etat orientés dans les établissements privés équivaut à environ 6,90 % du budget national de l’exercice 2021 s’élevant en dépenses à 2 841 579 700 000 F CFA et représente une moyenne annuelle de 49 milliards de F CFA sur la période de 2017 à 2021. Et de poursuivre que dans les Lois de finances, la dotation du compte “frais scolaires” ou “frais de formation” est destinée à la prise en charge des dépenses de formation des élèves orientés par l’Etat dans les établissements d’enseignement secondaire privé et laïc. Quant à celle relative à la “demi-bourse”, elle est destinée à la prise en charge des dépenses liées au matériel didactique.
La Loi n°2012-013 du 24 février 2012 relative aux établissements privés d’enseignement en République du Mali définit un établissement privé d’enseignement comme une entité de droit privé participant à la mission de service public d’éducation, fondée et entretenue par une ou plusieurs personnes physiques ou morales.
Au vu de l’importance des fonds publics alloués à ces établissements et suite à des dénonciations faites par plusieurs associations sur la gestion de ces fonds, l’Oclei a initié une mission afin d’avoir les éléments d’appréciation sur la gestion des ressources allouées par l’Etat qui visait à analyser les subventions accordées par l’Etat aux établissements privés d’enseignement secondaire, général, technique et professionnel.
Plus spécifiquement, il s’agissait de : déterminer les montants des subventions accordées ; déterminer si les sommes d’argent décaissées au titre des frais scolaires, demi-bourses et pensions alimentaires correspondent à la réalité du nombre d’élèves du secteur public orientés dans les établissements privés ; vérifier l’existence d’éventuels effectifs fictifs ; déterminer si le système actuel d’orientation des élèves dans les établissements d’enseignement privé favorise l’Etat ou, au contraire, s’il a avantage à prendre en charge la totalité des élèves du secteur public.
Le montant versé par an aux établissements secondaires privés peut construire 80 lycées publics
Selon le rapport, les subventions allouées par l’Etat aux établissements d’enseignement privé sont passées de 43 milliards de F CFA en 2017-2018 à 57 milliards de F CFA en 2020-2021, soit une augmentation de 133 %. Sur la période de 2017-2018 à 2020-2021, le montant que l’Etat a versé en moyenne par an aux établissements secondaires privés (49,03 milliards de F CFA) équivaut aux coûts de construction et de fonctionnement de 80 lycées publics. En d’autres termes, l’Etat peut construire et faire fonctionner chaque année un nouveau contingent de 80 lycées publics avec l’équivalent des subventions accordées aux écoles privées de l’enseignement secondaire.
A titre illustratif, les coûts de construction du lycée de Niamana (506 757 658 F CFA) et du lycée de Nara (351 835 153 FCFA) en 2017 et les charges de fonctionnement (dépenses de personnel, de matériel et fonctionnement des services, de carburant et lubrifiants, de santé et sports, de matériel didactique, de frais de transport, d’entretien de matériel informatique, d’internet et d’entretien courant des bâtiments) en 2021 des lycées Massa Makan Diabaté (27 764 000 F CFA) et Kankou Moussa (27 905 000 FCFA) s’élèvent à 914 261 811 F CFA.
Ainsi, précise le rapport, sur les 4 ans, les montants alloués au titre des subventions pouvaient construire 320 lycées publics. Ce nombre représente près de 3 fois le nombre actuel d’établissements publics d’enseignement secondaire général, technique et professionnel qui sont au nombre de 111.
26,288 milliards de F CFA
d’écart entre les données
de la DGB et celles de la CPS
du secteur de l’éducation
Aussi, le rapport mentionne que les données financières sont incohérentes au sein du ministère de l’Education nationale. Car, il existe des disparités entre les données communiquées par les services techniques du ministère de l’Education nationale.
En effet, le montant total retracé par la DNESG est de 169 849 780 000 F CFA et celui communiqué par la CPS est de 169 806 985 000 F CFA. Entre les données fournies par les deux services techniques, il existe un écart de 42 795 000 F CFA. Les données de la DGB dépassent de 26,288 milliards de F CFA celles de la CPS du secteur de l’éducation.
A en croire le rapport de l’Oclei, les investigations ont révélé d’importantes disparités entre les données des services techniques du ministère de l’Education nationale et celles de la DGB qui centralise les situations d’exécution du budget. Car, les subventions décaissées suivant les données de la DGB s’élèvent à 196 095 864 207 F CFA alors que les montants communiqués par la CPS s’établissent à 169 806 985 000 F CFA. Il en résulte que les montants réellement payés dépassent de 26 288 879 207 F CFA les données de la CPS de 2017-2018 à 2020-2021.
