Les Chefs d’États des cinq pays du G5 Sahel se sont réunis lors d’un sommet extraordinaire à Ouagadougou, du 1er au 2 mai. L’opérationnalisation de la force conjointe lancée en juillet 2017 à Bamako était au cœur de cette rencontre à laquelle participait la Chancelière allemande. Deux ans après sa création, la Force G5 Sahel, destinée à lutter contre le terrorisme rampant et le narcotrafic, éprouve des difficultés à être pleinement opérationnelle, alors que les attaques se multiplient dans la région.
Du 1er au 2 mai, les cinq chefs d’États du Burkina Faso, du Niger, du Mali, de la Mauritanie et du Tchad se réunissaient pour un sommet extraordinaire à Ouagadougou. Si quelques fois le Président français a participé à des réunions de l’organisation, c’est la Chancelière allemande Angela Merkel qui était pour la première fois présente à cette rencontre de haut niveau. La lutte contre le terrorisme et l’opérationnalisation de la Force conjointe étaient les principaux sujets de discussions.
« Les échanges vont également porter sur la problématique du développement dans les pays du G5, qui affichent l’ambition d’en faire un espace intégré de développement et de sécurité », annonçait la direction de la Communication de la présidence burkinabé. Mais, au Sahel, cette ambition des pays membres, en proie au terrorisme et à la pauvreté depuis quelques années, ne suffit pas. Le lancement en juillet 2017 à Bamako de la Force conjointe du G5 Sahel, pour lutter contre les menaces, est un témoignage de la volonté de faire face à son destin. Mais, confrontée depuis à un manque de financement et à des problèmes internes, la Force conjointe n’a pas encore réussi à sortir de l’ornière. Pourtant, toute la communication orchestrée autour de cet instrument aurait dû convaincre les potentiels donateurs pour l’urgence au Sahel. « Le rôle de la Force conjointe est de combattre le terrorisme et les trafics, faciliter la restauration de l’autorité régalienne de l’État dans les zones où il a perdu le contrôle, mais aussi faciliter l’aide humanitaire pour les populations et ensuite contribuer aux actions de développement dans l’espace G5 Sahel. C’est donc assez ambitieux », contextualise Mahamoudou Savadogo, spécialiste de l’extrémisme violent et de la radicalisation, chercheur burkinabé au Centre de recherche action pour le développement et la démocratie (CRADD). Un projet ambitieux et novateur, mais qui avance à pas de tortue.
Pour Nicolas Desgrais, doctorant de l’Université de Kent spécialiste du Sahel, « la pression politique et médiatique autour de ce nouveau mécanisme a été contre-productive. L’injonction du politique d’obtenir des résultats rapidement a parfois entrainé de la précipitation dans la construction, alors que la coopération militaire à ce degré-là nécessite du temps et de la confiance ».
Une relance ?
Les dirigeants du G5 Sahel espéraient certainement, à l’issue de ce sommet, obtenir l’accompagnement de la Chancelière allemande. Le plaidoyer du Président français, Emmanuel Macron, pour la pleine opérationnalisation de la force semblant trouver écho chez son voisin européen. « C’est une rencontre importante pour le G5 Sahel, notamment en terme de plaidoyer vis-à-vis de l’Allemagne. Jusque-là, le seul chef étranger à avoir participé à un sommet du G5 Sahel était le Président français », note Nicolas Desgrais. Selon lui, « la participation de la Chancelière allemande s’inscrit dans un contexte où des nouvelles annonces de soutien de l’Union Européenne devraient intervenir dans les prochaines jours ».
Alors que les États-Unis torpillent les initiatives pour un mécanisme pérenne de financement de la Force, l’engagement des Européens est vu comme une percée diplomatique de taille, malgré tout. « Cette visite peut être une relance pour le G5 Sahel, parce qu’il sera question de l’opérationnalisation de la Force. Ce sera en quelque sorte une bouffée d’oxygène, au niveau des relations internationales et sur le plan géostratégique », pense Ambogou Paul Oula, doctorant en Sciences politiques et relations internationales.
