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Mission « Barkhane-G5 Sahel » du Senat français : « Le bilan du Président IBK, sur qui la France a misé en 2013, est décevant »

« Le fond de notre analyse c’est qu’il n’y a pas d’Etat »

« On ne peut pas se battre contre l’avis des peuples »

« L’Algérie est un pays essentiel qui devrait s’impliquer davantage pour la sécurité régionale »

« Au Niger ou au Mali on ne devient pas djihadiste par idéologie mais par nécessité de subsistance »

Le 18 avril 2018, à la Commission des affaires étrangères du Senat français, les sénateurs ont tenu une réunion au tour de la Mission « Barkhane-G5 Sahel » qu’ils ont effectué au Mali et au Niger du 12 au 15 mars. De l’opération Barkhane au G5 Sahel en passant par l’accord pour la paix et la réconciliation au Mali, la Minusma, la tenue de l’élection présidentielle du 29 juillet prochain, les sénateurs français ne vont pas avec le dos de la cuillère. Christian Cambon, Président de la commission des affaires étrangères, Olivier Cigolotti, Ladislas Poniatowski, Jean-Marie Bockel, Alain Cazabonne, Mme Hélène Conway-Mouret, Gilbert-Luc Devinaz, Robert del Picchia, Mme Gisèle Jourda, Mme Joëlle Garriaud-Maylam et Ronan Le Gleut parlent sans réserve de la situation sécuritaire au Sahel. Compte tenu de l’importance du document, L’investigateur propose à ses fidèles lecteurs le compte rendu de cette réunion de commission disponible sur le site internet de l’institution française.
M. Christian Cambon, président. – Mes chers collègues, nous venons vous rendre compte de notre mission auprès de l’opération Barkhane, principale OPEX française, où 4 500 soldats français sont déployés, pour un coût de 600 millions d’euros par an. 21 soldats français ont laissé leur vie sur le sol malien depuis 2013, et je veux commencer par leur rendre hommage, comme nous l’avons fait à Bamako dans le jardin de l’ambassade de France, devant le monument où sont inscrits leurs noms, Depuis le premier, le lieutenant Damien Boiteux, du 4e RHFS, mort le 11 janvier 2013. Nous n’oublions pas non plus les blessés. J’ai visité l’hôpital de Gao et j’ai mesuré la gravité des blessures infligées par les engins explosifs : membres arrachés, amputations… Nous avons aussi une pensée pour notre compatriote, la septuagénaire Sophie Pétronin, détenue en otage depuis le 24 décembre 2016.
Nous nous sommes donc rendus, avec MM. Cigolotti et Poniatowski, au Niger et au Mali, du 12 au 15 mars ; je regrette la défection de notre collègue socialiste qui n’a finalement pu se joindre à nous.
Pourquoi cette mission ? On ne peut qu’être frappé à la fois des succès tactiques de Barkhane, qui sont réels : après une vaste opération le 14 février tuant plusieurs dizaines de grands chefs terroristes, une trentaine de terroristes a été tuée la semaine dernière ; succès en décalage total avec l’impasse politique dans laquelle semble embourbé l’accord de paix au Mali, à quelques mois des élections présidentielles qui doivent se tenir en juillet-août prochains.
Nous revenons avec un message assez clair et assez pessimiste : malgré les succès de nos forces armées sur le terrain, malgré une mobilisation sans équivalent de la communauté internationale, seule une solution politique malienne pourra stabiliser le Sahel. Barkhane est évidemment impuissante à faire surgir cette solution politique. Or, la mise en œuvre des accords d’Alger de 2015 est au point mort et l’insécurité se propage vers le centre du pays. Je commencerai par évoquer Barkhane, puis Olivier Cigolotti parlera de la situation au Niger, et Ladislas Poniatowski évoquera la situation du Mali.
L’opération Barkhane a pris le 1er aout 2014 le relai de SERVAL, lancée en janvier 2013. Le Parlement n’a d’ailleurs pas été consulté sur cette « régionalisation » de SERVAL : notre commission a déjà dit dans un récent rapport sur les OPEX qu’elle regrettait que l’article 35 de la Constitution n’ait pas été plus rigoureusement appliqué.
Barkhane a une emprise régionale sur la bande sahélo-saharienne, à partir de trois bases principales :
– au Niger : Niamey est le point d’entrée central de l’opération, et accueille aussi les drones et un détachement aérien d’avions de chasse et de transport ;
– au Tchad : Ndjamena héberge l’état-major de l’opération, commandée par le général Bruno Guibert ;
– au Mali : le volet terrestre comprend environ un millier de militaires répartis entre différents détachements (à Kidal notamment) s’appuyant principalement sur la plate-forme opérationnelle-désert de Gao.
