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Il y a 45 ans Modibo Keita disparaissait

Le 16 mai 1977-il y a 45 ans jour pour jour ce lundi-le peuple malien apprenait, par un communiqué radiodiffusé laconique du  » comité militaire de libération nationale  » alors au pouvoir, que « Modibo Keita, ancien instituteur à la retraite, est décédé des suites d’un œdème pulmonaire ». Stupeur et indignation.

 

Depuis presque neuf ans que  » le père de l’indépendance  » du Mali avait été renversé par un coup d’Etat mené par quatorze jeunes officiers conduits par un certain lieutenant Moussa Traoré et gardé au secret, nul n’avait connaissance qu’il souffrait d’une quelconque maladie. Lui dénier, même dans la mort, sa qualité de premier président de la République, a profondément choqué ses compatriotes, transformant ses obsèques en un gigantesque désaveu pour ses geôliers. Ils comptaient sur la peur dans laquelle ils tenaient les Maliens depuis leur prise du pouvoir par la force armée le 18 novembre 1968 pour que le corps de l’illustre détenu fût enseveli à la sauvette.

Les étudiants, bravant la police du sinistre Tiécoro Bagayoko, le bourreau du régime, entreprirent de le porter à la Maison du peuple devenue le QG de la junte comme un acte d’accusation de son crime. C’est sous une charge policière inouïe et alors que des hélicoptères tournoyaient à basse altitude dans le ciel pour intimider et filmer la foule compacte que Modibo Keita sera enterré au cimetière de Hamdallaye.

L’événement, sans précédent dans les annales du pays, sera suivi d’une vague d’arrestations de personnes dont le seul crime était d’avoir accompagné à sa dernière demeure l’homme qui a proclamé « la République du Mali  » le 22 septembre 1960.

Dans son livre » Ma vie de soldat » le capitaine Sounkalo Samaké rapporte que Modibo Keita est décédé après qu’une injection, prescrite par Dr Faran Samaké, qui passait pour être l’oncle de Tiécoro Bagayoko, lui eut été administrée. Son récit des circonstances du décès tend à créditer la version, alors très répandue, de l’assassinat. Elle ne sera pas confirmée par une autopsie mais la brusque disparition du praticien, la veille du procès de  » la bande des trois  » (dont Tiécoro Bagayoko) en octobre 1978, présentée par l’opinion comme « un suicide », apparaîtra comme un indice supplémentaire.

L’histoire retiendra du fils de Daba Keita et de Hatma Camara, né le 15 juin 1915 à Kati, qu’il fut un anti-colonialiste fervent, un patriote irréductible, un bâtisseur passionné, un panafricaniste convaincu, un homme d’une exceptionnelle probité.
Quelques témoignages historiques succints à titre illustratif.

Enseignant à Bamako puis à Sikasso, il se sert du théâtre pour tourner en dérision l’assimilation coloniale, crée des associations culturelles pour éveiller les consciences à l’instar du Foyer du Soudan, fonde le syndicat des enseignants de l’Afrique Occidentale Française (AOF) avec son collègue et ami Ouezzin Coulibaly, anime un journal, L’œil du Kénédougou, pour dénoncer les excès de la colonisation. Cet activisme, qui le fit passer pour  » un dangereux illuminé « , lui vaudra une condamnation à six mois d’emprisonnement dont il ne passera que la moitié à la prison de la Santé à Paris.

Preuve de l’amour qu’il vouait à son pays, il utilisa la valeur monétaire du Prix Lenine qui lui a été attribué en 1963 pour doter Bamako de son premier Centre de protection maternelle et infantile (PMI). En outre durant la révolution active déclenchée en 1966, pour prêcher par l’exemple, il fit don à la jeunesse malienne de son champ de Moribabougou, un bien acquis à l’époque où il était député puis secrétaire d’Etat en France. Enfin pendant les huit ans qu’il fut président du Mali, il percevait un salaire de 125 000 francs maliens soit 62 500 fcfa. Rien à voir avec ce qu’on a connu après et qui est pratiqué encore aujourd’hui.

Bâtisseur, Modibo Keita, qui s’était donné pour objectifs de décoloniser l’économie malienne, de la moderniser et de la rendre autosuffisante pour les besoins essentiels des populations, a laissé derrière lui une quarantaine de sociétés et entreprises d’Etat évoluant dans tous les domaines d’activités. Elles seront toutes bradées par Moussa Traoré et sa bande au nom de  » la libéralisation de l’économie  » et plus tard de  » l’ajustement structurel  » imposé par les institutions de Bretton Woods.

Panafricaniste, Modibo Keita le fut pour avoir cheminé avec Senghor du Sénégal dans la création de la Fédération du Mali, fondé avec Sékou Touré et Kwame Nkrumah l’Union des Etats Africains (UEA) communément appelée l’Union Ghana-Guinée-Mali, participé aux côtés du roi Mohammed V puis de son fils Hassan II et de Gamal Abdel Nasser d’Égypte entre autres à l’animation du Groupe de Casablanca. Il fut aussi l’un des principaux inspirateurs et rédacteurs de la charte de l’OUA à sa fondation en 1963 à Addis-Abeba (Éthiopie). Il fera inscrire dans la Constitution de 1960 que le Mali est disposé à l’abandon partiel ou total de sa souveraineté pour l’unité de l’Afrique.

Gage d’une intégrité rare, il reversait au Trésor public ses reliquats de frais de mission voire leur intégralité s’il n’avait pas eu à s’en servir parce que pris en charge par ses hôtes. En plus il était bien souvent embarrassé quand il ne pouvait satisfaire les sollicitations d’appui financier dont il faisait l’objet de la part de son proche entourage.

Modibo Keita fut un personnage marquant de l’histoire du Mali, de l’Afrique et du Tiers-Monde. 45 ans après sa tragique disparition, le Mali est loin d’avoir retrouvé l’aura, la fierté, le rayonnement qu’il lui avait donnés en huit années d’un travail colossal et exaltant.

Saouti Haidara

Source: L’Indépendant

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