Depuis le début de l’année, la MINUSMA, la mission de l’ONU au Mali, organise des rencontres inter villages pour ramener la paix dans le cercle de Koro, notamment à Sabéré, Am et Danghatené, trois villages dogons. Au mois de mars, Fatou Thiam a conduit une mission de bons offices pour ramener la paix entre les villages de Saberé et de Yoro peul. Pendant trois jours, près de la frontière entre le Mali et le Burkina Faso, cette mission a rencontré les leaders de ces deux villages. Fatou Thiam revient pour Nord Sud journal sur cette initiative.
Ici, nous sommes dans le village de Yoro, qui a subi des exactions, comme d’autres dans la zone. Pouvez-vous nous expliquer l’objectif du projet qui vous a amenée ici avec une équipe de la MINUSMA ?
C’est en fonction de la situation qui prévaut à Koro que la MINUSMA s’est dit qu’il fallait faire quelque chose. C’est dans cet esprit qu’a été monté le projet Justice et réconciliation, pour mener des interventions au niveau local. Parce que nous pensons que pour avoir un impact réel il faut travailler à la base, connaitre les causes des conflits et ensuite voir dans quelle mesure nous pouvons apporter notre contribution à la résolution de ces conflits.
C’est un travail de fourmi. Vous allez de village en village pour essayer de régler les différends un a un. C’est le début du projet. Est-il amené à s’étendre ou allez-vous rester dans le cercle de Koro ?
Comme vous le savez, c’est projet-pilote. Nous commençons quelque part pour établir les faits et mesurer l’impact de notre action. Parce qu’il ne faut pas faire des sensibilisations pour faire des sensibilisations, nous voulons des résultats concrets à la base, avec les communautés. C’est pourquoi nous avons réactivé les comités locaux de réconciliation qui existaient pour qu’ils se remettent la tâche. La MINUSMA ne peut pas être partout. Dans un premier temps, nous nous sommes focalisé sur quatre villages : Am, Yoro, Dankatené et Saberé Dara. Ces communautés, à leur tour, vont certainement nous aider à mieux étendre l’expérience, pour qu’il ait la paix et la cohésion.
Vous avez enregistré un succès entre Yoro, le village peul où nous sommes, et Am, un village dogon à quelques kilomètres d’ici. Aujourd’hui, les discussions se sont concentrées autour de Yoro et de Saberé Dara, une partie d’un village dogon qui avait été brûlé. Les gens se parlent, mais aujourd’hui il y a un grand absent ici, l’État. Il n’y a pas de représentant de l’État. Il y a la MINUSMA, les autorités internationales, les militaires et les locaux, mais on ne voit pas l’État malien. Qu’en pensez-vous ?
Je pense quand même que la MINUSMA a essayé de contribuer au retour de l’État, par le déploiement des forces de défense et de sécurité au niveau de Koro. Vous avez vu qu’il y a quatre sites PSIRC, le Plan de sécurisation intégré des régions du centre, à Djoungani, Dinangourou, Djankabo et Mondoro. C’est vrai qu’à Yoro on ne voit pas la présence de l’État, mais de temps en temps il y a des patrouilles. Il est vrai que l’autorité n’est pas encore rétablie à 100%, mais il y a quelques écoles qui fonctionnent, par exemple à Dinangourou. C’est un processus. Notre objectif est de réconcilier les communautés puis d’aider progressivement au retour de l’État. Cela doit se faire, parce qu’on sait qu’une partie des frustrations est née de cette absence de l’État.