Les missions de Barkhane sont gigantesques : lutter contre le terrorisme dans un territoire grand comme l’Europe, faire émerger la force conjointe G5 Sahel, soutenir les forces armées maliennes, soutenir la MINUSMA.
Barkhane cohabite au Mali avec : la MINUSMA, l’opération de maintien de la paix des Nations unies, (13 000 hommes, 1 Md$/an), EUTM-Mali, l’opération européenne de formation des forces armées maliennes, (600 personnels de 27 nations, 33 millions d’euros sur 2 ans), la force africaine conjointe G5 Sahel, qui mène des opérations 50 km de part et d’autre des frontières, et les armées nationales. Barkhane joue dans ce dispositif complexe un rôle central d’organisateur et de fédérateur.
Les moyens de Barkhane sont impressionnants (4 500 hommes, 21 hélicoptères, 370 blindés, 330 véhicules légers, 8 avions de chasse, 8 avions de transport, 5 drones, sur 14 sites, avec une « logistique d’archipel » dans un milieu très abrasif). Barkhane a su s’adapter suivant 5 axes pour accroître son effet : plus d’agilité, plus de liberté de manœuvre, du renseignement utilisé en boucle plus courte, occuper plus longtemps le terrain, promouvoir le développement dans une approche globale, en apportant des services à la population : puits, ponts, kits pour les écoles…
Nous avons recensé les besoins en équipement de Barkhane en vue de la LPM : ils portent essentiellement sur : les liaisons en vol pour les hélicoptères Tigre, les hélicoptères lourds, les véhicules de type quad/pick up pour la mobilité, les IMSI Catcher pour l’écoute des GSM, la biométrie, la capacité « drones ».
Le potentiel militaire des groupes terroristes est désormais réduit, grâce à un effort très soutenu du renseignement. Ils n’ont plus de sanctuaire. Mais l’insécurité s’est propagée dans le centre. Au nord du pays, des attaques ont lieu sur les postes éloignés de la MINUSMA, qui paye un tribut lourd en blessés et tués.
Si l’emprise de Barkhane s’étend sur plusieurs pays, l’épicentre des opérations est au Mali. Sabre, les forces spéciales, basées à Ouagadougou, agissent essentiellement dans le Nord par opérations « coup de poing » sur du renseignement, parfois avec l’appui de Barkhane, qui se concentre sur la boucle du Niger élargie : de Menaka à Gao, notamment le long des « routes » nationales 17 et 20. Les opérations « Koufra », Koufra 1, Koufra 2, Koufra 3, s’enchaînent et inscrivent la présence de Barkhane sur le terrain dans la durée. Une opération Koufra c’est, pendant 4 semaines sur le terrain, 160 véhicules en colonne sur 10 km, 700 hommes, des hélicoptères, une couverture aérienne…
En ce moment, Koufra 3 frappe dans la zone de l’EIGS, l’Etat Islamique Du Grand Sahara, affilié à Daech, qui avait monté l’embuscade de Tongo -Tongo où 4 soldats américains sont morts en octobre 2017. Les conditions climatiques extrêmes et le terrain hostile mettent les équipements et les hommes à rude épreuve.
Les forces armées maliennes sont systématiquement associées à ces opérations. Le but est de leur permettre de s’autonomiser, de monter en puissance, pour mener à bien, progressivement, leurs propres opérations.
En ce qui concerne la participation européenne, elle s’est améliorée puisque les Allemands ont un contingent de plus de 800 soldats dans la MINUSMA, co-localisés avec nos troupes à Gao, où sont aussi présents les Pays-Bas, un détachement de l’armée de l’air allemande opère à Niamey deux Transall et une unité médicale ; 23 états-membres participent à la mission de formation des forces armées maliennes, EUTM Mali, commandée par un Espagnol. L’Italie s’implante au Niger. L’Union européenne soutient financièrement la force G5 Sahel. Trois hélicoptères lourds Chinook britanniques sont attendus prochainement à Gao. De manière générale, il y a une prise de conscience que la stabilité du Sahel n’est pas une « marotte française ». J’ai échangé hier avec le Premier ministre canadien, M. Justin Trudeau : le Canada va fournir un effort important pour la MINUSMA.
L’Union européenne s’est en effet mobilisée depuis 2013 pour reconstruire une armée malienne qui s’est littéralement débandée face aux terroristes. L’opération EUTM Mali dispense formation et conseil afin de contribuer à la restauration des Forces Armées Maliennes (FAMa). La France n’y participe qu’au sein du pôle « Conseil » (avec 12 personnes). La mission est dans son 3e mandat, élargissant sa zone de travail jusqu’à Gao et Tombouctou avec un nouveau mode d’action décentralisé au niveau des régions militaires. Un 4e mandat sera défini en mai 2018.
