Il s’appelle M’Baye Boubacar Diarra. Comme le diraient les animateurs de radio, ou de télé, il n’est plus à présenter. Mais pour avoir été un journaliste-réalisateur à l’ORTM, le révolutionnaire de l’art malien, le père des émissions Etoiles du Mali, Top étoiles, Africa Shows, la rubrique “Que sont-ils devenus” a l’obligation de l’accueillir dans son temple. Parce qu’il n’a pas vécu inutile comme celui-là qui a planté un arbre. A la lumière d’une carrière exceptionnelle, a-t-il un regret par rapport à un projet qu’il n’a pas pu mettre en œuvre ? Non, répond-il. Mais il finit par comprendre que son investissement pour la musique malienne aurait pu le tourner vers d’autres concepts : l’histoire du Mali selon les différentes coutumes. Une réalisation qui pouvait inspirer et enseigner les générations futures de l’ORTM. Malgré tout, il reconnait aussi que l’homme jusqu’à son dernier souffle aura toujours des projets qui resteront lettres mortes. M’Baye Boubacar Diarra a une imagination extraordinaire qui débouche sur des merveilles artistiques et culturelles. Evidemment comment il a eu ce goût pour la musique malienne ? Quel est le secret de son inspiration ? Avec la nouvelle technologie, la musique peut-elle encore nourrir son homme ? Qu’est-ce qui expliquait l’échec général face à la piraterie dans le passé ? Bref avec M’Baye Boubacar Diarra, les questions ne finissent pas. Retenez seulement chers lecteurs, qu’il est notre héros de la semaine, pour écrire une nouvelle page de la rubrique “Que sont-ils devenus ?”
Avec l’avènement de la télévision dans notre pays en septembre 1983, les téléspectateurs ont appris à connaitre à travers leurs noms les hommes de l’ombre. N’apparaissant pas sur le petit écran, leur dextérité est néanmoins un facteur déterminant dans la passion du service public de l’ORTM. Ils sont cameramen, techniciens, assistants de réalisation, infographes, etc.
M’Baye Boubacar Diarra figure dans ce lot d’agents ou de personnel d’appui du service. Il s’est beaucoup illustré dans la production et la réalisation. C’est surtout cette passion pour la musique malienne qui lui vaut sa notoriété. M’Baye a le don du décor. Son secret ? Il se met à la place de l’artiste pour déterminer le décor. Il s’agit pour lui d’écouter sa musique, comprendre son orientation et pouvoir l’adapter à un type de réalisation.
Cette empathie a donné beaucoup de tonus aux prestations de nos artistes. Elle a surtout permis de capter un public habitué jadis à regarder ces émissions dans le seul studio de l’ORTM décoré selon les circonstances.
Cependant notre question relative à la piraterie le fait bondir de son fauteuil. Elle est considérée comme un fléau, qui s’est caractérisée par un échec global. Aucun des pouvoirs politiques n’a pu le vaincre. Certes, il y a eu des actions fortes, mais elles n’ont pas fait tache d’huile. M’Baye Boubacar soutient que c’est un sujet à la fois très sensible et compliqué. Parce qu’il ne peut pas dire toutes les vérités, au risque d’être taxé de raciste. Il n’a pas voulu s’aventurer dans ce débat, mais estime quand même que la lutte contre la piraterie a été un flop intégral.
Diplômé de l’Ecica, spécialité électronique, il intègre Radio-Mali très jeune en 1973, comme technicien d’antenne. Quel déphasage entre son brevet de technicien et son poste ? Il soutient qu’un chef d’entreprise américain ne demande pas de diplôme, mais cherche à savoir ce qu’on sait faire. Donc l’Ecica était une passerelle pour se frayer un chemin dans la vie.
A la Radio, M’Baye Boubacar Diarra animait les émissions du week-end notamment les soirées dansantes avec Mamadou Dembélé, et le choix des auditeurs avec Papa Oumar Sylla. En 1978, il entreprend des études à l’Institut national de l’audiovisuel (INA) de Paris, et devint trois ans plus tard assistant technique vidéo.
Le déclic
Il retourne en France plus précisément à Strasbourg pour une formation en montage, puis de directeur de production au Cifap de Montreuil dans la banlieue parisienne. A l’ORTM, il a occupé les fonctions de chef de production radio, puis de la télévision. M’Baye Boubacar en plus des émissions musicales a créé “Rythmes d’Afrique”, “Caméra en balade” avec feu Gaoussou Thiéro. Il a assisté le réalisateur feu Djibril Kouyaté pour la production du téléfilm “Depté”.
Après avoir connu et tissé de bons rapports avec certains artistes Zaïrois, il devient leur producteur attitré, et organise des spectacles à Bamako. Des artistes comme Pierre Belkos, Pépé Kallé, le Groupe Loketo en plus de réaliser leurs clips dans notre capitale, ont créé la sensation par des séries de concerts au début des années 1990, sous l’impulsion du maestro M’Baye Boubacar Diarra.