Il y a des communautés qui ne se sont pas parlé depuis plusieurs années et qui se parlent à nouveau…
Oui, c’est fantastique. Il ne faut plus qu’on retourne en arrière. Ce qui s’est passé, c’est du passé. Les causes sont connues, ce sont l’impunité, l’absence de l’État, le terrorisme, les jeunes qui sont sans emploi. Ce qui est important, c’est qu’on reparte sur de bonnes bases et c’est cela l’espoir. Il faut garder espoir. On le reconstruit avec les communautés en les sensibilisant sur leur rôle, car chacun a un rôle à jouer. Qu’elles acceptent aussi le retour de l’État. Je pense que c’est cela la prochaine étape. Dans toutes nos missions sur le terrain, nous étions, sauf cette fois-ci à Yoro, avec une équipe malienne d’appel à la réconciliation nationale, qui nous a accompagnés partout. Les maires aussi étaient sur place. Il faut que les communautés soient sensibilisées, qu’elles se parlent, qu’elles sachent que la violence ne donne pas de fruits et qu’il faut qu’on aille vers la paix. C’est seulement avec la paix qu’on peut avoir la stabilité, le retour de l’État, le retour des services sociaux. C’est le message que nous voulons faire passer.
Concrètement, lors de ces négociations entre Sabere Dara et Yoro, il n’y avait aucun représentant de l’État, je parle de l’administration, pas des élus locaux. Pourquoi n’ont-ils pas participé ?
En ce moment, il y a une série de sensibilisations au niveau des arrondissements et des cercles, c’est pourquoi les gens sont occupés. Je pense qu’il y a des efforts qui sont fournis. Ne focalisez pas sur la présence ou non de l’État. Je pense qu’il faut regarder vers l’avant, faire en sorte de construire un environnement qui va favoriser le retour de l’État. Je pense qu’il ne faut pas trop en demander, vu là d’où on est partis. Je pense que c’est vraiment un très grand pas en avant.
Effectivement, depuis le retour du dialogue entre ces communautés qui ne se sont pas parlé depuis plusieurs années, on est à l’échelle micro locale, puisque c’est l’objectif de ce projet. C’est une première étape. Une autre étape est celle du désarmement, parce qu’on sait que d’un côté il y a des groupes armés et de l’autre des groupes djihadistes, qui ne sont pas très loin et qui provoquent frustration et terreur parmi la population. Comment comptez-vous gérer cela, parce que le retour du dialogue, c’est bien, mais si les groupes armés continuent leurs exactions, cela ne va pas durer ?
Ces groupes sont au sein des communautés et nous nous sommes en train de parler avec les communautés. Elles ont pris des engagements pour parler aux jeunes, parce que ce sont souvent des jeunes qui sont désœuvrés qui sont dans ces groupes. Je pense que les communautés vont faire le travail de suivi avec les jeunes, les raisonner, afin qu’ils suivent le processus de réconciliation. Il y a aussi les Dozos. Nous faisons un travail de sensibilisation sur le désarmement et la réduction de la violence communautaire, puisqu’on ne parle pas de DDR ici. Il faut faire en sorte que les jeunes rendent les armes. On a été avec la commission DDR à plusieurs endroits pour les sensibiliser, de même que les Dozos. Je pense que tout le monde est conscient du processus. Maintenant, il faut y aller progressivement, lentement, étape par étape, pour obtenir les résultats attendus.
Votre pari c’est qu’en parlant aux communautés dans les villages concernés, et non pas en les convoquant à Koro ou à Bamako, on peut toucher les jeunes qui éventuellement seraient dans les groupes armés ?
Exactement, parce que les jeunes se trouvent au sein des communautés. Dans le travail de sensibilisation à faire, vous avez vu les notables. Quand même, leur voix porte encore. Je pense qu’ils sont une influence qui permettra de ramener tout le monde dans le bon sens.
Vous dites que les notables ont une voix qui porte encore. Mais on a vu des discussions très houleuses! Tout le monde n’est pas d’accord, tout le monde n’est pas forcément content, etc. Comment faites-vous pour essayer d’intégrer tout le monde, parce qu’il y a des jeunes, des femmes, des plus vieux. Est-ce que vous vous appuyez seulement sur les autorités traditionnelles qui existent déjà ou sur des nouvelles ?