Le pôle « Formation » de Koulikoro a entraîné 8 bataillons maliens, soit 12 000 hommes, afin de permettre leur engagement opérationnel. Différents cours sont assurés sur l’autorité et l’exemplarité, le respect du droit humanitaire, et surtout la formation de formateurs, pour aider à l’autonomisation des militaires maliens. La mission européenne souffre de plusieurs handicaps :
– l’insuffisance en nombre de francophones impose le recours aux traducteurs, qui ne facilitent pas la meilleure compréhension entre tous les acteurs, mais EUTM a appris à « faire avec » ;
– EUTM n’a pas de partenariat avec les écoles de sous-officiers, qui sont le maillon faible de l’armée malienne et un élément tout à fait central de la reconstruction de l’armée : apprendre aux Maliens à faire une LPM c’est bien, former leurs sous-officiers, ce serait mieux !
– Surtout, alors que 70 % de l’armée de Terre malienne est passée par EUTM, les Maliens n’assurent aucun suivi des formés, et éparpillent les stagiaires au lieu de les projeter en unités constituées, alors même que les stages de 5 semaines de formation ont créé le minimum de cohésion qui fait si cruellement défaut à leurs unités.
EUTM a besoin de notre soutien : il n’y a pas d’autre solution que de reconstruire l’armée malienne, sans se décourager, même si on a parfois l’impression d’arroser le sable.
Il en va de même de la MINUSMA, qui n’a évidemment pas l’efficacité de Barkhane. Elle n’est pas vécue au Mali comme essentielle pour assurer la sécurité et concourir à la paix. Prenons garde au « MINUSMA bashing », complaisamment véhiculé par les Maliens, à l’heure où le Conseil de sécurité de l’ONU fait une revue stratégique de cette opération de maintien de la paix, et qu’il va falloir demander aux membres de l’ONU de payer la facture -1Md de dollars par an, dont la France ne paie que 6 % environ !-. La revue stratégique conduite fera ses recommandations en mai, pour un renouvellement du mandat en juin.
Je rappelle combien la France s’est battue pour obtenir le déploiement de la MINUSMA, Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali, en 2013. Son mandat comporte une dimension militaire mais aussi civile, centrée sur l’appui à la mise en œuvre du processus de paix.
BARKHANE est très claire : nous avons besoin de la MINUSMA. Tout retrait au Nord, aujourd’hui occupé par la MINUSMA, s’assimilerait à un succès idéologique et de territoire pour les groupes terroristes et leur permettrait de se renforcer au Centre (car les donneurs d’ordre sont principalement localisés au nord et coordonnent les éléments présents dans le Macina).
Savez-vous aujourd’hui quel est le seul moyen de rallier Kidal depuis Bamako ? « Air MINUSMA » !!! De plus, la MINUSMA est déployée non seulement au Nord (Kidal, Tessalit, Aguelhoc), à l’Est (Gao, Ménaka, Ansongo) mais surtout au Centre (Tombouctou, Mopti, Sévaré), où ne va pas Barkhane.
S’agissant du processus politique, la MINUSMA est chargée de la mise en œuvre du processus de paix et de la bonne tenue des élections. Rôle que ne peut évidemment tenir Barkhane.
Les contingents de la MINUSMA comprennent des éléments venus du Niger, du Burkina Faso, du Sénégal et du Bangladesh, les éléments logistiques étant assurés essentiellement par le Togo, la Chine et le Nigéria. Nous avons fait le point avec les chefs de la MINUSMA et notamment le Général belge Deconinck, Commandant de la Force. Ils ne nous ont pas caché que MINUSMA manque de ressources, puisque son plafond de 13 000 hommes n’est pas atteint, et que, chaque contingent apportant son matériel, il manque 200 véhicules, des drones, des hélicoptères… La MINUSMA est insuffisamment protégée, en particulier contre les engins explosifs, d’où un effort pour réduire son empreinte logistique et sa vulnérabilité. Son auto-protection consomme trop de ses ressources.
A notre avis, la revue stratégique en cours doit permettre de la consolider.
Je rappelle que le mandat renforcé de la MINUSMA est le plus « robuste » des opérations de maintien de la paix, au rebours de la culture « casques bleus » de l’ONU, avec une mission ambitieuse de « prévenir et contrer » les menaces asymétriques. La MINUSMA déplore plus de 150 morts depuis son lancement, dont 9 depuis janvier 2018.
Évidemment, la MINUSMA a des défauts :

