La crise que connait le Mali depuis 2012 a entraîné une recrudescence des violences à l’égard des femmes et des filles dans les régions affectées par le conflit. Le nord du pays a été à cette époque le théâtre d’atrocités perpétrées envers les populations civiles notamment des viols, parfois collectifs, des mariages forcés, des mariages précoces, ou encore des cas de prostitutions forcées, et ce en toute impunité.
À l’heure actuelle, seulement 37 des victimes de violences sexuelles liées au conflit ont déposé une plainte et ont été entendu par un juge sur les 141 dossiers portés en justice par la coalition des six ONG de défense des droits des victimes. À ce jour, aucun des auteurs des cas de violences sexuelles liées au conflit rapportés depuis 2014 n’a fait l’objet de jugement en bonne et due forme, même si des enquêtes et informations sont ouvertes par le parquet de la commune III de Bamako.
Au regard de cette situation, la Section des Affaires Judiciaires et Pénitentiaires de la MINUSMA (SAJP), en collaboration avec l’Unité Protection des Femmes, a organisé le 14 décembre une journée d’échanges et de réflexion à l’hôtel El Farouk de Bamako, avec l’Appui financier du Programme Fonds de consolidation pour la paix. Cette activité s’inscrit dans le cadre de la mise en œuvre du programme d’amélioration de l’accès à la justice des victimes de violences sexuelles et basées sur le genre et la sécurité dans le processus de consolidation de la paix. Les discussions ont porté principalement sur le thème : « Impératif de la répression des violences sexuelles liées au conflit et basées sur le genre au Mali par la mise en application des instruments juridiques existants et l’adoption d’une loi additive ».
L’objectif de cette rencontre était de renforcer les capacités des principaux acteurs impliqués dans la lutte contre les violences sexuelles liées au conflit et basées sur le genre en matière d’application des lois existantes et de plaidoyer pour renforcer la réponse judiciaire face aux violences sexuelles.
Magistrats, avocats, représentants des organisations de la société civile et du Système des Nations unies ont pris part à cette rencontre et débattu sur le complexe sujet de la réponse judiciaire à la lutte contre les violences sexuelles et basées sur le genre au Mali.
Représentant la Section des Affaires Judiciaires et Pénitentiaires de la MINUSMA, Madame Nancy Makulu a, dans son discours d’ouverture, mis l’accent sur l’importance pour la MINUSMA d’accompagner ses partenaires dans la lutte contre l’impunité et plus particulièrement de permettre à ces derniers de mieux cerner la réponse judiciaire à apporter aux dossiers des violences sexuelles et basées sur le genre. La mise en application des instruments juridiques existants et l’adoption d’une loi appropriée facilitant l’accès des victimes à la justice, sont parmi les solutions préconisées.
Dans son mot de circonstance, la Conseillère principale en charge de la Protection des Femmes à la MINUSMA, Madame Bernadette Sene, a rappelé l’historique des violences sexuelles au Mali depuis la crise et l’engagement de la MINUSMA par la mise en œuvre d’une stratégie globale afin de mettre un terme à ces violations et lutter contre l’impunité des auteurs.
Les participants ont pu discuter et échanger sur les instruments juridiques nationaux et internationaux applicables aux crimes de viol et violences sexuelles ; l’accès à la justice des victimes des violences sexuelles liées au conflit ; et le sort des dossiers judiciaires pour violences sexuelles déposées au Tribunal de grande (première) instance de la Commune III*.
