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Moussa Mara : Le croisé solitaire

Depuis le renversement du régime d’Ibrahim Boubacar Keïta en août 2020 et la prise de pouvoir des colonels, la classe politique malienne n’est plus en odeur de sainteté. En effet, toute la rhétorique des autorités de transition est axée sur la mauvaise gestion des affaires publiques par les acteurs du mouvement démocratique. A tort ou à raison, cette doxa trouve un écho favorable au sein de l’opinion publique. Il va sans dire donc que les hommes politiques se font de moins en moins audibles sur la scène publique, à l’exception bien sûr de Choguel Kokalla Maïga, le dernier homme politique. Toutefois, Moussa Mara semble se démarquer du lot, se positionnant ainsi comme un démocrate solitaire. Voici pourquoi….

Une ascension fulgurante

Expert-comptable de formation, Moussa Mara s’est fait connaître sur la scène politique nationale en tant que Maire de la Commune IV du District de Bamako. Fondateur du parti “Yelema”, “Le Changement”, il mettra en ballotage défavorable un certain Ibrahim Boubacar Keita lors des législatives de 2007. Il faut dire que cet épisode de son parcours politique n’est pas anodin quand on sait que IBK avait derrière lui, déjà à cette époque, une carrière politique bien remplie en tant qu’ex Premier ministre et ancien président de l’Assemblée nationale. Retour de l’ascenseur pour les uns, piège politique pour les autres, IBK va nommer Mara dans son premier gouvernement après son élection en 2013 en tant que ministre de l’Urbanisme et de l’Habitat. De la mairie de Lafiabougou en Commune IV, il passe sous les feux de projecteur alors que le pays renouait avec la “démocratie” après une deuxième transition. Nous utilisons les guillemets à dessein puisque la démocratie ne se limite pas qu’aux élections.

Preuve d’une ascension politique fulgurante, celui qui était le président du parti “Yelema” a troqué sa casquette de ministre de l’Urbanisme contre celle du Premier ministre en remplacement de Oumar Tatam-Ly en 2014. C’est la consécration dans un pays où la moyenne d’âge des chefs du gouvernement se situe dans la soixantaine. Là encore, nombreux sont les observateurs qui y voyaient un piège tendu par le président IBK. En effet, ce dernier disposant de la majorité à l’Assemblée nationale, pourrait désigner un PM dans ses propres rangs. Pourquoi ne l’a-t-il pas fait ? Il est vrai que IBK et son parti, le RPM, n’ont pas toujours fait bon ménage, mais l’hypothèse soutenue par les observateurs de la scène politique malienne est que c’était une manière d’écarter un potentiel opposant politique. En effet, mieux vaut avoir un potentiel concurrent au dedans plutôt qu’au dehors. Sans compter le fait que Mara soit PM, ne serait-ce que pendant une courte durée, partagera le bilan du Président sortant. Aussi, l’exercice du pouvoir est sans doute plus difficile que la conquête du pouvoir. Son voyage tumultueux à Kidal en mai 2014 et l’achat de l’avion présidentiel en sont une illustration parfaite.

En somme, Mara n’aura passé que neuf mois à la tête du gouvernement. Cependant, il faut mettre à son actif le contrôle physique des fonctionnaires de l’Etat qui a permis de faire des économies puisque de nombreux fonctionnaires fictifs ont été détectés. Même s’il est resté toujours actif sur la scène politique après son départ de la primature, sa popularité en avait pâti. Conséquence, il se rallie à Cheick Modibo Diarra lors de l’élection présidentielle de juillet 2018. La particularité des hommes politiques est leur capacité à demeurer persévérant. Ainsi, en 2020 Mara revient dans l’arène politique en tant que député, certes cela n’aura duré que 3 mois du fait du coup d’Etat, mais cet épisode n’en est pas moins significatif.

Le démocrate solidaire

Le passage de Mara à l’hémicycle est marqué par le financement de nombreux projets des jeunes via ses indemnités de député. Sur ce plan, il faut dire qu’il se démarque du reste de la classe politique. Faire de la politique, au sens noble du terme, c’est se porter volontaire pour résoudre les problèmes de la cité. Il est de notoriété publique que le chômage des jeunes est l’une des problématiques majeures de notre pays. Ainsi, financer les projets entrepreneuriaux participe sans doute à réduire le chômage. Sous d’autres cieux, nombreux sont les hommes politiques qui attendent la période électorale pour distribuer des billets de banques. Ce clientélisme et cet achat de conscience maintiennent les électeurs dans une forme de dépendance vis-à-vis des gouvernants. Ne dit-on pas qu’au lieu de donner du poisson à quelqu’un, apprend lui à pêcher ?  Pas plus tard que la semaine dernière, il a lancé un appel à projet à destination des jeunes. Mais la singularité de Mara sur la scène politique ne se limite pas là.

Le démocrate solitaire

Moussa Mara, puisque c’est de lui qu’il s’agit, n’est pas issu du mouvement démocratique. En effet, il est arrivé sur la scène politique bien plus tard que les acteurs qui ont contribué à l’avènement de la démocratie, du moins de la démocratie électorale au Mali. Et parmi la génération d’hommes politiques post mouvement démocratique, il est le seul acteur à occuper les fonctions de premier ministre. Oumar Tatam-Ly et Dr. Boubou Cissé sont arrivés à la primature en tant que technocrates plutôt que politiques. En outre, au-delà de la politique, Mara a une fonction connue de tous, expert-comptable. Dans un pays où l’on a souvent reproché aux hommes politiques de ne vivre que de la politique, le cabinet d’expertise comptable de Mara lui assure d’autres sources de revenus et peut être gage de crédibilité pour une bonne partie de l’opinion publique.

Brehima Sidibé
Doctorant à CY Cergy Paris Université

C’est sans doute fort de cette certitude qu’il demeure actif sur la scène politique en cette période de transition où les acteurs politiques sont appelés à se taire, suite à la suspension de leurs activités. Décision d’ailleurs soutenue par une frange importante de la population. Malgré tout, Mara n’hésite pas à donner son point de vue sur la gestion de l’Etat critiquant au passage la rémunération jugée trop élevée pour les membres du CNT. Ses nombreuses sorties dans les médias, ou des critiques envers les autorités de transition en appelant à un retour à l’ordre constitutionnel lui valent des critiques de la part de ceux qui estiment que le Mali n’a pas besoin de démocratie. Mais en même temps, cette posture le place paradoxalement dans le jeu politique. Car en politique, c’est surtout l’indifférence qui nuit, pas les critiques. Mais on est en droit de se demander si Moussa Mara, le démocrate solitaire, n’est pas en train de prêcher dans le désert. Le dirigeant de “Yelema” peut-il “yelema” le système en place? Pour ce faire, sur quoi compte-t-il l’expert-comptable?

 

Brehima Sidibé

Doctorant à CY Cergy Paris Université

Source: Mali Tribune
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