Cela n’a pas été apprécié par un artiste malien, qui lui fait des remontrances désobligeantes. Une fois à la maison la réflexion du jeune musicien le plonge de nouveau dans une réflexion avec la conclusion suivante : “Il a raison. Je dois être jaloux de la musique étrangère pour faire la promotion de notre art”. Cette jalousie le pousse à épouser la musique malienne. Il se rappelé de son stage à l’INA de Paris en 1985, où il a découvert un style de morceaux du terroir, basé uniquement sur la promotion de la musique alsacienne.
Comment des Blancs peuvent penser à promouvoir leur art et que les Noirs n’en fassent pas autant ? Une interrogation crée en lui l’envie de s’intéresser à la musique traditionnelle de son pays. Laquelle à l’époque était purement symphonique, c’est-à-dire destinée à galvaniser le public. Quand le Mali a eu sa télé, il fait encore le constat amer que les clips des artistes locaux étaient rares. Les morceaux guinéens, zaïrois, ivoiriens dominaient le plateau musical de la télévision malienne, avec la signature de différents réalisateurs comme Justin Morel Junior. Là encore l’homme s’investit pour donner plus de visibilité à la musique malienne.
C’est ainsi que M’Baye Boubacar commence à produire les artistes locaux, avant d’apprécier le travail exceptionnel d’un grand animateur de Radio Liberté, Balla Tounkara. Il faisait la promotion de la musique malienne, “Star Hit-Parade”. Les deux hommes se sont rencontrés pour échanger sur le mode opératoire, et ce que l’aîné peut tirer de bien du joyau de son cadet. M’Baye s’inspire de l’émission et lance “Etoiles du Mali”, devenue par la suite “Top étoiles”.
YouTube, la mine d’or
des artistes
Aujourd’hui, cette musique qui a passionné M’Baye Boubacar, et qu’il a révolutionnée ne se trouve-t-elle pas dans une zone de turbulence ? Le numérique a pris le dessus sur les cassettes, qui ne sont plus produites par les artistes. Parce qu’il est plus facile de retrouver le marché musical sur YouTube. L’essor de la technologie permet-il aux artistes Maliens de vivre de leurs productions musicales ?
L’ancien réalisateur de “Top étoiles” n’est pas de notre avis. Il soutient mordicus que les artistes doivent mieux tirer profit de leurs prestations. De quelle manière ? “Les producteurs maliens ne sont pas préparés au nouveau concept pour vendre la musique. Nous devrons plutôt nous adapter à cette évolution. Parce que les artistes peuvent, et doivent plus gagner qu’avant. Parce que chaque morceau visualisé sur YouTube est payant. Un million de vues sur ce site peut rapporter un million d’euros.
Le dernier tube de Sidiki Diabaté lui rapporte plus qu’un concert rien que par sa visualisation sur YouTube en France. Mais faudrait-il que le site soit cadré et verrouillé. Malheureusement au Mali, ce n’est pas le cas. Sinon en France pour accéder à YouTube, il faut des conditions payantes. Donc pour permettre aux artistes et aux producteurs de vivre de leur art, il faut une volonté politique. Aujourd’hui, les artistes peuvent plus gagner. Les nouvelles technologies n’ont aucun impact sur leurs productions”.
A 14 h 18 notre entretien est interrompu par la visite d’un couple qui défraie la chronique : Binguiny Bagaga et Palmer. Ils sont venus voir le doyen M’Baye Boubacar Diarra pour une affaire personnelle. Un moment pour nous d’observer ce couple qui fait le buzz sur les réseaux sociaux et dans les rues de Bamako.
Après trente ans de services à l’ORTM, M’Baye Boubacar Diarra a pris sa retraite en 2008. Pour demeurer dans la mouvance musicale, il a demandé au directeur du Palais de la culture, un espace de spectacles pour sortir de la télé. La direction du palais lui cède l’espace “Le Cocotier” auquel il a donné le nom “Café des arts”. Le directeur de la chaîne de télévision Africable l’a alors approché pour la création d’une émission à l’image de “Top étoiles”. M’Baye Boubacar Diarra lancera alors “Africa Shows”. Comment peut-il créer une émission qui puisse concurrencer un autre bébé (Top étoiles) ? Sa réponse est univoque : “Top étoiles est purement malien, et Africa Shows s’intéresse aux artistes maliens et africains”.
M’Baye Boubacar Diarra est un homme positif. Il ne retient aucun mauvais souvenir, dit que la vie à la radio, à la télé, le tour du Mali et du monde à travers les missions constituent ses bons souvenirs. Dans la vie, il aime le voyage, et déteste le mensonge et l’hypocrisie. Il est marié et père de sept enfants.
O. Roger
Tél (00223) 63 88 24 23
Source: Aujourd’hui-Mali