Le 24 mai 2021, le Mali a subi un coup d’État, le deuxième en l’espace de neuf mois, mené par les mêmes acteurs qui avaient perpétré le précédent, celui du 18 août 2020.
Cet article a été initialement publié sur The Conversation.
Ce putsch fut unanimement condamné par la communauté internationale, à commencer par la France : Emmanuel Macron s’est immédiatement rangé derrière les positions de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) en termes de sanctions et d’attitudes à adopter vis-à-vis de la junte conduite par le colonel Assimi Goita. Mais le sommet qui a suivi, le 30 mai 2021, a quelque peu surpris car il entérina (en quelque sorte) le putsch, ce qui, subséquemment, consacra comme président de la transition Assimi Goïta – celui-là même que la Cédéao ne souhaitait en aucun cas voir occuper le fauteuil présidentiel. Les mesures prises se limitèrent à l’exclusion du Mali des instances de l’organisme sous-régional.
On pourrait expliquer l’attitude de la Cédéao par le fait qu’elle ne souhaitait pas retarder la transition. L’objectif semblait être le retour rapide à l’ordre constitutionnel à travers la tenue des élections présidentielles aux dates déjà annoncées : février et mars 2022.
L’attitude de la Cédéao n’a de toute évidence pas convenu au président français. Ce dernier a immédiatement pris l’initiative unilatérale d’interrompre les opérations militaires communes entre les forces françaises engagées dans l’opération Barkhane et maliennes (FAMa), avant de menacer les nouvelles autorités d’un retrait définitif de ses troupes dans le cas où le Mali cèderait à la tentation de l’islamisme radical. Emmanuel Macron percevait en effet ainsi le coup d’État du 24 mai qui avait renversé le président Bah N’Daw :
« Au président malien Bah N’Daw, qui était très rigoureux sur l’étanchéité entre le pouvoir et les djihadistes, j’avais dit : “L’islamisme radical au Mali avec nos soldats sur place ? Jamais de la vie !” Il y a aujourd’hui cette tentation au Mali. Mais si cela va dans ce sens, je me retirerai. »
Le président français semblait ici faire référence au dialogue initié entre le gouvernement dirigé par la junte et des mouvements djihadistes locaux.
Dialoguer ou non avec les djihadistes ?
En effet, le colonel Ismaël Wagué, ministre de la Réconciliation nationale et membre de la junte, avait dernièrement mené des pourparlers avec la Katiba Macina, groupe djihadiste affilié au Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), dont le leader est Iyad Ag Ghaly. Ce groupe qui avait assiégé le village de Farabougou, dans le centre du Mali, durant plus de cinq mois (de novembre 2020 à mars 2021), exigeait une application stricte de la charia, ainsi que le retrait pur et simple des militaires de la zone.
Au même moment, le blocus djihadiste s’est étendu à d’autres villages également situés dans le centre du pays – par exemple Dinangourou, Kouakourou, Togoré Coumbe, Togue-Mourari, Mondoro, etc. – qui, à un moment ou un autre, ont vécu sous embargo djihadiste sans que les forces armées (maliennes et françaises) ne se portent au secours des habitants. Le dernier en date concerne Dinangourou dont le blocus de quatre mois vient à peine d’être levé à l’issue d’un dialogue entre les djihadistes et les autorités coutumières de la localité. Les habitants de ce village, mais aussi ceux de Farabougou n’ont pu compter ni sur Barkhane, ni sur l’armée malienne, qui se sont simplement contentées de leur larguer des vivres. Ceux parmi les habitants qui ont tenté de braver le blocus des djihadistes en voulant se rendre dans leurs champs ont été tués. L’accord conclu par Ismaël Wagué avec les djihadistes – par l’intermédiaire du Haut conseil islamique – s’est finalement révélé la seule solution leur permettant de bénéficier d’une paix relative, mais surtout de pouvoir retourner dans leurs champs.
Plusieurs localités maliennes ont été soumises à des blocus des mêmes groupes djihadistes avec les conséquences que l’on sait sur les populations. Mais la force militaire n’a pas permis d’en libérer une seule du joug de ces groupes radicaux. Dès lors, la question s’impose : doit-on bannir le dialogue par l’idéologie même si, par endroits, il demeure le seul moyen d’atténuer le supplice des populations civiles ?
Désaccords franco-maliens
Au même moment, sous d’autres cieux, notamment en Afghanistan, on s’aperçoit assez clairement des limites du tout-militaire. Loin de mettre sur le même plan les cas afghan et malien, on pourrait au moins établir deux parallèles : (1) l’échec du tout militaire ; et (2) l’impression d’une montée en puissance fictive des armées des deux pays, tant elles sont affectées par la corruption.
Lorsque la discussion est la seule (ou l’une des seules) issue(s), pourquoi s’en priver ? Nombreux sont les Maliens qui cherchent à comprendre pourquoi la France s’oppose à ce que les autorités maliennes s’engagent dans la voie du dialogue.
La position française est d’autant plus incompréhensible que parler à toutes les parties prenantes, y compris aux djihadistes, est une préconisation issue du Dialogue national inclusif, qui avait réuni toutes les forces vives maliennes (acteurs religieux, politiques, et de la société civile) en décembre 2019.