• elle ne protège pas assez les populations civiles ; reste confinée dans ses bases ;

• ses contingents sont inégaux : les contingents africains, qui sortent le plus, sont insuffisamment préparés, formés et équipés ; ses contingents européens, les mieux équipés, ont parfois des restrictions d’emploi nationales qui les limitent ;

• elle manque de capacités de renseignement. Pour autant, nous en avons besoin.

M. Olivier Cigolotti. – Le Niger est souvent présenté comme le « petit frère » du Mali, dont il partage les difficultés : explosion démographique, pauvreté, trafics, impact du dérèglement climatique, diversité ethnique. Avec une difficulté particulière liée au trafic de migrants depuis la corne de l’Afrique et l’Afrique sub-saharienne et vers la Libye. Pourtant, son action résolue pour la sécurité (il y consacre 17 % de son budget) et pour la lutte contre les migrations, l’intégration plus réussie des populations du Nord contraste avec la situation au Mali. Le Niger a connu à partir des années 90 les mêmes rébellions Touareg que le Mali, qu’il a beaucoup mieux gérées. Le brassage volontariste, mené dès l’indépendance, a porté ses fruits. Depuis l’arrivée au pouvoir du Président Issoufou, le Premier ministre, que nous avons rencontré, est touareg (Brigi Rafini). Les revendications du Nord ont été calmées par un accord de paix en 2008 qui a mis fin à la rébellion de 2007.
Le Niger est écartelé entre plusieurs fronts terroristes, celui de la zone des trois frontières (Mali, Burkina Faso, Niger) contre lequel lutte Barkhane, et le front de Boko Haram, à Diffa, près du lac Tchad, où la situation humanitaire est catastrophique.
Le Niger est, avec le Tchad, un des meilleurs alliés de la France dans la région sur le plan de la sécurité. Il s’est engagé en faveur du règlement de plusieurs crises, avec l’envoi de casques bleus en Côte d’Ivoire de 2004 à 2015, puis en Centrafrique et en Haïti. Au Mali, il déploie aujourd’hui près de 900 casques bleus et participe au comité de suivi de l’accord d’Alger.
Niamey est vraiment moteur dans l’émergence de solutions de sécurité régionales. Il a cofondé la force multinationale mixte, la FMM, contre Boko Haram avec le Tchad, le Nigéria et le Cameroun. Il a été moteur dans le lancement du G5 Sahel.
Nous nous sommes entretenus avec plusieurs ministres et avec le Premier Ministre, qui nous a fait part de la reconnaissance du Niger envers la France pour son appui. Nous avons mesuré la profondeur de notre relation stratégique : je cite le Premier Ministre du Niger « on se comprend », « vos soldats sont admirables ».
On ne peut donc se féliciter que, malgré ses maigres moyens, le Niger ait pris la présidence de la force conjointe du G5 Sahel.
Créée en février 2014, la force conjointe G5 Sahel est une force transfrontalière, rassemblant le Niger, le Tchad, la Mauritanie, le Mali et le Burkina Faso, qui prévoit d’abord une force frontalière à terme d’un bataillon par État. Le principe est de pouvoir entrer sur 50 km à l’intérieur du pays voisin, le long de trois fuseaux : fuseau centre, fuseau est, fuseau ouest. C’est le fuseau centre qui est le plus actif et nous avons visité son PC à Niamey qui nous a fait bonne impression.
Le « fuseau centre », c’est une zone de deux fois 50 km le long des 1 800 km de frontière entre le Mali le Niger et le Burkina Faso, soit 180 000 km2. 650 soldats nigériens constitueront la force conjointe qui devrait atteindre sa pleine capacité sous peu.
Deux opérations ont déjà été conduites : HAW BI en octobre, PAGNALI en janvier, toutes deux avec le soutien de Barkhane.
Chacun sait la part très importante que la France a prise dans sa constitution, depuis 2015. D’abord en faisant adopter deux résolutions à l’ONU, en organisant sous présidence française du conseil de sécurité un débat sur ce sujet en présence de notre ministre, puis avec une réunion internationale 13 décembre à la Celle-Saint-Cloud, avec enfin un soutien à la conférence des donateurs à Bruxelles en février… C’est désormais une priorité franco-allemande, qui correspond pleinement à l’idée d’une prise en charge de leur sécurité par les Africains.
Les Etats-Unis, réticents, n’ont annoncé qu’un soutien annuel à hauteur de 60M$, car ils préfèrent agir au Niger en bilatéral, avec un exercice dit « Flintlock 2018 » actuellement en cours. Mais la force conjointe a pu obtenir le soutien de principe, sous la forme d’un appui logistique et opérationnel, de la MINUSMA.
Pas de paix au Sahel sans l’Algérie
Évidemment la Force Conjointe est un outil puissant pour l’avenir. Mais il ne faut pas non plus perdre de vue que le G5 s’appuie aujourd’hui sur des armées nationales parmi les plus faibles au monde. On ne peut pas en attendre des miracles dans l’immédiat.
Je souligne deux fragilités :
– la force conjointe est survalorisée sur le plan politique ; or elle mettra des années à atteindre une véritable efficacité opérationnelle ; si le Niger et le Tchad sont partants, la Mauritanie pour ne pas la citer est un frein réel ; il ne faut pas croire en France que c’est un « ticket de sortie » à court terme pour Barkhane ;
– son financement est assuré pour l’instant, à la suite de la conférence de février à Bruxelles qui a dégagé 410 millions d’euros de promesses de dons, mais sur une base seulement annuelle. Il lui reste à faire ses preuves sur le terrain, donc à faire des opérations, or aucune n’est planifiée à court terme.
Lors de nos entretiens politiques au Niger et au Mali, nous avons abordé la question de l’Algérie. Il suffit de regarder une carte pour comprendre que rien ne se règlera au Sahel sans l’Algérie. On ne peut pas concevoir la paix et la stabilité de cette immense région sans l’Algérie dont l’armée compte 3 000 000 d’hommes. L’Algérie qui a elle-même dû faire face, dans les années 1990, à la terreur islamiste : ce sont les « années de plomb », avec 100 000 morts. Elle a payé un lourd tribut au djihadisme. Sa frontière avec le Mali est longue de 1 200 km.
L’Algérie a joué un rôle positif quand elle a autorisé le survol de son territoire par des avions de guerre français, quand elle a livré de l’essence, quand elle a parrainé les accords d’Alger en 2015. Mais elle est aujourd’hui en arrière de la main, et c’est une préoccupation forte.
Pourtant pas plus l’Algérie que la France ne souhaitent que les troupes françaises s’éternisent dans la bande sahélo-saharienne. Il faut donc travailler à une collaboration plus active avec l’Algérie. Les chefs terroristes neutralisés le 14 février dernier étaient à 900 m de la frontière algérienne…
L’Algérie joue un rôle ambigu pour la mise en œuvre de l’accord de paix dont elle est pourtant garante. Au-delà de la collaboration de façade sur le dossier malien, certains se demandent quel est son engagement réel pour le retour de la stabilité politique et la lutte contre le terrorisme.