Les débats ont aussi porté sur deux arrêts adopté par le Mali sur la question des violences sexuelles : l’arrêt N°46 le 16 juillet 2012 et l’arrêt N°4 le 21 janvier 2013. Le premier ordonne le dessaisissement de la Justice de Paix à Compétence Etendue de Kidal ; et le second, celui des juridictions des zones occupées. Le tribunal de première (grande) instance de la Commune III du District de Bamako a été du même coup désigné pour se saisir des infractions déjà commises dans les zones en question aux dates de leurs délibérations ou qui viendraient à y être commises. Cependant, la difficulté d’application de l’arrêt n°11 du 16 février 2015 de la Cour suprême du Mali, ordonnant la restitution aux juridictions du Nord du Mali leurs compétences respectives, a posé des lenteurs dans le traitement judiciaire de ces dossiers
À ce jour, aucune enquête préliminaire significative n’a été menée sur terrain et à peine le quart des victimes ayant porté plainte ont été entendues depuis le dépôt des dossiers devant le tribunal de première (grande) instance de la Commune III du District de Bamako. S’agissant de ces dossiers ouverts devant les cabinets d’instruction de la juridiction susnommée, aucun n’a en effet été clôturé pour que soient traduit devant les cours ou tribunaux les auteurs de ces violences.
Au cours des discussions, les participants ont d’ailleurs été nombreux à souligner la nécessité de renforcer les capacités des acteurs judiciaires dans ce domaine, la perte de confiance des victimes en la justice face à la lenteur dans le traitement de leurs dossiers, quelques insuffisances du Code pénal Malien par rapport à la qualification des certains actes constituant des violences sexuelles et l’absence des mesures de protection pour les victimes et de sécurité pour les magistrats.
Les participants ont, enfin, formulé les recommandations pertinentes au Gouvernement du Mali et à ses partenaires, notamment la vulgarisation des instruments internationaux relatifs aux violences sexuelles ratifiés par le Mali ; la relecture des différents instruments juridiques en vigueur au Mali en vue d’en déceler les lacunes et de les harmoniser au regard de ces instruments juridiques internationaux ; l’adoption d’une loi spéciale réprimant les violences sexuelles et basées sur le genre et assurant la protection des victimes et des témoins de ces violences ; le renforcement des capacités des acteurs et auxiliaires de la justice ; le renforcement de la sécurité des acteurs judiciaire dans les régions du nord ; et la décantation de la situation des dossiers judiciaires des victimes des violences sexuelles pendants devant le tribunal de première (grande) instance de la Commune III du District de Bamako.
La journée a été clôturée par Monsieur Boya Dembele, l’Avocat Général près la Cour Suprême du Mali qui a encouragé cette initiative et a souhaité qu’elle s’élargisse au niveau des décideurs impliqués dans la recherche de la réponse judiciaire à apporter à la lutte contre les violences sexuelles. Les participants ont d’ailleurs émis le souhait de constituer un réseau dans le cadre de cette lutte.
La Section des Affaires Judiciaires et Pénitentiaires ose espérer que les plus hautes autorités du Mali qui sont engagées dans la lutte contre l’impunité et qui ont initié des grands chantiers, notamment la réforme judiciaire et pénitentiaire, comprendront que les défis actuels pourront aussi être relevés par l’application effective des instruments juridiques existants, l’harmonisation des instruments juridiques nationaux conformément aux instruments internationaux ratifiés par le Mali et par l’adoption des lois appropriées.
* Intitulés complets des présentations :
- Les instruments juridiques nationaux et internationaux applicables aux crimes de viol et violences sexuelles et basées sur le genre au Mali présentés par Maitre Kadidia COULIBALY SANGARE;
- L’accès à la justice des victimes des violences sexuelles liées au conflit et basées sur le genre: les défis et enjeux par Maitre SEYDOU DOUMBIA;
- Où en sommes-nous avec la mise en œuvre de l’arrêt n°11 du 16 février 2015 de la Cour suprême du Mali portant restitution de compétence juridictionnelle à la Cour d’appel de Mopti ainsi qu’à chacune des juridictions des régions du Nord ? par Mr BOYA DEMBELE, Avocat Général près la Cour Suprême et ;
- Le sort des dossiers judiciaires pour violences sexuelles déposées au Tribunal de grande (première) instance de la Commune III par Monsieur MODIBO TIEOULE DIARRA, Président du Tribunal pour Enfants.
Source: Minusma