« Pour garantir notre sécurité, nous avons mis nos troupes en état de vigilance », n’a pas hésité à déclarer mercredi 23 février la présidente taïwanaise TsaiIng-wen pour rassurer sa population alors que les troupes russes sont en train d’envahir l’Ukraine. Depuis des années sous la menace d’une invasion militaire de la République populaire de Chine qui considère Taïwan comme une province chinoise, les autorités de Taïpei, qui ont condamné l’invasion russe, surveillent de très près l’évolution de la situation en Ukraine. Un scénario que pourrait parfaitement suivre la Chine lorsqu’elle aura décidé d’annexer Taïwan.
« Il est certain que la Chine va utiliser l’invasion ukrainienne par la Russie à son avantage », réagit Antoine Bondaz, chercheur spécialiste de la Chine à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS). « Elle observe et apprend (Watch and Learn) et adopte la stratégie du “silence stratégique” en ne critiquant pas la Russie », ajoute-t-il. Pour lui, le plus important pour la Chine est d’évaluer la nature et l’ampleur des sanctions de l’Union européenne (UE) contre la Russie. « Si l’UE ne décide pas de fortes sanctions contre la Russie, alors la Chine saura qu’en cas d’invasion de Taïwan, l’UE n’en prendra pas non plus contre la Chine. »
« Pékin réécrit l’histoire »
Sur le plan historique, Vladimir Poutine a invoqué, en réécrivant l’histoire, les liens ancestraux entre l’Ukraine et la Russie pour justifier son invasion. De la même façon, la Chine communiste défend depuis toujours l’idée martelée à nouveau mercredi 23 février par la porte-parole de la diplomatie chinoise Hua Chunying, que « Taïwan a toujours été une partie inaliénable du territoire chinois. C’est un fait historique et juridique irréfutable. » À ce titre, la Chine estime qu’elle serait dans son bon droit en récupérant militairement Taïwan.
« Pour Xi Jinping, la réunification avec Taïwan est une priorité »
« Pékin réécrit elle aussi l’histoire », précise Stéphane Corcuff, maître de conférences à Sciences Po Lyon et spécialiste de Taïwan, « car Taïwan n’a jamais appartenu à la République populaire de Chine. Toute la politique de Pékin vis-à-vis de Taïwan est fondée sur ce mensonge. » D’où la terminologie abusive de « réunification » avec Taïwan sciemment utilisée, sous entendant que le continent et l’île, séparés aujourd’hui, ont été un jour unis.
Taïwan et les États-Unis sont liés par de multiples accords de sécurité
Reste que Taïwan n’est pas vraiment l’Ukraine. Taïwan et les États-Unis sont liés par de multiples accords de sécurité signés en 1979, 1982 et les années 2000. « Et Joe Biden a encore rappelé il y a quelques mois que les États-Unis interviendront militairement si Taïwan était attaqué par la Chine », rappelle Stéphane Corcuff. 50 000 soldats américains sont basés à Okinawa au Japon, (une heure d’avion à peine), 30 000 en Corée du Sud et plusieurs milliers sur la base américaine de Guam. De plus, aux yeux des États-Unis, la « valeur » stratégique, sécuritaire, technologique de Taïwan est bien plus élevée que celle de l’Ukraine.
Le scénario russe en Ukraine, qui est en train de se dérouler, ne provoquera pas pour autant une accélération de la stratégie d’invasion chinoise de Taïwan. « La Chine manque encore cruellement de capacité amphibie et sous-marine pour débarquer sur la côte ouest de Taïwan », insiste Antoine Bondaz. Pour lui, la Chine a le temps et peut se permettre d’attendre, rappelant qu’une telle opération militaire chinoise est très risquée : « La Chine ne lancera ses opérations militaires contre Taïwan que si elle est certaine de l’emporter, dans le cas contraire, ce serait un échec politique énorme.
Correspondance particulière
Source: Le Démocrate