Les Français semblent donc aller à contre-courant de la volonté des Maliens qui restent les premiers concernés par les questions sécuritaires de leur pays. Il ressort de nos discussions avec bon nombre de leurs représentants que les populations de l’intérieur du Mali qui subissent la pression djihadiste sont en grande partie favorables au dialogue. Ce qu’on remarque aussi, c’est que les fervents opposants au dialogue avec les djihadistes sont généralement ceux qui observent le phénomène de loin (de Bamako ou de Paris), et qui ne sont donc pas directement impactés.
Reprise des opérations conjointes Barkhane-FAMa et réorientation de la stratégie française au Sahel
Après que la France a obtenu « des engagements des autorités maliennes de transition endossés par la Cédéao », les opérations conjointes – Barkhane et FAMa – ont repris le 2 juillet 2021. Toutefois, Emmanuel Macron avait annoncé fin juin la fin de l’opération Barkhane, avant d’expliciter son propos lors du sommet virtuel du G5 Sahel, le 9 juillet 2021.
Étaient alors annoncées la réduction progressive des effectifs de Barkhane, ainsi que la fermeture de trois des cinq bases françaises (celles de Kidal, Tessalit et Tombouctou) d’ici à 2022. Des inquiétudes suivront immédiatement déclenchées par certaines populations sahéliennes craignant l’après-Barkhane. Au Mali, certains ont vu dans les déclarations d’Emmanuel Macron un retrait pur et simple des militaires français, ce qui constituait une occasion pour le pays de s’ouvrir à de nouvelles coopérations militaires, notamment avec la Russie. D’autres, en revanche, n’y ont vu qu’une diversion de la part du président français.
La fin de l’opération Barkhane signifie-t-elle la fin de la présence militaire française au Mali ? La réalité est que l’annonce d’Emmanuel Macron est loin d’impliquer un retrait pur et simple des forces françaises, mais plutôt une évolution vers la mise en place d’une force européenne, en l’occurrence de la task force européenne Takuba, déjà constitué et forte de 600 hommes, dont la moitié de Français, ainsi que des Estoniens, Tchèques, Suédois et Italiens. La France devrait donc en rester la colonne vertébrale.
La task force européenne Takuba : fin de l’approche unilatérale, évolution vers une approche multilatérale
La force Takuba est une coalition de forces spéciales européennes qui fut mise en place en juillet 2020. De nouveaux contingents européens sont attendus pour étoffer le dispositif déjà existant.
L’effectif des militaires français dans la région devrait, quant à lui, être ramené à terme à 2 500 – 3 000 hommes, contre 5 100 aujourd’hui ; et s’articulera autour de la task force européenne Takuba. Deux principales missions sont attribuées à celle-ci : « la neutralisation et la désorganisation du haut commandement des deux organisations ennemies », ainsi que « l’appui à la montée en puissance des armées de la région ».
Cette réorientation laisse quelque peu perplexe. Au-delà d’une présence symbolique, on peut se demander si les Européens viendront « se jeter » dans le bourbier sahélien aux côtés de la France, dont l’enlisement ne fait plus aucun doute. En outre, la montée en puissance des armées nationales sahéliennes semble être un objectif lointain dans la mesure où cette mission semble difficilement atteignable. Les programmes de formation destinés aux soldats des États sahéliens ont du mal à se traduire en succès militaires. En outre, le système de gestion des ressources humaines est tel qu’il sera impossible de savoir avec précision que sont devenus les militaires formés.
Rappelons-nous qu’à l’origine, le G5 Sahel a été initié dans l’objectif de remplacer Barkhane. L’évolution de cette dernière vers Takuba est donc un aveu implicite d’échec du G5 Sahel… Ce qui veut dire que la présence militaire française n’est pas sur le point de finir, au moins à court terme. Avec l’opération Barkhane, la sécurité au Sahel est très souvent apparue comme la seule affaire de la France qui, dès le départ, est en première ligne. On pourrait voir dans la constitution de Takuba une stratégie de la France pour ne plus endosser seule, à la fois les efforts multiples, mais aussi les critiques négatives récurrentes contre sa présence au Sahel. La sécurité au Sahel deviendrait alors l’affaire de l’Europe entière et de la communauté internationale par extension.
En conclusion, on peut clairement dire que la fin de l’opération Barkhane ne signifie pas la fin de la présence militaire française au Sahel. Au contraire, la France continue de garder une présence militaire significative dans la région. Il est donc simplement question d’une réarticulation dont l’objectif principal est d’associer d’autres pays européens. Tout comme la fin de Serval entraîne le renforcement de la présence militaire française au Sahel, avec le début de Barkhane, la fin de cette dernière signifie le début de quelque chose de nouveau. Barkhane ne finit pas, elle s’européanise.
Boubacar Haidara, Chercheur associé au laboratoire Les Afriques dans le Monde (LAM), Sciences-Po Bordeaux., Université Bordeaux Montaigne.
Sékou Amadou Traoré, Enseignant-chercheur, Coordonnateur des Masters à la Faculté des sciences sociales de l’Université de Ségou, Université de Ségou.
Source : Benbere