Il ressort du rapport que l’Oclei n’a pas eu de données sur les paiements effectués de 2014 à 2017 parce que la mission n’a pas obtenu les situations des paiements effectués sur ladite période ni avec la CPS du secteur de l’éducation ni avec les deux directions de l’enseignement secondaire général et l’enseignement technique et professionnel.
Paiement sur la base de décisions non chiffrées et ne précisant que le nombre d’élèves de l’Etat
par établissements privé
Il ressort de la lettre n°2021-000106/MEN-DNESG du 28 décembre 2021 en réponse à la demande d’informations de l’Oclei par lettre n°2021-000346/Oclei-P du 24 décembre 2021 que : “De 2014 à 2017, le paiement des frais scolaires et demi bourses aux établissements privés d’enseignement secondaire général et technique professionnel reposait sur les décisions d’attribution de frais scolaires et demi bourses élaborées par les directions nationales (DNESG et DNETP). Ces décisions n’étaient pas chiffrées et ne précisaient que le nombre d’élèves de l’Etat par établissements privé. Les états de paiement étaient élaborés sur la base de ces documents par les établissements, vérifiés par les Académies d’enseignement. Les paiements étaient effectués par les services financiers de l’Etat et des collectivités. Cette méthode ayant montré ses limites, le département de l’Education a décidé de changer de mode de gestion.
Nous ne sommes pas en mesure de vous communiquer exactement combien l’Etat a mis dans le paiement des frais scolaires, des demi bourses et des pensions alimentaires aux établissements privés d’enseignement secondaire pour la période de 2014 à 2017. Pour corriger ces insuffisances, le département de l’Education nationale a opté pour la mise en place d’une base de données unique qui sert de référence pour la production des états de paiement relatifs aux frais scolaire, aux demi-bourses et aux pensions alimentaires dus aux établissements privés d’enseignement secondaire”.
Quant à la DNETP, elle n’a apporté aucune réponse écrite à l’Oclei suite à la demande d’informations formulée par courrier confidentiel n°2021-000345/OCLEI-P du 24 décembre 2021. En effet, le directeur national a fait savoir à l’équipe d’enquête, lors d’un entretien, que pour des raisons d’archivage, son service ne dispose pas d’informations relatives aux subventions versées aux établissements privés de son domaine.
1 165 665 élèves orientés dans les établissements privés pendant la période sous revue
En ce qui concerne la direction générale du budget, elle a fourni des informations dans un délai de 1 à 2 mois. Lesdites informations sont incomplètes, ou “provisoires”, comme il ressort de la lettre N°0386/MEF-DGB du 16 août 2022 du directeur général du budget : “… Aussi, voudrais-je préciser que les données des exercices 2017 et 2018 sont définitives et annexées aux lois de règlement desdits exercices ; quant aux données des exercices 2019, 2020 et 2021, elles sont encore provisoires en attendant la production des lois de règlement y afférentes”.
Le nombre des établissements secondaires privés est en forte croissance. De 2014 à 2021, les informations recueillies font état de 111 établissements publics d’enseignement secondaire sur l’ensemble du territoire contre 2421 établissements privés offrant ce type d’enseignement.
Les enquêteurs de l’Oclei estiment que le nombre de ces établissements s’accroit de manière significative. A titre illustratif, à la rentrée 2015-2016, il y avait 1147 établissements privés contre 2421 en 2021. Sur l’effectif global de 1 625 944 élèves de l’enseignement secondaire dans la période sous revue, 449 188 ont été orientés vers les établissements publics contre 1 165 665 vers les établissements privés. Cela revient à dire que sur l’ensemble des élèves du secondaire, les établissements publics n’accueillent que 28 % de l’effectif contre 72 % pour l’enseignement privé.
Il ressort également du rapport que plus de 1000 écoles secondaires privées fonctionnent grâce à des arrêtés présumés faux. De nombreux établissements privés existent et ont reçu des élèves sans avoir au préalable les autorisations requises. Il y a 1077 écoles privées qui fonctionnent sur la base d’arrêtés d’autorisation de création et d’ouverture présentant de graves anomalies.