Non, on n’a pas créé de nouvelles autorités. On a réactivé des instances qui existaient. On a cherché à ce que les notables soient représentés, tout comme les femmes. Lors des discussions il n’y a pas eu de femmes, mais dans les communautés elles sont présentes effectivement. Il y des femmes qui ont été identifiées pour faire partie du comité et vous avez vu que c’est une femme, principalement, qui a parlé à des hommes. En tant que Cheffe de bureau, ma parole a été acceptée, bien que je sois une femme, et je pense que c’est cela l’essentiel. On veille à ce que les femmes soient écoutées. Par exemple, à Dangatené et à Am il y avait quand même des implications de femmes assez importantes. À Yoro c’est un peu plus timide.
Vous avez déployé des gros moyens, hélicoptères, troupes au sol avec un gros risque, celui des mines et beaucoup de travail. Pensez-vous que, entre les moyens et les résultats obtenus, avec tout l’argent que cela nécessite, vous pourrez continuer progressivement dans les plus de 1 000 villages de la région ?
Je pense qu’il ne faut pas regarder les moyens déployés, parce que le mandat premier de la MINUSMA est quand même d’essayer d’instaurer un environnement propice à la paix, à la stabilité. Sinon on ne ferait rien. Donc c’est notre mandat de venir protéger les populations, de venir à la rencontre des populations, pour qu’il ait une certaine sensibilisation à la stabilisation. Maintenant, il ne faut pas minimiser les résultats. Même si cela semble être une goutte d’eau dans la mer, c’est déjà une goutte d’eau. Et en mettant plusieurs gouttes d’eau on peut arriver à quelque chose. Je pense que c’est un début. C’est un projet-pilote et nous cherchons à obtenir son appropriation au niveau local. Ils ont parlé d’autres villages, mais ce ne sera peut-être pas la MINUSMA qui va faire ce travail. Ce seront les communautés qui sont là qui seront chargées de répercuter la bonne nouvelle auprès des autres villages. Nous, nous les avons mises sur un chemin. Maintenant, c’est à elles de s’approprier le processus et de le répercuter.
Les communautés font partie du problème. La MINUSMA est un acteur neutre. Face aux communautés, chacun défend-il son parti ?
Non, du moment que maintenant les gens, au niveau de Yoro, Peuls et Dogons, ont recréé une certaine entente, je pense qu’il n’y a plus de problème en soi. Et puis vous avez vu que les problèmes dont ils parlent sont souvent des problèmes mineurs. C’est plus du ressentiment, du manque de confiance. C’est cela qui a fait que les communautés se sont un peu éloignées les unes des autres. Sinon, au fond, vous l’avez vu, elles se sont saluées. Tout le monde se connait. Je pense que quand on vient pour la paix, porter la bonne parole, et qu’on a cet engagement du fond du cœur, cela va marcher, même si on n’est pas la MINUSMA.
On a beaucoup parlé de réconciliation, mais c’est un projet justice et réconciliation. Pourquoi le volet justice n’est-il pas autant débattu ?
Comme je l’ai dit, c’est un processus. La justice est au cœur même de notre processus, mais on y va étape par étape. Les communautés qui ne se parlaient pas avant, il fallait qu’on les amène à se parler, il fallait qu’elles puissent exprimer leurs frustrations. Vous avez vu que dans certains cas c’est une question d’impunité, une question de justice. C’est pour cela que nous avons avec nous des collègues des bureaux Justice, et Affaires pénitentiaires qui sont là pour faire le suivi pour la MINUSMA et avec les autorités judiciaires maliennes. Donc, nous ne sommes pas là uniquement pour juste essayer de remettre des communautés ensemble. Les problèmes de justice qui sont prégnants, on va les traiter. On pourra amener l’État, à travers le procureur ou le juge de paix, à venir s’occuper de ces cas. On accuse la MINUSMA de tous les maux, mais elle est sur le terrain, elle essaye à petits pas d’aller de l’avant et elle fait des grandes choses pour les populations.