Après une longue gestation de près de 10 jours, le Premier ministre de Transition, Moctar Ouane a enfin annoncé, hier après-midi, la composition de son gouvernement. Mais parler de “son” gouvernement est un doux euphémisme tant sa marge de manœuvre était réduite, voire quasi inexistante et les choix imposés. En effet Moctar Ouane était coincé entre les appétits gloutons du CNSP, les ultimatums de la communauté internationale pour la participation des mouvements signataires et ceux de l’inclusivité appuyés par les chantages de la CMA, les portefeuilles obligés du président de la Transition, le siège dressé par la société civile, ses propres relations, les petites magouilles de l’imam Mahmoud Dicko et le raidissement du M5-RFP. Mais ce qui a été la plus grande pesanteur pour le nouveau Premier ministre est sa connaissance somme toute très relative du contexte sociopolitique post IBK. Mais souhaitons qu’il apprenne vite de ses erreurs.
Le gouvernement tant attendu n’a donc pas seulement déçu : il est porteur de très gros risques pour la réussite de la transition tant la plupart de ses membres n’ont absolument rien à voir avec le changement et tant les reculs dans de nombreux domaines sont criards.
Ces reculs concernent d’abord deux groupes sociaux importants de la société malienne à savoir les femmes et les jeunes. A quoi bon donner un soubassement constitutionnel à la promotion du genre et à la Loi 052 sur le genre qui fixe un seuil plancher de 30% pour toutes les fonctions électives et nominatives au Mali pour se retrouver avec 4 femmes sur 25 ministres soit un taux de 16%. Aucun gouvernement malien, depuis de très nombreuses années n’était tombé aussi bas dans la représentation des femmes. Le gouvernement, au moment de sa mise en place viole délibérément la loi et la Constitution : quel signal peut-être plus mauvais ? Les femmes apprécieront.
Les jeunes, qui ont tenté de monopoliser les tribunes media et les réseaux sociaux pour dire que leur heure avait sonné, ont sans doute eu un réveil plutôt douloureux. Outre la moyenne d’âge de plus de 60 ans (plutôt 62), le gouvernement ne compte aucun membre en dessous de l’âge légal de la jeunesse au Mali. Aucun ministre du gouvernement Moctar Ouane 1 peut avoir une carte du Conseil National de la jeunesse du Mali. Il leur reste leurs yeux pour pleurer.
Enfin, les partis politiques sont servis avec parcimonie : seuls le Pr Doulaye Konaté Ministre de l’Education nationale est estampillé Adema bon teint et Arouna Niang CNAS-Faso Hèrè de l’ancien Premier ministre Zoumana Sacko. Le cas de la ministre de la culture, de l’artisanat et du tourisme Mme Kadiatou Konaré épouse Tiébilé Dramé et fille de l’ancien président Alpha Oumar Konaré est un véritable pied de nez à la transition et une insulte au changement. Cette nomination, à elle seule discrédite tout le gouvernement.
Nul étant mieux servi que par soi-même, les militaires se sont taillés directement ou indirectement sept (7) ministères pour y caser d’abord tous les ténors du CNSP et ensuite quelques proches relations. Ainsi le 2ème Vice-président du CNSP, le Colonel Sadio Camara est Ministre de la Défense et des anciens Combattants et premier dans l’ordre protocolaire donc susceptible à tout moment d’assurer l’intérim du premier ministre (tiens, tiens !). Vient ensuite le numéro 3 le Colonel Modibo Koné promu Ministre de la Sécurité et de la Protection civile qui quatrième dans l’ordre protocolaire suit le Lieutenant-Colonel Abdoulaye Maiga ministre de l’Administration territoriale et de la Décentralisation. Vient après, dans l’ordre protocolaire et en cinquième position comme ministre la Réconciliation nationale le Colonel Major Ismaël Wagué. Le CNSP, c’était connu, voulait aussi les mines et l’Equipement qui leur ont échappé mais en échange ils ont obtenu de très fortes « compensations civiles ». Ainsi ils se sont emparés du ministère de l’économie et des Finances en y plaçant un de leurs copains Alfousseyni Sanou anciennement et modestement Directeur des Finances et de la comptabilité de la Banque Nationale de Développement Agricole du Mali.