Des arrêtés régulièrement
enregistrés au SGG utilisés pour ouvrir certains établissements
Les numéros et les dates d’arrêtés régulièrement enregistrés au secrétariat général du gouvernement (SGG) sont utilisés dans d’autres arrêtés sous la dénomination d’arrêtés d’autorisation de création d’établissement ou d’autorisation d’ouverture. A titre illustratif, les références de l’arrêté n°2011-3196/Mlafu-SG du 5 août 2011 fixant la liste des titres fonciers situés dans l’emprise et les servitudes des travaux de construction de la route Kita-Sekokoto-Bafing-Falémé de la route régionale Kita-Saraya, sont reprises dans l’arrêté d’ouverture de deux établissements privés : le lycée privé Intelligentsia à Sotuba et le lycée technique Intelligentsia sis à Boulkassoumbougou dans la circonscription de l’Académie d’enseignement de Bamako Rive Gauche. Aussi, les références de l’arrêté n°2010-2829/MSIPC-SG du 6 septembre 2010, portant détachement d’un commissaire de police auprès du Tribunal pénal international pour le Rwanda, sont reprises dans l’arrêté d’ouverture de deux établissements privés notamment le lycée Coumba Sidibé et l’Institut de formation professionnelle tous à Kita Sirako.
Les références de l’arrêté n°2022-1563/MEN-SG du 19 mai 2022 portant autorisation d’ouverture d’un établissement privé d’enseignement secondaire général dénommé “Lycée privé sportif Boubou Sow”, en abrégé (LPSBS), sis à Soutoucoulé, dans la Commune rurale de Khouloum, Cercle de Kayes, sont reprises dans l’arrêté d’ouverture d’un autre établissement privé d’enseignement secondaire général dénommé “Lycée privé Djiguiya”, en abrégé “LPD-Bla”, sis à Bla.
Les références de l’arrêté n°2013-3157/MEAPLN-SG du 1er août 2013, portant autorisation d’ouverture d’une école privée de premier cycle de l’enseignement Fondamental dénommée “Ecole privée Amicale Tunbaru du Cinquantenaire” à Kobalacoro II, sont reprises dans l’arrêté d’ouverture de trois établissements privés d’enseignement secondaire général : “Lycée privé franco-arabe Ousmane Chérif Madani Haïdara” de Baco-Djicoroni, “Lycée privé Fanta Diakité” de Magnambougou, “Lycée franco-arabe Mahmoud Dicko” de Niamakoro.
Les références de l’arrêté n°2013-3901/MEAPLN-SG du 3 septembre 2013, portant autorisation d’ouverture d’un établissement privé d’enseignement secondaire général dénommé “Lycée privé Nafatouma Kanté de Yirimadio”, sont reprises dans l’arrêté d’ouverture de deux établissements privés d’enseignement secondaire général à savoir “Lycée privé Amadou Traoré” à Kolokani et “Lycée privé Boïba Soumaré” à Baguinéda Camp.
15,565 milliards de FCFA
payés à des écoles ayant des arrêtés présumés faux
Selon le rapport, l’autorisation de création relève de la compétence des gouverneurs de région et du district et l’autorisation d’ouverture intervient à la suite d’une visite technique effectuée et assortie de la production obligatoire de deux rapports (favorables ou défavorables), l’un par l’inspection et l’autre par la direction de l’ordre d’enseignement concerné, soit la direction nationale de l’enseignement secondaire général ou la direction nationale de l’enseignement technique et professionnel.
Plus de 15,565 milliards de F CFA ont été payés à des écoles ayant des arrêtés présumés faux. L’évaluation de l’effectif reçu par les écoles des académies des rives gauche et droite de Bamako, de Kati, Nioro, San, Kita, Douentza, Mopti, Tombouctou, Gao, Ségou, Koutiala, Sikasso, Bougouni et Kayes, disposant d’arrêtés d’ouverture présumés faux, fait état de 105 234 élèves. Les subventions indument perçues par ces établissements s’élèvent à 15 565 322 000 F CFA pendant les années scolaires 2017-2018, 2018-2019, 2019-2020 et 2020-2021.
La mission a recensé 19 établissements qui ont un arrêté de création, mais pas d’arrêté d’ouverture. Ces établissements ont reçu 12 002 élèves de l’Etat et des subventions y afférentes pour un montant de 2 065 363 000 F CFA au titre des années scolaires 2017-2018, 2018-2019, 2019-2020 et 2020-2021.
La mission a également constaté l’existence d’établissements dont les promoteurs sont des fonctionnaires du ministère chargé de l’Education nationale. Ces établissements disposent d’arrêtés présumés faux notamment le Centre de formation Agrosylvo pastoral Idrissa Cissé de Kimparana détenant l’arrêté présumé faux n°2016-5883/MEN-SG du 28 décembre 2016 ; le Centre de formation technique et professionnelle Hubert Haltel de Kimparana, qui détient l’arrêté présumé faux n°2015-2492/MEN-SG du 25 juin 2015 ; l’Institut Technique Kinsa Diallo de Mandiakuy, ayant l’arrêté présumé faux n°2016-5884/MEN-SG du 28 décembre 2016 ; l’Institut de formation Veka Coulibaly de Tominian, qui détient un arrêté présumé faux n°2016-5027/MEN-SG du 30 décembre 2016.
