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Décryptage: Entre instabilité et rejet, comment redevenir un peuple libre ?

Ce matin, je vous invite à analyser succinctement avec moi l’histoire récente de nos Etats faite de jacqueries et de rejets.

En dépit de nos patrimoines culturels et d’inépuisables ressources naturelles, l’écrivain Moussa Konaté se pose la question : L’Afrique noire est-elle maudite ? Dans le brouhaha des bouleversements politiques et sécuritaires, le sort de nos Etats ressemble en effet à une fatalité.

Modibo Kéita, 1er président du Mali indépendant, acclamé par les Maliens à sa prise du pouvoir en 1960, subit le désamour d’une partie des Maliens à cause des clivages politiques et des maladresses. Sa politique de révolution active aurait glissé vers l’autoritarisme.

La mort en détention de Fily Dabo Sissoko, Hammadoun Dicko et Kassoum Touré reste un boulet pour son régime. A la décharge du père de l’Indépendance, Modibo Kéita, les Maliens lui sont reconnaissants pour avoir implémenté des politiques culturelles, éducatives et économiques novatrices. Elles sont à l’origine de l’essor du pays.

Entre faux-espoirs, sentiment d’impuissance

Ailleurs, chez nos voisins, en Guinée-Conakry, les pratiques “totalitaires” du président Ahmed Sékou Touré, “l’homme qui a dit non à de Gaulle”, ont transformé le pays en un champ de ruines. Diallo Telly et des milliers d’opposants guinéens meurent au camp Boiro, symbole de la violence et de la dérive du régime de Sékou Touré, appelé autrement le Syli, l’Eléphant.

Au Niger, le régime du président Hamani Diori chute en avril 1974 à cause de la corruption et de la mauvaise gestion. Mais, le fanion de la patrie nigérienne est ramassé par le lieutenant-colonel Seyni Kountché du Conseil militaire suprême (CMS).

Au Burkina Faso, le président Maurice Yaméogo est honni par les Burkinabés à cause de sa politique d’austérité financière (baisse des salaires de 20 %, etc.) Les contestations populaires de janvier 1966 accélèrent la fin de son régime. Yaméogo cède le pouvoir à son chef d’Etat-major, le lieutenant-colonel Aboubacar Sangoulé Lamizana.

Ainsi vont nos pays ! Au Burkina Faso comme au Mali, en Guinée-Conakry comme au Niger, l’instabilité de nos Etats et l’intensité du rejet des exécutifs viennent moins des chefs que de leurs pratiques politiques. Entre faux-espoirs, sentiment d’impuissance et déconnexion des réalités quotidiennes, le fantôme de l’instabilité et du rejet rode.

Il ne laisse aucun répit aux peuples (citoyens) de redevenir libres et autonomes. Les mêmes fantômes planent sur les exécutifs actuels, à quelques exceptions près. Rappelons que les premiers présidents de nos Etats ont été tous des civils alors que les présidents actuels, hormis celui du Niger, sont des militaires. Chez certains, le risque de travailler à rebours est important. Chez d’autres, la stratégie de la pensée unique ronge les exécutifs.

Le point d’inflexion

Ceci dit, hier comme aujourd’hui, la volonté de créer les conditions d’un peuple libre est quasi nulle à cause d’un défaut de réflexion et de refus de remise en question de soi. Un examen lucide des sujets majeurs de nos sociétés à tous les niveaux s’impose. Le premier niveau concerne la lutte contre les injustices.

Il s’agit de travailler à l’égalité des droits essentiels pour les populations et les groupes sociaux, en général exclus, ignorés et humiliés. La question des réfugiés et des déplacés, des enfants sans écoles, des familles affamées ou mal nourries, des populations assoiffées et mal soignées, doit être posée.

Traiter ces questions, c’est engager une œuvre collective de reconstruction des Etats et d’autonomisation des peuples. Quant au deuxième niveau de la réflexion, il consiste à identifier les combats légitimes à mener pour la liberté : apprendre, connaitre, circuler, éduquer, exercer la justice, innover, opiner, réussir, savoir, s’émanciper, s’exprimer, transmettre, vivre, etc.

Ce qui enjoint de tracer les chemins des projets novateurs pour la justice, le respect et la place de chacun dans la société. Tracer ces chemins de la liberté, c’est trouver le point d’inflexion à travers l’éducation, la transmission et la formation pour les catégories les plus pauvres de nos Etats.

Un peuple libre n’a rien à craindre

L’articulation de ces deux niveaux de réflexion permet de mettre un cadre. Lequel cadre institue les règles d’un débat démocratique, et refuse de renvoyer à son adversaire l’image d’un suppôt de pays tiers : Russie, France, Etats-Unis, Chine. Il instruit notre capacité à nous questionner perpétuellement, et à interroger la gouvernance pour plus d’efficacité et de transparence.

Là où un Burkinabé, un Guinéen, un Malien ou un Nigérien s’indigne et se révolte contre une réforme ou un mode de gouvernement, il faut y voir et comprendre un message, celui contre l’autoritarisme, la dérive dictatoriale, la tyrannie et l’injustice. Si dans le monde antique, Spartacus s’est levé contre ses maîtres pour refuser sa propre condition sociale (esclave), c’est pour rejeter la servitude, la domination, et recouvrer sa liberté, une conception d’égal à égal des rapports humains. La liberté se construit. Un peuple libre n’a rien à craindre, s’il est conscient qu’il est un rempart contre la violence et la désintégration de l’Etat.

Comme une stalagmite, un peuple libre, c’est tout ça : des expériences, des surprises, des parcours, etc. Redevenir un peuple libre, c’est aller au-delà des stratégies individuelles, et tourner son action vers le bien-être des autres. Ces autres, ce ne sont pas les agités de WhatsApp, grenouillant d’un groupe à un autre comme une mouche tsé-tsé sautant d’une personne à une autre, mais ce sont ces Burkinabés, Guinéens, Maliens et Nigériens marginalisés, abandonnés, tyrannisés.

Enfin, ce n’est pas insignifiant de dire que ces rejets incuberaient les futures jacqueries. Hélas !

Mohamed Amara

Sociologue

Source: Mali Tribune

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