La Cérémonie solennelle d’installation du Premier Président et du Procureur général de la Cour d’Appel de Mopti s’est déroulée, le 10 août 2023 en présence du Secrétaire général du ministère de la Justice et des Droits de l’homme accompagné d’une forte délégation comprenant le Chef de Cabinet, le Conseiller Technique en charge des affaires juridiques et de la législation, le Haut Fonctionnaire de Défense, le Directeur national de l’administration de la justice, le Directeur des finances et du matériel et le Chef de section de l’exécution du budget. Occasion pour Mahamadou Bandiougou Diawara de rappeler le rôle du Procureur général.
Dans son discours d’installation le Procureur général, Mahamadou Bandiougou Diawara, a rendu hommage à son prédécesseur Adama Fomba et au Premier Président sortant, Faradji Baba, qui ont laissé à Mopti le souvenir de magistrats compétents, courageux et attentifs aux autres.
Il s’est réjoui de la confiance placée en sa personne pour occuper cette haute fonction. Et de souligner la particularité des relations entre le ministre de la Justice et des Droits de l’homme et les Procureurs Généraux. Elles sont différentes de celles existant entre les autres départements et leurs services déconcentrés. Car «Cette relation, aussi exigeante que singulière dans son fonctionnement, commande transparence et loyauté, principes que j’aurai à cœur, soyez en certain, de respecter scrupuleusement».
Mamadou Bandiougou Diawara mesure l’enjeu de ses fonctions. «Nous voici réunis, nombreux, dans cette salle historique de la Cour d’Appel de Mopti “où la justice, éclairée par la vérité, pourchasse le crime et protège l’innocence tandis que tombe le masque de l’hypocrisie’’. Je mesure, en requérant de cette place, l’importance des fonctions qui sont désormais les miennes et qui ont, par le passé été exercées, par les plus grandes figures de la magistrature malienne ».
Parmi ces figures, il a cité Tamba Namory Kéita et les regrettés Yirafé Fomba, Mamadou Tidiane Dembélé, Moussa Bagayoko, Fakary Dembélé et Daniel Amagouin Tessougué. «Je n’oublie pas non plus les procureurs Sombé Théra, Pascal Bagayoko, Idrissa Ariso Maïga et, bien sûr, Boubacar Diarrah, dont le soutien et les conseils permanents m’ont accompagné au cours de ma petite carrière de magistrat et spécifiquement de magistrat parquetier. J’ai évidemment une pensée pieuse pour les défunts, longue vie et plein de bonheur aux autres et à tous ceux que je n’ai pu citer».
Interlocuteur accessible et toujours disponible
Il a profité de cette opportunité pour expliquer le rôle du Procureur général, selon le Code de Procédure Pénale du Mali, le principal relai du pouvoir exécutif au sein des juridictions. Selon Jean-Baptiste Comte Treilhard une des sommités du droit qui a marqué la fin du XVIIIè et le début du XIXè siècle, les procureurs généraux «sont chargés du dépôt précieux de l’ordre public et de l’exercice de l’action de la justice criminelle ; la paix et la tranquillité des citoyens sont fondées sur leur courage et leur loyauté ; ils doivent veiller sans cesse, afin que les autres reposent …. le procureur général doit être l’asile de l’innocence et la terreur des méchants» a rappelé Mahamadou Bandiougou Diawara.
Le Procureur général étant responsable de la bonne application de la loi pénale et du bon fonctionnement des parquets de son ressort, «je m’efforcerai, mes chers collègues, d’être un interlocuteur accessible et toujours disponible pour évoquer les sujets ayant trait à l’exercice quotidien de l’action publique, les difficultés rencontrées dans la prise de décisions souvent si lourdes de conséquences pour les justiciables, mais aussi les évènements marquant, à un titre ou à un autre, la vie de vos juridictions. Je souhaite partager avec vous et avec toute mon équipe du parquet général un seul leitmotiv : « le soutien ! Le soutien ! Le soutien ! » Un soutien indispensable qui vous est dû, en termes de conseils, analyses juridiques, solidarité dans les moments de tempête.»
Le Procureur général est également un facilitateur, explique-t-il. Dans le strict respect des principes fixés par la loi et les circulaires, il compte veiller à la remontée d’informations entre les parquets du ressort et les parquets nationaux, d’une part, et la Chancellerie, d’autre part.
