Le débat autour de l’accord pour la paix et la réconciliation signé en mai et juin 2014 continue de susciter des interrogations, des prises de position diverses de la part des acteurs impliqués dans sa mise en œuvre.
Sur RFI, dans une sortie désastreuse et ratée, Ould Sidati, président en exercice de la CMA, s’en est pris à Tièbile Dramé, demandant à ce dernier de clarifier son statut.
Comment peut-on demander à un ministre qui défend loyalement et patriotiquement les intérêts souverains de son pays de s’expliquer sur son positionnement politique face à des hommes qui utilisent les armes comme seul moyen de revendication et qui sont adoubés par des parrains tapis dans l’ombre ?
SEM Tièbilé Dramé veut simplement que les symboles de l’Etat du Mali, son intégrité territoriale, son caractère laïc et républicain soient respectés par tous ceux-là qui ont apposé leur signature sur l’Accord signé en 2015.
Grâce à la prise de position courageuse faite par le président IBK lors de son adresse à la nation le 22 septembre dernier et aussi grâce au sens élevé du devoir républicain, SEM Tiébilé Dramé a prouvé aux sceptiques que l’Accord n’est plus un fétiche.
La preuve, le président en exercice de la CMA Ould Sidati, dans son intervention, ne s’est pas opposé à la relecture. Toute chose qui est consacrée déjà dans ledit accord : «les dispositions du présent Accord et de ces annexes ne peuvent être modifiées qu’avec le consentement express de toutes les parties signataires du présent Accord et après avis du comité de suivi» (Article 65). La relecture de cet Accord est une nécessité vitale pour sa compréhension, son appropriation par l’ensemble des Maliens et son application effective sur le terrain pour le retour d’une paix définitive au Mali.
Les péripéties qui ont entouré la négociation de cet Accord, les amendements, propositions, faits par les uns et les autres (l’Etat du Mali, la CMA, la Plateforme) avant et après sa signature prouvent allègrement que cet Accord comporte des insuffisances notoires, voire les germes de la dislocation du Mali. Nous sommes dans un moment de vérité et il faut dire les choses telles qu’elles sont, l’architecture institutionnelle proposée dans l’Accord soulève des interrogations sérieuses.
Les initiateurs de cet Accord en voulant dépouiller l’Etat central de toutes ses prérogatives (considéré comme la source de tous les maux du pays) au profit des régions n’ont-ils pas donné naissance (sans le savoir ou à dessein) à des despotes locaux, voire régionaux ? Ne consacrent-ils pas des Etats-régions avec des pouvoirs immenses et sans garde-fous ?
Il faut le souligner clairement, cet Accord donne trop de pouvoirs au président de l’Assemblée régionale et les contre-pouvoirs ne sont pas véritablement définis. Par exemple, dans l’article 6, il est mentionné ceci : « La région est dotée d’une Assemblée Régionale élue au suffrage universel direct, bénéficie d’un très large transfert de compétences, de ressources et jouit des pouvoirs juridiques, administratifs et financiers appropriés ;
Les populations maliennes et en particulier celles des régions du nord auront, dans ce cadre, à gérer leurs propres affaires sur la base du principe de la libre administration ; le président de l’Assemblée Régionale est élu au suffrage universel direct. Il est également le chef de l’Exécutif et de l’administration de la région !»
Cet Accord crée de facto un Etat central squelettique et engendre au même moment des Etats régions avec des pouvoirs exorbitants. L’Accord, dans son article 8, énumère les conférences des régions dans les domaines suivants : «Plan et programme de développement économique social et culturel ; aménagement du territoire ; créations et gestion des équipements collectifs et des services sociaux de base (éducation de base et formation professionnelle, santé, environnement, culture, infrastructure routières, hydraulique et assainissements); agricultures ; élevage ; pèche ; gestion forestière ; transports ; commerce ; industries ; artisanat ; tourisme ;transports interrégionaux ; budgets et comptes admiratifs régionaux ; établissement et application d’impôts et de recettes propre sur la base des paramètres déterminés par l’Etat ; institution des redevances acceptation et refus des dons, subventions et legs, octroi de subventions, prises de participations, coopération décentralisée et jumelage, police territoriale et protection civile».
Pour assommer et enterrer définitivement l’Etat central, afin que les Régions-Etats prennent le relais, voici ce que l’article 10 de l’Accord dit : « L’Etat à travers son représentant exerce un contrôle de légalité a posteriori des actes administratifs des collectivités territoriales les modalités d’exercice de ce contrôle sont définies par la loi.»
Ce représentant est un fonctionnaire de paille dans la mesure où il est là pour constater l’exécution des décisions prises, avant et après exécution, il reçoit les modifications. Ainsi donc, ce fonctionnaire faire-valoir a pour mission simplement d’inaugurer les chrysanthèmes.
La brèche ouverte par le président de la République et la détermination de son ministre des Affaires étrangères doivent nous permettre ici et maintenant de crever l’abcès si réellement on veut sauver le Mali de la banqueroute. Cette bourrasque qui a frappé le pays depuis 2012 doit inévitablement nous amener à faire une évolution institutionnelle mais de façon mesurée, intelligente.
D’abord, si on appliquait l’Accord comme tel, Kidal que nous considérons comme « Géopolitique », va échapper au contrôle des Ifoghas, chefferie locale mais minoritaire dans un jeu démocratique face aux Imghad, Bellas, Peulhs, Sonrhaï !
Ensuite, la concentration du pouvoir tant décriée au niveau de l’Etat central va se reproduire dans les Régions-Etats (dont le modèle n’existe nulle part dans le monde même si on nous cite l’exemple de l’Italie et de l’Espagne). Le risque de tensions ethniques, tribales, communautaires est réel avec cet Accord dont l’échafaudage institutionnel pose suffisamment de problèmes s’agissant de son application effective.
La relecture de cet Accord relève du bon sens et tous ceux-là qui sont soucieux du devenir du Mali doivent soutenir les plus hautes autorités du pays sur cette voie, que nous considérons comme la source du salut pour le pays.
Sidi Touré
Source: Canard Déchainé