Autant tout le monde reconnait le rôle que jouent les services de douanes dans la mobilisation des recettes au Mali, autant peu de gens ont le courage de reconnaitre que ces services sont aussi de hauts lieux de la corruption. En effet, des scandales à répétition ont souvent ébranlé les Douanes maliennes, au point qu’on oublie volontiers les douaniers qui s’adonnent au quotidien à cette pratique passée désormais pour être la vraie plaie de notre société.
Il y a de cela quelques mois seulement, des agents indélicats des services de Douanes avaient été démasqués dans la région de Kayes pour leur implication dans une affaire de faux dédouanement en complicité avec des transitaires. Si tous les agents impliqués dans cette affaire avaient été mis en prison, reste à savoir s’ils y sont encore, la prison chez nous ici étant comme destinée aux seuls faibles, des gens sans défense ! Le montant de ce faux dédouanement avait été évalué à l’époque à plusieurs centaines de millions de francs CFA.
La vie du douanier est si rose sous nos cieux que tous les jeunes pressés veulent être douaniers, tant l’enrichissement rapide et conséquent de certains agents et cadres des douanes fait rêver !
Certains douaniers se tapent des centaines de millions sur le dos de l’État à travers des fausses déclarations, des dédouanements de containers sans les vérifications d’usage. Des fausses déclarations sur la valeur qui font perdre à l’État environ 5 milliards de FCFA par an, selon des sources bien introduites aux services des Douanes maliennes.
Les principales manifestations de la corruption dans les services des douanes vont des complicités au plus haut niveau jusqu’aux rackets sur les axes routiers par les agents des brigades mobiles, en passant par les pratiques frauduleuses dans l’application des textes relatifs aux déclarations, aux transits et aux exonérations. Il y a aussi le trafic d’influence provenant des hautes sphères politiques et de l’administration douanière.
Selon les témoignages de certains douaniers, de nombreuses immixtions des hommes politiques dans les opérations de dédouanement portent sur les importations des matériaux de construction, des produits de consommation de luxe, de la machinerie et autres consommables pour «leurs sociétés prête-nom».
Les fausses déclarations constituent les cas les plus récurrents dans presque tous les bureaux des douanes. Elles concernent aussi bien les quantités des marchandises que les espèces; c’est-à-dire qu’on déclare des marchandises qui ne sont pas celles effectivement importées. Pour y arriver, le transitaire négocie avec le chef de bureau. Comme on le constate, les pratiques de corruption dans les services des douanes se présentent sous plusieurs formes et facettes.
«Il est indécent et honteux que des agents et cadres des douanes, qui entament à peine une carrière, puissent mener un fastueux train de vie, rouler en carrosse et s’acheter des résidences haut standing sans rendre des comptes», réagissaient ainsi certains responsables de l’administration malienne chez un confrère de la place, qui va plus loin en revenant sur le scandale des fonds spéciaux qui, entre 2008 et 2009, a creusé un trou de 13,51 milliards de FCFA au niveau du Bureau des produits pétroliers, et qui, à ce jour encore ne serait pas tiré au clair.
«La Direction générale des Douanes maliennes ? Un des milieux les plus corrompus que les Maliens connaissent. Il ne s’agit pas du simple douanier qui fait passer quelqu’un pour un savon ou un paquet de cigarettes. Il s’agit plutôt des gabelous en chef qui brassent des milliards avec la bienveillance de l’État. Il s’agit des fausses déclarations, des disparitions de chèques, des containers et bien d’autres colis qui disparaissent dans les services des douanes du Mali sans laisser de trace», note encore le confrère cet témoignage d’un internaute qui résume, selon lui, toute l’image négative que peut véhiculer la Direction générale des Douanes maliennes.
Et le confrère de s’indigner en ces termes: «partout, c’est le même constat : motus et bouche cousue, et personne pour dénoncer cette corruption à la pelle et cette mauvaise gouvernance. On reste de marbre face à la gestion clanique des cadres des Douanes, mais surtout face à cette gabegie ambiante qui hypothèque l’avenir des Maliens. Et partout, c’est le même silence assourdissant».
La corruption dans les administrations douanières inquiètent même l’Organisation Mondiale des Douanes (OMD) qui, dès 2014, a présenté sa “Cartographie des risques et analyse des risques pour une meilleure gouvernance”. Selon l’OMD, les agents de la fonction publique sont au cœur des risques de corruption, et ceux de l’administration douanière tout particulièrement du fait de leur contact permanent avec l’argent, les marchandises et les opérateurs. La corruption douanière génère, selon l’Organisation Mondiale des Douanes, de multiples impacts économiques (perte de recettes), sociaux (perte de la confiance des citoyens), environnementaux (gaspillage des ressources), et sécuritaires (entrée de produits dangereux, toxiques ou non conformes).
Pire, l’OMD indique que la corruption ouvre la porte à 4 grandes typologies de risque: Risques sécuritaires: terrorisme, crime organisé, menaces sur la sécurité nationale; Risques financiers: fuite de recette, vol de fonds douaniers, passation incorrecte de marchés publics ; Risques commerciaux : accès non autorisé, divulgation ou manipulation d’informations, infiltration criminelle, pots de vins et cadeaux, pouvoir de monopole et népotisme; Risques opérationnels: absence de confiance de la part du public, retard dans le traitement douanier, ignorance des procédures et des lois.
Autant de raisons qui doivent amener les plus hautes à indiquer la corruption au sein de l’Administration douanière malienne !
Moussa DIARRA
Source: L’express de Bamako