Le Procureur général, selon Mahamadou Bandiougou Diawara, est aussi un administrateur avec la mission centrale d’animer et de décliner les politiques pénales destinées à prévenir et réprimer les infractions. Il peut, le cas échéant, adapter les instructions générales du ministre de la Justice au contexte propre au ressort judiciaire. « Il s’agit donc d’impulser, de coordonner et d’harmoniser les pratiques de parquets connaissant des réalités territoriales très diverses. Aussi, je veillerai à ce que chaque instruction générale de politique pénale émanant de la Chancellerie fasse l’objet, après analyse, d’une déclinaison spécifique à l’attention des parquets du ressort».
Enfin, le Procureur général est le Chef du parquet de la Cour d’Appel. «Ce sont ses activités de chef de parquet qui mobilisent la part la plus importante des moyens humains du parquet général, magistrats et fonctionnaires. Oui, les fonctionnaires de greffe et du parquet, archivistes, chauffeurs, coursiers ou plantons, gardiens, agents des bureaux d’accueil, d’orientation et d’assistance judiciaire et autres de maintenance ou de nettoyage, dont je salue le courage et l’abnégation au quotidien, et à travers vous, M. le Greffier en Chef».
Une synthèse de Chiaka Doumbia
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Sérénité, équilibre et mesure pour renforcer la confiance des concitoyens en la justice
Le Procureur général se réjouit des relations de collaboration avec les représentants des services de Police et de Gendarmerie, de la Garde Nationale et de l’Armée qui assurent la sécurité des usagers, du personnel et locaux des juridictions. «Que dire des braves surveillantes et surveillants de prison qui, avec leur engagement et leur créativité, humanisent davantage le milieu carcéral et rendent moins pénible la vie des pensionnaires de nos maisons d’arrêt ! Je vous encourage et vous invite à plus de labeur».
S’adressant au représentant de l’Ordre des Avocats du Mali, le Procureur général déclare partager sa quête de sérénité, d’équilibre et de mesure. «Sérénité, équilibre et mesure sans lesquels il ne peut y avoir de confiance de nos concitoyens en la justice. “Concentrons-nous, (comme nous y invitent les grandes écoles de formation du barreau) sur ce qui rassemble les magistrats et les avocats sur le plan des valeurs, de l’éthique et de la déontologie’’ !»
Il n’a pas oublié les Huissiers-Commissaires de Justice, les Notaires sans le concours desquels les juridictions ne fonctionneront pas certainement. Il a remercié tous ceux qui ont honoré la cérémonie de leur présence, notamment son camarade Cheick Oumar Dembélé dit ‘’Le Shah’’ venue de Bamako au nom de la Grande Amicale des promotions 93 et 95 de l’ENA.
Marie Rodet, Professeure à l’Université de Londres : ‘’Il urge de plaider pour une loi criminalisant l’esclavage…et son application effective’’
Marie Rodet est Professeure d’Histoire africaine à la SOAS (School of Oriental and African Studies) de l’Université de Londres. Depuis plus de 15 ans, elle fait des recherches sur l’histoire de l’esclavage dans la region de Kayes. Elle analyse comment la résistance, les rébellions et la mobilité des esclavisé.e.s ont perturbé les relations supposées fixes de genre et les hiérarchies de pouvoir, conduisant à des renégociations complexes de la parenté, du mariage, des pratiques religieuses et, plus généralement, des notions d’appartenance en Afrique de l’ouest. Dans cette interview qu’elle a bien voulu nous accorder, la Professeure d’Histoire africaine décortique la pratique de l’esclavage !
Le Challenger : Vous avez fait beaucoup de recherches sur l’esclavage par ascendance. Comment expliquez- vous la persistance de ce phénomène plus de 60 ans après la fin de la colonisation ?