Nonobstant, certains analystes sont sceptiques quant à la portée de la visite d’Angela Merkel. « Sa présence ne changera pas la donne, à moins qu’il y ait une feuille de route octroyée au Président du Burkina Faso. Parce qu’on voit clairement que la Force conjointe est à l’état de latence », souligne Mahamoudou Savadogo. Une position que partage Nicolas Desgrais, pour lequel la venue de la Chancelière ne servira « a priori à pas grande chose ». « L’opérationnalisation de la Force conjointe prendra du temps et ne dépendra pas uniquement du soutien que lui apporteront les partenaires internationaux. La question du renforcement des capacités des armées nationales qui la composent est un sujet bien plus large », explique le doctorant.
Ce sommet extraordinaire se tient dans un contexte où les attaques djihadistes se multiplient, notamment au Mali et au Burkina Faso. Le dimanche 28 avril, six personnes sont mortes dans l’attaque d’une église dans le nord du Burkina, alors qu’une semaine plus tôt l’attaque du camp malien de Guiré, dans le cercle de Nara, faisait officiellement 11 morts chez les forces armées maliennes. Cette incursion a été revendiquée par le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), très actif au Sahel. Face à l’immobilisme de la Force et à la terreur installée par les groupes armés terroristes, le pessimisme n’est jamais loin. « Aujourd’hui, nous avons l’impression que le G5 Sahel est en train de régresser et que l’éléphant tant annoncé est arrivé avec un pied cassé », métaphorise Ambogou Paul Oula. L’euphorie du lancement avait laissé croire que la Force G5 Sahel était la solution miracle aux défis sécuritaires. « La Force Conjointe n’a pas vocation à apporter la solution à la détérioration de la situation sécuritaire dans l’ensemble de cet espace sahélien. Elle a parfois été présentée comme telle, mais cela n’a jamais été son objectif. Elle ambitionne seulement d’offrir un cadre aux armées sahéliennes pour travailler ensemble sur leurs frontières communes », recadre Nicolas Desgrais.
Défis de coordination
Outre le manque de financement, la Force G5 Sahel éprouve des difficultés à coordonner ses actions. En théorie, tout semble pourtant faisable. Trois fuseaux ont été définis : le Centre est composé de trois bataillons u Mali, du Niger et du Burkina Faso, l’Ouest est composé de deux bataillons du Mali et de la Mauritanie et l’Est se compose de deux bataillons du Niger et du Tchad. Chacun de ces fuseaux a un commandement et des états-majors multinationaux. Mais les problèmes de fonctionnement demeurent entiers. « La question du financement et de la rapidité des livraisons des équipements est importante, mais elle n’est pas la seule qui explique la lente montée en puissance de la Force Conjointe », estime Nicolas Desgrais. « La question centrale est la capacité du Poste de Commandement (PC) de la FC-G5S à planifier et à conduire des opérations qui ne peuvent l’être au niveau national. Beaucoup reste à faire. Le Commandement devra prouver son utilité, au risque que les hiérarchies militaires nationales se désintéressent de l’outil ».
Une argumentation à prendre en compte sachant que les effectifs des armées nationales, hétérogènes, ne sont pas capables d’être déployés sur plusieurs terrains d’opération à la fois. « La difficulté est qu’il n’y a pas de coordination entre les différentes armées. Le Burkina, par exemple n’a pas de bataillon type G5 Sahel, c’est le Groupement des forces armées antiterroriste (GFAT) qui en fait office de temps en temps. Alors que le Niger et le Mali ont des bataillons dédiés », relève Mahamoudou Savadogo. Et ce n’est certainement pas le seul handicap à surmonter. « Il y a aussi la question des primes, qui n’est toujours pas réglée. Quelle va être celle de ceux qui vont être déployés sous la bannière G5 Sahel? Vont-ils être payés différemment de l’armée régulière alors qu’en principe ils vont évoluer sur le même terrain ? ». À ces questions s’ajoute l’entretien des combattants sur le théâtre des opérations. « Les pays membres sont les contributeurs en termes des combattants, mais ceux-ci ne vont pas manger de l’herbe. Il faut qu’ils soient équipés et entretenus », prévient le politologue malien Salia Samaké.