M. Ladislas Poniatowski. – Presque trois ans après sa signature en août 2015, par le gouvernement malien et les « groupes armés signataires », la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation n’a pas avancé d’un pouce.
Dans cet accord de paix, les ex-rebelles renonçaient officiellement à leurs revendications d’indépendance du nord du Mali et un processus de désarmement -c’est essentiel !- était prévu. Des autorités intérimaires régionales et des Mécanismes opérationnels de Coordination (les « MOC ») devaient amorcer le retour de l’État malien dans le nord du pays. La décentralisation devait, en contrepartie, mieux prendre en compte les aspirations du Nord du pays.
Mais rien n’avance. Les armes sont toujours bel et bien là, les services publics et l’administration ne sont pas revenus ! Côté révision constitutionnelle, un projet a été finalement retiré. La « Conférence d’Entente nationale » n’a rien donné ; des « chronogrammes » et autres « feuilles de route » successifs ont été publiés, jamais respectés. Serviraient-ils d’alibi à l’inaction pour permettre de gagner du temps ?
La réforme de décentralisation suscite des crispations ; s’agissant de la démobilisation des combattants, le seul « MOC » actif, celui de Gao, a fait l’objet d’une attaque terroriste qui a cassé la dynamique ; or cette question est cruciale pour l’intégration des ex-combattants dans une « armée reconstituée » véritablement malienne.
Par ailleurs, l’Etat malien est encore absent d’une partie du nord du Mali, notamment à Kidal, malgré la visite récente très symbolique du Premier Ministre Maïga.
À Bamako, si le Président Keïta et le ministre des affaires étrangères ont défendu auprès de nous le processus de paix, le contexte des élections présidentielles n’est pas favorable.
De leur côté, les mouvements signataires ne nous ont pas donné non plus l’impression de vouloir jouer pleinement le jeu de l’accord de paix. C’est à se demander si les représentants de ces mouvements que nous avons rencontrés à Bamako ne donnent pas le change à la communauté internationale, tandis que dans le nord du Mali, les « affaires » continuent comme avant. Chacun connaît dans le nord du Mali le poids des trafics, de drogue en particulier.
Barkhane s’appuie sur du renseignement humain pour son action. Mais la frontière est parfois floue entre les terroristes et les autres…
Nous voyons bien le piège pour Barkhane à ce qu’on laisse s’enliser ce statu quo ! Que peut faire la France ?
L’Accord de paix reste la solution : il n’existe pas d’alternative à l’heure actuelle même si les acteurs n’ont pas l’air très engagés dans sa mise en œuvre
La situation sécuritaire se dégrade rapidement dans le centre du Mali. En 2013, les terroristes étaient à Kona, à 400 km de Bamako, aujourd’hui ils sont à 100 km !
Suite à la pression mise sur eux par Barkhane dans le Nord du pays, les groupes terroristes ont changé de stratégie en tentant de s’enraciner dans de nouvelles zones (le centre et sud-est) où ils profitent de l’absence de l’État et des forces internationales et exploitent la pauvreté et les frustrations de la jeunesse : 50 % de la population malienne a moins de 16 ans et le pays est parmi les plus pauvres du monde.
Sous l’impulsion de Iyad Ag Ghali, les groupes terroristes du nord du Mali ont fusionné en mars 2017 au sein d’un nouveau « Rassemblement pour la victoire de l’islam et des musulmans (RVIM) ».
La situation sécuritaire est aujourd’hui très préoccupante dans le centre. Deux groupes terroristes, majoritairement composés de Peuls, y sont particulièrement actifs : la Katiba Macina d’Ansar Eddine et Ansar-ul-Islam, qui agit de part et d’autre de la frontière entre le Mali et le Burkina Faso. En deux ans, les attaques quasi-quotidiennes et meurtrières ont répandu un climat de terreur parmi les populations.
La bonne tenue des élections présidentielles de juillet 2018, un véritable défi
Les différentes tentatives de l’État pour reprendre pied dans cette zone considérée comme le « verrou vers Bamako » ont jusqu’ici été un échec et la situation menace de dégénérer. Face à cela, le gouvernement malien a lancé, en mars dernier, un programme de sécurisation des régions du centre du Mali alliant les aspects sécuritaires, de développement et de rétablissement de l’administration, et une opération militaire, l’opération DAMBE.
Il est difficile d’évaluer le résultat de cette action ; des soupçons d’exactions sur la communauté peule pèsent sur les forces armées maliennes. L’État malien a jusqu’à présent été incapable d’apporter les services publics à la population dans la région centre. Je suis tenté de dire que les opérations des forces armées peuvent même être contre-productives si elles aggravent la situation en renforçant la méfiance des populations envers les autorités.
Le tourisme faisait vivre le centre du Mali ; il s’est effondré. D’après l’UNICEF, 400 écoles ont été fermées dans le centre. Elles ne sont toujours pas ré-ouvertes et la justice n’est pas rendue. Aucun dialogue politique entre les différentes communautés n’est à ce stade engagé. Dans ce contexte, la bonne tenue des élections présidentielles de juillet 2018 est un véritable défi.
D’une façon générale, le Mali, d’une superficie de deux fois celle de la France, avec 7 000 kilomètres de frontières avec sept pays, dispose des forces de sécurité limitées : 7 000 policiers (environ 140 000 en France) ; 5 000 gendarmes (environ 100 000 en France) et 5 000 gardes nationaux. Comment tenir l’ensemble du territoire ?
Notre commission l’a dit plusieurs fois : la clé de la stabilisation c’est le développement économique et social. Nous avons eu au Mali de nombreux entretiens avec les acteurs du développement.
Le Mali bénéficie d’une implication considérable des bailleurs internationaux. La Conférence de Bruxelles de mai 2013 avait prévu 3,3 milliards d’euros d’aide sur 2013-2014 ; et l’engagement s’est maintenu au même niveau par la suite.
Le Mali est un des 16 pays prioritaires de l’aide publique au développement française. Entre 2013 et 2017, la France a engagé 473 M€ pour le Mali dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, de l’agriculture, du développement rural, des services sociaux de base, de la santé, de l’éducation (65 % de la population est illettrée)…
Nos entretiens avec les acteurs de l’aide au développement ont mis en évidence deux réalités contradictoires :
– D’abord, il y a une vraie priorité politique en franco-allemand avec « l’Alliance pour le Sahel », pour des projets rapides, efficaces, dirigés sur le nord, sur le centre, et nos équipes sont pleinement mobilisées ;
– Mais les ministères sectoriels maliens ne s’impliquent pas, il n’y a aucune coordination ministérielle, pas de véritable planification.
La dégradation de la situation sécuritaire est un vrai obstacle : un diplomate de l’UE à Bamako nous a ainsi donné l’exemple de la construction de la route de Tombouctou vers le Nord du Pays, chantier mobilisant 800 personnes, arrêté par des attaques terroristes. Un barrage a été détruit avant sa mise en service. Les djihadistes veulent évidemment exclure les bailleurs du Nord, pour être les seuls à apporter des services à la population. L’AFD arrive après de très grands efforts à un taux de décaissement au Mali qui est seulement de la moitié de son taux habituel.
Le bilan du Président IBK est décevant
Heureusement nous avons des succès, des projets emblématiques comme la station de traitement des eaux de Kabala, qui apportera l’eau potable à un million de Bamakois, la moitié de la population de la capitale, ou l’hôpital régional de Mopti/Sévaré.
Le niveau de vie des populations reste très bas puisque 50 % de la population vit sous le seuil de pauvreté. Avec 6,9 enfants par femme, et 55 % des femmes mariées avant l’âge de 18 ans, ce pays double sa population tous les 18 ans. Il est classé aux tout derniers rangs en termes d’indice de développement humain. Le changement climatique le touche de plein fouet et les secteurs de l’éducation et de la santé sont dans des états très préoccupants.

