«Indubitablement, le terrorisme recule au Mali», avait déclaré l’ambassadeur de France à Bamako, Gilles Huberson, en septembre 2016. Mais en trois ans, face à la multiplication des attaques de plus en plus meurtrières au Mali et au Burkina Faso, cet optimiste béat a fondu comme peau de chagrin. «Je considère que nous avons été exagérément optimistes en imaginant, en 2013, que tout serait résolu et que la victoire éclair remportée contre les jihadistes se traduirait immédiatement en un succès politique. Force est de constater que tel n’a pas été le cas», avait reconnu le Général François Lecointre, chef d’état-major des Armées, lors d’une audition à l’Assemblée nationale française en juin. Pis, aujourd’hui, «les conditions d’une extension de la déstabilisation de la zone sont réunies».
En fait l’efficacité de Barkhane a toujours été un mirage (pas les avions de chasse qui font la fierté des Français) pour justifier la présence militaire française au Sahel, notamment au Mali. Une main mise, que l’Elysée souhaite conforter aujourd’hui avec notamment l’implication des forces spéciales mises à disposition par des pays européens pour être déployées en 2020 au Mali en soutien à l’armée nationale dans son combat contre le jihadisme. «Nous avons décidé de créer une unité de forces spéciales européenne. Dès 2020, les forces spéciales françaises aux côtés des forces spéciales de nos partenaires européens seront déployées au Mali. Cette unité se nommera Takuba, qui signifie Sabre en tamashek», a annoncé Florence Parly à sa sortie d’audience avec le président IBK le 5 novembre 2019.
Après Serval et Barkhane, bonjour à la «Force Takuba» à qui on souhaite plus de réussite pour ne pas s’enliser dans le bourbier sahélien. Déjà en juin 2019, à l’occasion d’une visite au 4e Régiment d’hélicoptères des forces spéciales à Pau (France), Florence Parly avait clairement lancé un appel à l’aide aux pays européens pour qu’ils envoient des forces spéciales auprès des armées sahéliennes.
Une dizaine de pays (Estonie, Grande Bretagne, Pays-Bas, Danemark, Espagne…) ont été ainsi consultés pour constituer une force de 450 commandos qui pourraient d’abord se répartir au sein des FAMa. Mais, la plupart des Alliés de l’Hexagone hésitent encore à engager totalement leurs soldats d’élite dans «un projet qui peut apparaître bien fragile face aux attaques coordonnées des groupes armés terroristes».
Toujours est-il que la force Takuba ne consacre pas forcément l’échec de Barkhane. Mais, elle traduit plutôt la volonté de la France de mieux contrôler le Sahel. En effet, si elle se concrétise, cette idée est une stratégie de l’Elysée pour faucher l’herbe sous les pieds des armées des pays sahéliens (notamment le Mali, le Burkina et le Niger) en les privant certainement de la précieuse aide bilatérale que leur apportent des Etats européens comme l’Allemagne. L’aide militaire allemande a toujours été conséquente pour l’Armée malienne dotée des moyens en fonction des besoins réels exprimés. Cette nouvelle initiative française annoncée pour début 2020 est de nature à affaiblir davantage les armées des pays concernés par le maintien et le renforcement de la tutelle militaire françaises.
Sans compter que le déclenchement de «Takuba» va inexorablement sonner le glas pour la Force conjointe du G5 Sahel qui sera ainsi privée de l’appui de son principal bailleur de fonds, c’est-à-dire l’Union européenne. En cette période de récession économique (qui se traduit en Europe par la montée en puissance de l’Extrême droite populiste, menaçant les partis traditionnels du clivage Gauche-Droite), on voit mal des pays européens envoyer des commandos participer à une périlleuse et coûteuse opération anti-terroriste au Sahel et encourager l’UE a maintenir son financement indispensable à l’opérationnalisation de la Force conjointe du G5 Sahel privée de l’appui financier des Nations unies par le veto américain.
Takuba est donc une manière pour la France de torpiller toutes les initiatives assurant l’autonomie (voire l’indépendance diplomatique et économique) des pays du Sahel menacés par le terrorisme et pouvant l’empêcher d’être la seule à avoir en main la carte de la stabilité du Mali voire du Sahel. Nous avons toujours soutenu ici que la France n’apporte qu’un soutien hypocrite à l’idée d’une Force conjointe du G5 Sahel dont l’opérationnalisation ne peut que contrarier ses ambitions néocolonialistes dans cette région.
La solution préconisée (l’intervention des forces spéciales européennes aux côtés des armées du Sahel) est-elle la meilleure stratégie ?
Sinon tous les observateurs neutres sont convaincus que, aujourd’hui pour mieux lutter efficacement contre le terrorisme au Sahel, il faut changer le fusil d’épaule en laissant totalement l’initiative du terrain aux armées nationales qu’il faut soutenir au niveau de la formation et de l’équipement.
«Pour sortir du bourbier au Sahel, il est urgent de repenser notre stratégie», a ainsi confié à RFI le Général Bruno Clément-Bollée qui était «l’Invité Afrique» du mercredi 6 novembre 2019). C’est aussi le titre d’une tribune publiée dans le quotidien «Le Monde» par ce consultant international en matière de sécurité en Afrique.
«La situation au Sahel n’appartient qu’aux pays sahéliens et d’abord à eux. Il faut nous mettre ça dans la tête. C’est à partir de ça qu’on peut définir une nouvelle stratégie. Et cela demande à ce moment-là d’accepter quatre exigences : c’est d’abord de faire confiance, faire confiance à leur stratégie et pas à la nôtre ; ensuite, c’est de donner des moyens pour se remettre à niveau politique, sécuritaire, économique et social ; c’est d’accompagner ; enfin, c’est faire preuve de patience parce que ça va être très long», a préconisé le Général Bruno Clément-Bollée.
Et de préciser qu’il ne faut pas non plus que la France retire ses troupes, mais qu’elle «les mette en deuxième rideau, c’est-à-dire qu’on soit en appui et non pas en première ligne». Il rejoint presque l’ancien ambassadeur de France au Mali, M. Nicolas Normand, qui avertissait dans un Twitte que «l’armée française doit éviter la substitution et renforcer fortement l’appui matériel à l’armée malienne et le renseignement. Il faut absolument aider les États sahéliens à assurer le contrôle du territoire et les services aux populations, sans aide contournant les États».
Si la France est au Mali et au Sahel pour combattre le terrorisme, au lieu d’engager «Takuba», elle doit plutôt convaincre ses alliés européens à apporte l’appui financier et logistique indispensable non seulement à l’opérationnalisation de la Force conjointe du G5 Sahel, mais aussi accompagner efficacement la montée en puissance des armées nationales. Ils sont par exemple nombreux les observateurs indépendants qui pensent qu’avec les moyens aériens avérés et des renseignements fiables, les FAMa peuvent être plus efficaces aujourd’hui que Barkhane contre les réseaux criminels, terroristes notamment.
Ce choix est moins coûteux et moins risqué (en termes de pertes en vie humaine) pour les Français et leurs alliés européens. Mais, il ne garantit pas les vrais intérêts de la France dans la zone, son dessein inavoué au Mali et au Sahel.
Moussa Bolly