Nous rédigeons cet appel en tant qu’intellectuels africains du continent et de la diaspora. Beaucoup d’entre nous ont consacré leur vie professionnelle à la compréhension des causes et des solutions potentielles aux conflits intra et interafricains. La détérioration constante de la situation en Éthiopie nous consterne et illustre de manière tragique le peu d’intérêt que suscitent les nombreux commentaires des intellectuels africains sur la manière de résoudre les conflits africains.
Nous sommes profondément bouleversés par la guerre civile en cours en Éthiopie – que certains qualifient de conflit interne régionalisé, étant donné le rôle joué par l’Érythrée dans ce conflit. Nous constatons avec consternation que les protagonistes du conflit ne sont plus seulement les forces de défense du Tigré (TDF) et les forces de défense nationale éthiopiennes (ENDF), ainsi que les forces spéciales d’Amhara, mais aussi l’armée de libération oromo d’un côté, et de l’autre, les forces spéciales de plusieurs autres régions, ainsi que de nombreux conscrits. Nous notons également les percées des TDF dans les régions d’Amhara et d’Afar – qui, bien qu’elles prétendent chercher à permettre l’accès aux chaînes d’approvisionnement humanitaire et autres, contribuent à l’expansion du conflit dans toute l’Éthiopie.
L’Éthiopie est un pays majeur sur le continent, non seulement parce qu’elle a résisté avec succès à l’expansionnisme impérial européen, mais aussi parce qu’elle abrite le siège de l’Union africaine (UA), notre organisation intergouvernementale, dont nous déplorons le manque d’engagement effectif dans la résolution de la crise éthiopienne. L’UA et ses États membres – en particulier les États voisins de l’Éthiopie – ne doivent pas laisser l’Éthiopie dicter les termes de leur engagement dans la recherche d’une solution à ce conflit.
Nous tenons également à déplorer le nombre sans cesse croissant de civils touchés par ce conflit – les décès, les violences sexuelles, l’exode des réfugiés, la faim avérée et les besoins médicaux et psychosociaux non satisfaits, les rapports faisant état de détentions illégales généralisées et ciblées (notamment en raison de l’appartenance ethnique), les disparitions forcées et la torture en détention. Nous condamnons aussi les destructions des biens matériels et immatériels chèrement acquis au Tigré, ainsi que dans d’autres régions d’Éthiopie, y compris les établissements d’enseignement supérieur et le patrimoine culturel. La population éthiopienne a suffisamment souffert. Le pays ne peut se permettre de nouvelles destructions.
Tous les Éthiopiens doivent reconnaître qu’une solution politique plutôt que militaire s’impose désormais, quelles que soient les revendications et les contre-revendications, légitimes ou non, sur les circonstances qui ont fait que l’Éthiopie en soit arrivée là. La justice réparatrice, y compris la réquisition et la contre-réquisition de terres faisant l’objet d’une contestation, et la détention de membres des familles de groupes politiques récemment mis hors la loi, exacerbent les tensions, entraînant des cycles de violences générationnelles.
L’Éthiopie est au bord du précipice ; nous devons agir. Nous invitons donc :
Le gouvernement éthiopien et le gouvernement régional national du Tigré à répondre positivement aux appels répétés au dialogue politique, y compris avec les groupes concernés et impliqués des régions d’Amhara et d’Oromia ;
Le gouvernement éthiopien et le gouvernement régional national du Tigré à recourir de manière positive, dans le cadre de ce dialogue, au concours des nombreux intellectuels africains qui ont proposé des solutions pour sortir du conflit ;
Les États voisins à exercer une pression maximale sur le gouvernement éthiopien et le gouvernement régional national du Tigré pour qu’ils acceptent, dans le cadre de l’Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD) et de l’UA, de participer à la résolution de ce conflit par une médiation extérieure ;
L’IGAD et l’UA à assumer pleinement leurs rôles de médiateur auprès des protagonistes de ce conflit, notamment en apportant tout leur soutien politique à l’envoyé spécial de l’UA pour la Corne de l’Afrique, qui sera bientôt désigné ;
Le reste de la communauté internationale à continuer à soutenir les actions de l’IGAD et de l’UA en utilisant les tactiques de persuasion nécessaires pour amener les protagonistes à la table des négociations, les y maintenir et trouver une solution politique menant à un dialogue national plus large sur l’avenir de l’État éthiopien.
Nous exhortons tous les dirigeants et groupes civiques éthiopiens à faire preuve de maturité et de vision pour reconstruire un pays qui a déjà trop longtemps souffert. Nous demandons que tout règlement politique négocié inclue un processus de reddition de comptes concernant les atrocités de masse perpétrées en Éthiopie. L’histoire de l’État africain témoigne de l’efficacité de la voie de la vérité, de la paix, de la justice et de la réconciliation.
Source : Mali Tribune