M. Christian Cambon, président. – En conclusion, nous avons une analyse plutôt pessimiste sur l’écart entre succès militaires et impasse politique. A quatre mois du scrutin présidentiel au Mali, le bilan du Président IBK, sur qui la France a misé en 2013, est décevant.
Pire, pour une bonne partie de la classe dirigeante malienne et de la population, la France est considérée comme un gêneur. Les parlementaires maliens que nous avons rencontrés n’ont pas hésité à critiquer l’action de notre pays. Ils entretiennent le fantasme d’une France ayant un agenda caché dans le nord du Mali ! La motivation principale de la France serait d’assurer sa mainmise sur les ressources naturelles dont le nord du Mali regorgerait soi-disant !
Le fond de notre analyse c’est qu’il n’y a pas d’Etat. Dans le centre, quand les écoles ferment, elles sont remplacées par des écoles islamistes. Les djihadistes sont finalement les seuls à s’occuper de la population.
On voit bien le piège pour Barkhane : celui de l’enlisement. Une action politique et diplomatique vigoureuse est nécessaire.
Je me propose de faire passer ce message très directement à l’exécutif français. Attention à ne pas mettre un espoir excessif dans le G5-Sahel. Si Barkhane s’en va, la région sera à nouveau menacée.
Les contingents de la MINUSMA peinent à endiguer les menaces, face à des groupes armés qui connaissent parfaitement la géographie du territoire.
Nous avons été favorablement impressionnés par le travail des autorités nigériennes, qui sont pourtant confrontées à une situation aussi complexe. La pauvreté, la question migratoire et la présence de plusieurs foyers terroristes, dont Boko Haram, sont autant de défis que le président Mahamadou Issoufou relève.
Nos soldats sont confrontés au Mali à une montée en gamme de la violence. S’agissant du coût de la MINUSMA, il est élevé : il s’élève à 1 Md $ par an et une part considérable est octroyée à la sécurité des casques bleus.

M. Jean-Marie Bockel. – Cette présentation était éclairante, car elle était à la fois réaliste et pas pessimiste. Compte tenu des enjeux sécuritaires, nous voyons bien que l’armée française ne peut pas quitter la région. Alors, que faire ? Je n’ai pas la réponse à cette question.
À l’époque où Mamadou Tandja était président de la République du Niger, la situation était alors catastrophique et le pays était le « maillon faible » ; cela prouve que c’est souvent par la tête que les choses pourrissent ou se redressent. Le Mali a été confronté à la même situation par le passé, avec des débuts brillants de l’ancien président de la République Amadou Toumani Touré, qui ont pu entraîner une dynamique positive. On connaît la suite.
Le G5 Sahel constitue une piste intéressante, qui ne pourra réussir qu’en s’appuyant sur des éléments solides. Je pense que, pour l’heure, il nous faut être réalistes, accepter la situation et tenir bon. Et espérer que le Mali soit mieux dirigé à l’avenir.

M. Alain Cazabonne. – Après avoir entendu vos différentes interventions, je me demande s’il existe une lueur d’espoir. La lutte contre les mouvements insurrectionnels ou terroristes doit avant tout être menée par les populations locales, avec notre appui.
À quoi le manque de moyens des forces militaires est-il dû ? La raison est-elle financière ou tient-elle à la déstructuration de l’État ? Ou s’agit-il alors d’un manque de formation des militaires ? Le problème me parait insoluble et pointe les limites de notre engagement. Il est par ailleurs regrettable que l’Europe soit absente de cette question, et qu’elle n’ait pas pris conscience du danger encouru si ce territoire basculait aux mains des islamistes. À défaut d’y déployer des soldats, l’Europe pourrait aider à la formation des militaires de la région.
À la lumière de vos exposés, je suis très pessimiste et me demande pourquoi la France est encore engagée sur place. Pourquoi rester si le succès de la mission semble incertain et que les terroristes parviennent malgré tout à progresser, notamment à travers l’éducation qu’ils prennent désormais en charge ?

M. Olivier Cigolotti. – Au Mali, nous avons constaté que le port de l’uniforme était avant tout un moyen de subsistance, grâce à la solde versée aux militaires. Par ailleurs, outre un problème d’effectifs, l’armée malienne doit faire face à un manque de formation de ses soldats, qui les empêche d’aller au combat.