Huit établissements fonctionnent après le décès de leur promoteur
Les enquêteurs ont décelé que des élèves initialement orientés dans les établissements publics sont transférés ou réorientés dans des écoles privées en violation de l’article 22 de la décision n°10-03733/MEALN-SG-CPS du 16 septembre 2010 qui énonce : “Tout mouvement de transfert ou de réorientation d’un établissement public vers un établissement privé est strictement interdit, sauf cas de force majeure”.
La mission a aussi constaté le fonctionnement de huit établissements (le lycée Mémoire, le lycée Technique Danki, le lycée Coumba Sané, le lycée Coumba Sakiliba, le lycée Kuru Kan Fuga, le Emitec, le Ceci, le CSTP-SIK) après le décès du promoteur en violation de la réglementation en vigueur précisément l’article 4 du décret n°118-PG-RM du 20 septembre 1971 portant règlementation de l’enseignement privé en République du Mali ; l’article 8 de la Loi n°1994-032/AN-RM du 25 juillet 1994 portant statut de l’enseignement privé ; les articles 12 et 18 de la Loi n°2012-013/AN-RM du 24 février 2012 relative aux établissements privés d’enseignement en République du Mali ; et, enfin, le décret n°2012-0588/PG-RM en son article 17. Car, les autorisations sont délivrées à titre strictement personnel.
En résumé, il ressort du rapport définitif que dans la période 2017-2018 à 2020-2021, l’Etat a versé la somme de 196,095 milliards F CFA aux établissements secondaires privés de l’enseignement secondaire général, professionnel et technique au titre de paiement des frais scolaires, demi-bourses et pensions alimentaires des élèves de l’Etat orientés dans lesdits établissements, soit en moyenne 49,023 milliards F CFA par an.
Avec ce montant, l’Etat peut construire, équiper et faire fonctionner chaque année un nouveau contingent de 80 lycées publics, toutes charges comprises dont les dépenses de personnel. Les paiements retracés par la direction générale du budget dépassent de 26,288 milliards F CFA ceux indiqués par la Cellule de planification et de statistique (CPS) du secteur de l’éducation. Ainsi, la mission estime que cette différence significative doit être expliquée par les services concernés. Car, l’Oclei n’a pas eu de données sur les paiements effectués de 2014-2015 à 2016-2017.
Des fonctionnaires du ministère de l’Education nationale promoteurs de plusieurs d’écoles privées
Le nombre des établissements secondaires privés est passé de 1147 en 2016 à 2421 en 2021, soit une augmentation de 111 % en 5 ans. Le nombre d’établissements secondaires publics est de 111 sur l’ensemble du territoire national. L’Oclei a dénombré 1077 écoles secondaires privées fonctionnant grâce à des arrêtés présumés faux. Les subventions versées à 236 de ces établissements s’élèvent à 15,565 milliards de F CFA de 2017-2018 à 2020-2021. Plusieurs de ces écoles ont pour promoteurs des fonctionnaires du ministère de l’Education nationale.
En conclusion, la mission d’enquête déclare que la méthode actuelle d’orientation des élèves de l’Etat vers les établissements privés n’est pas de nature à assurer une saine gestion des ressources publiques. Les dysfonctionnements ont atteint un seuil alarmant. Il convient d’adopter des mesures fortes pour améliorer la gouvernance du secteur sans compromettre les équilibres macroéconomiques. Ces mesures, qui entrent dans le cadre de la prévention et de la lutte contre la corruption et l’enrichissement illicite, permettront d’améliorer l’emploi des ressources publiques.
Procéder au contrôle administratif systématique des actes de création et d’ouverture des établissements privés
En termes de recommandations, l’Oclei recommande aux autorités : de procéder au contrôle administratif systématique des actes de création et d’ouverture des établissements privés de l’Enseignement secondaire, général, technique et professionnel sur l’ensemble du territoire ; de veiller au respect strict des dispositions règlementaires en matière d’orientation et de réorientation des élèves dans les établissements privés ; d’adopter un plan de progression du nombre d’établissements secondaires publics ; de procéder à la fermeture de tous les établissements privés ne remplissant pas rigoureusement les conditions d’exercice ; de mettre en recouvrement des sommes indument perçues par les établissements se prévalant d’arrêtés présumés faux ; de traduire en justice les auteurs, coauteurs et complices de la production et de l’utilisation des arrêtés présumés faux.
Synthèse de Boubacar Païtao