Ce n’est pas tout. La ministre de l’environnement, de l’assainissement et du développement durable, Mme Bernadette Keïta pourrait faire l’illusion d’un équilibre religieux et représenter la communauté chrétienne dans le gouvernement. Peut-être ! Mais l’important est ailleurs c’est-à-dire la place de son fils au sein de la junte de Kati.
Le second gros morceau est revenu à toute la galaxie des mouvements signataires et non signataires de l’Accord d’Alger et des mouvements dits de l’inclusivité. Ils obtiennent quatre ministères que sont l’agriculture, l’élevage et la pêche (M. Mahmoud Ould Mohamed), les Maliens de l’extérieur et de l’intégration africaine (M. Al Hamdou Ag Ilène) , le Travail et la Fonction publique – Porte-Parole du Gouvernement ( Me Harouna Mahamadou Touréh) et la Jeunesse et les Sports (M. Moussa Ag Attaher).
L’imam Mahmoud Dicko, seul, sans partage, par son entregent et en tournant dos au M5-RFP obtient trois portefeuilles : M. Mohamed Coulibaly à la Refondation de l’Etat chargé des relations avec les institutions et M. Mohamed Salia Touré à l’Emploi et à la formation professionnelle et, sans en prévenir aucunement EMK dont il est un des adhérents Dr Hamadoun Touré à la Communication et à l’Economie numérique.
Malgré ce fort contingent l’imam a été aussi un peu driblé. A moins qu’il n’ait driblé toutes ces personnes à qui il avait fait des promesses avec certitude.
Le Haut Conseil Islamique dont le président est Ousmane Madani Haidara s’en sort avec le ministère des Affaires religieuses et du Culte attribué au Dr Mahamadou Koné. Maigre consolation pour le rival de Mahmoud Dicko.
A ce niveau, force est de constater la perte totale d’influence du Chérif de Nioro, présent à Bamako et pour beaucoup pour placer ses hommes au gouvernement et qui avait réussi la prouesse d’avoir 5 ministres sur les 7 du mini et dernier gouvernement IBK. Il n’a aucun « fidéle » dans le gouvernement Ouane. Signe des temps ?
Par contre, ainsi qu’il était de règle sous IBK, le ministère des transports et des infrastructures, reste la propriété privée du milliardaire Seydou Coulibaly de CIRA qui y maintient l’ancien Secrétaire général M. Makan Fily Dabo. Rebonjour les xxxxx sur tous les grands marchés routiers adjugés d’avance.
Le ministre des affaires étrangères et de la Coopération internationale M. Zeyni Moulaye a collaboré aussi bien avec Moctar Ouane que le président Bah N’Daw dans le cabinet de feu le président Moussa Traoré. Il a ensuite poursuivi sa carrière et ses deux dernières fonctions ont été celle d’ambassadeur puis de conseiller diplomatique de IBK jusqu’à la chute de celui-ci. Il était donc facile pour le président et le premier ministre de s’entendre sur son nom.
La ministre de la santé et du développement social Dr Fanta Siby, est présentée comme une égérie de l’ancien parti du président Amadou Toumani Toué, le PDES.
Quant au ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique le Professeur Amadou Keïta, les maliens se souviennent qu’il a su dire non à Soumeylou Boubeye Maiga lorsque celui-ci, premier ministre a voulu s’immiscer dans des proclamations de résultats d’examen et a démissionné de ses fonctions de directeur de l’Ecole normale d’Administration (ENA). Tout comme le ministre de la Justice, Garde des Sceaux Mohamed Sida Dicko, qui, procureur spécial contre la corruption a dit non à son ministre de tutelle qui voulait protéger un délinquant à col blanc.
Ces deux derniers ministres auraient pu constituer une belle conclusion de présentation d’un gouvernement n’eût été la personnalité du Ministre Secrétaire Général de la présidence qui a officialisé la liste du gouvernement. Sékou Traoré, protégé et fidèle de Karim Keita, le fils de IBK et de Boubou Cissé dont il a été le conseiller de nombreuses années est malheureusement mouillé dans toutes les affaires douteuses et scabreuses du ministère de l’Economie et des Finances.
Malikilé reviendra sur son cas.
Mais last, but not least, la grande caractéristique de ce gouvernement de transition est l’absence du M5-RFP qui avait posé ses conditions pour y participer. Il se dit qu’en raison de désaccords persistants, les tombeurs de IBK ont préféré garder leur distance.
Mauvais présage !
Moctar SOW
Source : Malikilé numéro 702 du mardi 06 Octobre 2020