Mme Hélène Conway-Mouret. – Je partage votre constat. Tout le monde, et en particulier les pays voisins, est désolé de voir ce pays s’enliser sans que ses dirigeants n’agissent réellement.
En revanche, il existe bel et bien une formation militaire, mais les besoins et l’attrition des forces maliennes sont tellement importants qu’il faut y consacrer beaucoup de temps.
Nous avons une ambassadrice de France au Mali de qualité. C’est une femme solide, au discours très ferme, et cela mérite d’être souligné.
Ma question porte sur l’aide au développement. Nous avons lancé un certain nombre de grands travaux, comme l’assainissement de l’eau et de certains quartiers de Bamako. Avec notre ancien collègue Henri de Raincourt, nous avions préconisé d’investir dans l’éducation, l’agriculture et les petits projets qui ont des effets immédiats pour la population. Or, dans le Nord du pays, l’Agence française de développement est absente – elle n’est pas plus présente dans le centre du Mali, où elle devrait pourtant se trouver. Avez-vous constaté sur place un changement d’orientation de notre aide publique au développement ? Il faudrait mettre davantage l’accent sur des petits projets tels que la construction d’un puits ou d’une école, au détriment des grands investissements qui coûtent des centaines de milliers d’euros et dont les fonds sont en grande partie détournés.

M. Gilbert-Luc Devinaz. – Merci pour cet éclairage même s’il est pessimiste. Je veux revenir sur la dernière attaque et la dégradation de la situation sécuritaire au Mali. Vous l’avez dit, une action politique est nécessaire, mais sur quels acteurs la France peut-elle compter pour améliorer la situation concrètement ?

M. Robert del Picchia. – Très bonne analyse de la situation, pessimiste mais réaliste. Que peut-on faire ? Rien. Nous sommes obligés de rester car si nous partons, le Mali tombera et ce sera ensuite le tour du Burkina Faso. Nous sommes dans une situation où il y a un risque qu’une sorte d’Etat islamique se développe au centre de l’Afrique sans parler de ce qui pourrait se passer au nord, c’est-à-dire vers l’Algérie, la Tunisie, car cela peut avoir des conséquences directes pour nous. Prenons le cas de la Tunisie, il y a en France 800 000 Tunisiens : imaginons les conséquences sur la sécurité en France d’une déstabilisation de ce pays. Ma question est la suivante : n’y a-t-il pas au-delà de ce que l’on entend la possibilité que la France fasse une proposition, soit devant l’ONU, soit devant l’Union européenne, d’une intervention beaucoup plus importante sur le plan militaire, de l’administration du pays et de la recherche d’une solution politique ? Nous avons parlé de l’Algérie, mais qu’en est-il de la Mauritanie ?

Mme Gisèle Jourda. – Ma question rejoint la conclusion de mon collègue Robert del Picchia. En évoquant les fragilités politiques, vous avez dit que la Mauritanie constituait un frein. Je souhaiterais savoir en quoi la Mauritanie est un frein.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. – Merci pour cette présentation lucide. Je rebondis sur ce qu’ont dit mes collègues Jean-Marie Bockel et Hélène Conway-Mouret. Dans ces pays, nous ne sommes pas accueillis comme nous devrions l’être. Il existe un ressentiment contre notre présence, vous l’avez dit. On ne peut pas se battre contre l’avis des peuples. Il y a vraiment un problème car le désengagement brutal est impossible. Il faut demander à ces pays de prendre davantage leurs responsabilités. Il y a une dégradation de la situation que j’ai constatée moi-même en rencontrant des parlementaires maliens, notamment dans le cadre de l’AP-OTAN. Le Premier ministre du Niger, que j’ai moi-même rencontré lorsqu’il était président de la commission des finances, est une personnalité tout à fait remarquable. Nous avons aussi un problème de moyens de coopération bilatérale. Nous accueillons de moins en moins, faute de budget, des dirigeants susceptibles de prendre la situation de ces pays en main. Notre commission a besoin aussi de réclamer davantage de moyens pour identifier des personnalités de qualité qui puissent vraiment aider au développement de leur pays et à la formation des populations. Il y a aussi une inquiétude profonde dans les pays de l’Afrique de l’Ouest – Sénégal, Guinée – qui demandent une plus grande présence de la France. Il y a vraiment un changement de logique intellectuelle à faire. Il faut absolument instituer cette responsabilisation, ces pays ne doivent pas tout attendre de la France et se prendre en charge. On l’a bien vu en Tunisie avec Ennahdha, les islamistes ont donné de l’argent et créé des écoles. Comme l’a dit Hélène Conway-Mouret, je le dis aussi depuis des années, il n’est peut-être pas nécessaire d’envoyer des sommes considérables alors que l’on sait très bien que les petits projets apportent des solutions positives. Je pense en particulier aux femmes qui sont essentielles dans la lutte contre le terrorisme.

M. Ronan Le Gleut. – Je m’interroge sur les racines des problèmes que rencontre la région. Pourquoi le wahhabisme se développe-t-il ? Qui le finance ? Il y a-t-il des acteurs qui influent sur la déstabilisation ?

M. Ladislas Poniatowski. – Au sujet de l’aide au développement, il existe d’importants projets, dont les financements sont principalement européens. En parallèle, un nombre important de projets de moindre envergure sont soutenus. Il faut saluer les risques que prennent les ONG, qui se rendent dans des zones dans lesquelles ni les autorités, ni les forces armées, ne sont présentes. Les personnes qui travaillent pour ces ONG y risquent leur vie, quand bien même elles ne sont pas les cibles privilégiées des terroristes, qui préfèrent s’attaquer à des projets de plus grande envergure dont l’impact est plus important.
Nous devons compter sur les populations locales dont l’engagement est indispensable pour répondre aux défis qui se posent. Seuls, nous ne pouvons rien faire. Pire, l’ONU se découragera, ce qui pourrait conduire à un désengagement de la MINUSMA qui devrait impérativement rester sur place.
S’agissant du G5 Sahel, il n’existe aucune garantie : ses financements valent pour l’année en cours. Aucun pays ne s’est pour l’instant engagé pour financer la force l’année prochaine.
Concernant l’Algérie, au vu de la dimension de son armée, c’est un pays essentiel qui devrait s’impliquer davantage pour la sécurité régionale.

M. Olivier Cigolotti. – À plusieurs reprises nos interlocuteurs nous ont dit qu’il ne peut y avoir de sécurité sans développement. Et à l’inverse, il n’y aurait pas de développement sans sécurité puisque certaines zones, notamment au Nord, sont inaccessibles et ne permettent pas d’apporter une aide directe à la population.
La Mauritanie participe au G5 Sahel, mais il s’agit du pays le plus réticent pour la montée en puissance de cette force. Tout au long de notre mission, nous avons ressenti cette fragilité et ce manque d’investissement politique de la Mauritanie dans sa contribution au G5 Sahel.
Au Niger ou au Mali on ne devient pas djihadiste par idéologie mais par nécessité de subsistance. Par exemple, lorsque le maigre cheptel d’un éleveur n’a pas survécu à une sécheresse importante – ce qui arrive malheureusement très souvent dans la bande sahélo-saharienne -, celui-ci accepte parfois, pour quelques euros, de participer à une opération de narcotrafic dirigée par un réseau djihadiste. Il faut savoir que dans certaines régions du Mali, seulement 10 pourcents de la population bénéficient d’un accès à l’eau ou à l’électricité. L’État malien, défaillant, n’est pas présent sur l’ensemble du territoire.

M. Christian Cambon, président. – Joëlle Garriaud-Maylam a raison de dire qu’il s’agit d’un problème de personnes. Je vais inviter devant notre commission M. Brigi Rafini, premier ministre du Niger, afin que vous puissiez vous entretenir avec ce dirigeant africain qui a bien cerné toute la problématique et tente d’apporter des solutions. La situation au Tchad est également contrôlée par son président, Idriss Déby. Ces deux pays sont pourtant plus pauvres que le Mali, mais leur situation est différente, alors même qu’ils sont également sous la menace de Boko Haram.
Au Mali, la corruption règne et l’accord pour la paix et la réconciliation (dit « Accord d’Alger »), âprement négocié, n’est pas respecté. Avant d’être sénateur, dans le cadre des actions de solidarité que je menais dans le domaine de l’accès à l’eau, j’avais été reçu par le Président Amadou Toumani Touré qui m’avait demandé de ne pas aller dans le Nord du pays car cette région ne l’intéressait pas. Quand le chef de l’État ne souhaite pas aider une partie de la population, il n’est pas étonnant de se trouver confronté à une telle situation des années plus tard ! Les Français sont actuellement absents du centre du Mali car, en prévision de l’élection présidentielle, le président actuel, Ibrahim Boubacar Keïta, souhaite démontrer que ses forces armées maîtrisent la situation. En réalité, l’Accord d’Alger est resté lettre morte pour le moment en raison, d’une part, de la corruption qui règne dans le pays, et d’autre part, du choix des interlocuteurs.
Par ailleurs, le rôle de l’Algérie est, à mes yeux, crucial. Ce pays compte près de 3 millions de soldats. Les Algériens sont les garants de l’Accord d’Alger, et ont été victimes du terrorisme par le passé.
Pour répondre à Ronan Le Gleut, cette zone a toujours été un lieu de trafics car c’est l’un des seuls moyens de survivre.
Il n’est plus exact de dire que notre armée n’est pas aidée par nos voisins européens. En revanche, elle mène le travail le plus compliqué qui consiste à aller débusquer les terroristes buisson par buisson. Il commence à y avoir une prise de conscience des Européens ; les Britanniques ont ainsi accepté de déployer trois hélicoptères lourds Chinook qui seront très utiles car la France ne possède pas d’hélicoptère de manœuvre et d’assaut lourd. À ce soutien s’ajoute le déploiement de plusieurs centaines de soldats canadiens et l’aide de l’armée américaine positionnée dans la région. L’Allemagne est présente ; elle a en revanche des règles d’engagement excessivement strictes, mais contribue malgré tout à la Minusma, par exemple en matière de transport ou d’évacuation sanitaire.
La situation réelle est donc plutôt inquiétante au rebours du discours officiel selon lequel le G5 Sahel va prendre rapidement les choses en main. J’espère que cela se réalisera avec le temps, mais ce processus sera long.

M. Ladislas Poniatowski. – Un mot sur l’attaque d’hier à Tombouctou. J’ai été frappé de voir que c’est la première fois que les terroristes attaquent directement nos forces car en fait ils évitent habituellement Barkhane dont ils ont peur. Nos troupes sont constituées de professionnels bien équipés et bien armés. J’ai mesuré la force de l’organisation française, avec des GTIA constitués de différentes unités, qui est tout à fait extraordinaire. Ce n’est pas un régiment qui se trouve sur place mais des troupes de toute la France qui travaillent ensemble pendant quatre à six mois. Les terroristes ont peur des soldats français, mais pas de la MINUSMA. Hier donc, c’était la première fois qu’une attaque était dirigée contre une base de Barkhane. Il y a eu sept soldats français blessés. Lorsqu’il y a des morts, c’est le plus souvent dû à des mines posées sur le terrain ou à l’explosion de véhicules. Dans l’ensemble, les terroristes ne veulent pas aller à la confrontation directe avec les troupes françaises.

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