Marie Rodet : l’esclavage par ascendance continue de prévaloir dans de nombreuses communautés d’Afrique de l’Ouest. Il faut d’abord le définir. Les personnes concernées sont assignées au statut «d’esclave» au prétexte que leurs ancêtres auraient été capturés et que leur famille “appartiendrait” depuis lors aux familles considérées comme «nobles». Ce statut est transmis principalement par la lignée maternelle, afin de s’assurer que les enfants des femmes considérées comme «esclaves» naissent en esclavage. Des personnes concernées n’ayant même pas d’ancêtres capturés et vendus comme esclaves se sont vues attribuer le “statut d’esclaves” après avoir déménagé dans une nouvelle communauté. En effet, les étrangers qui cherchaient refuge dans un contexte de guerre et de raids esclavagistes se voyaient souvent attribuer un statut inférieur par les propriétaires terriens locaux. Les enfants «mis en gage» dans les périodes de famine restaient dans la famille du créancier quand la dette ne pouvait pas être remboursée et leurs descendants pouvaient se voir attribuer un “statut d’esclave”.
Aujourd’hui, le caractère héréditaire de l’esclavage persiste. L’esclavage a été aboli légalement pendant la colonisation, mais l’abolition n’était pas effective. L’administration coloniale elle-même tolérait l’esclavage par ascendance et a systématiquement recruté les anciens esclavisé.e.s pour le travail forcé. A l’indépendance, ces sujets sont demeurés tabous et les discriminations liées au statut «d’esclave» ont perduré. Cela inclut des restrictions à l’accès à l’éducation, à la santé, des interdictions de mariages entre personnes considérées «esclaves» et «nobles», certaines interdictions religieuses. En cas de refus du statut «d’esclave», les personnes sont confrontées à des embargos d’accès aux biens essentiels de leur communauté (écoles, marchés, centres de santé, puits, champs etc.), à des violences parfois extrêmes et sont souvent forcées de quitter leur village si elles ne se soumettent pas à la discipline esclavagiste.
Les tensions autour de l’esclavage sont dormantes ou réactivées selon les moments et les localités, mais le statut ne disparaît pas. C’est pourquoi il est crucial de sensibiliser les populations et de plaider pour l’adoption d’une loi spécifique criminalisant l’esclavage par ascendance afin de mettre définitivement fin à ce phénomène qui a de graves répercussions à de multiples niveaux et freine de développement social et économique des régions concernées.
Au Mali ces dernières années, on assiste à des violences en lien avec la pratique de l’esclavage par ascendance au niveau de certains villages. À votre avis, quelle peut être l’origine de ces actes de violences ?
Les violences surgissent à partir du moment où les personnes assignées au statut «d’esclave» refusent de se soumettre. Le simple refus par exemple de se faire appeler «esclave» peut suffire à déclencher des représailles extrêmement violentes. Depuis 2020, plusieurs personnes ont été assassinées pour avoir refusé l’esclavage. Il y a un an, en juillet 2022, dans le village de LanyMody, région de Kayes, une dame de 71 ans, Diogou Sidibé, a été assassinée dans son champ. Les «nobles» voulaient lui interdire l’accès à ce champ, bien que la justice ait reconnu son droit de propriété. Elle a refusé de cesser d’y travailler et c’est pour cela qu’elle a été assassinée. Depuis 2020, plus de 3000 personnes ont ainsi été forcées de fuir leur village dans la région de Kayes, notamment à Mambiri près de Kita. Ces populations sont obligées de trouver refuge ailleurs, où elles connaissent des conditions d’une grande précarité. Ces violences trouvent souvent leur origine dans le simple refus de l’esclavage et des discriminations associées au statut.
Si certains s’opposent à cette pratique, elle convient en revanche à d’autres. Ne trouvez-vous pas cela paradoxal ?
Ce que montrent les recherches sur le terrain c’est que, la plupart du temps, le discours qui fait de l’esclavage une coutume parmi d’autres sans conséquences majeures et soit-disant bien acceptée par tous et toutes, est tenu en majorité par les personnes considérées comme «nobles» et qui défendent ces pratiques. De plus, c’est un risque pour les personnes considérées comme «esclaves» d’exprimer une opinion contraire. Même dans les villages où les tensions autour de l’esclavage semblent apaisées, le simple refus de se faire appeler «esclaves » peut déclencher une nouvelle vague de violences.
Quelles sont les zones du Mali où la pratique de l’esclavage par ascendance persiste toujours ?
Notre étude de l’esclavage par ascendance s’est concentrée sur la région de Kayes, mais en réalité l’esclavage par ascendance persiste sur l’ensemble du territoire malien, ainsi que dans d’autres régions Afrique de l’Ouest, par exemple en Mauritanie, au Sénégal, en Guinée, au Niger, etc.
Les réponses apportées par les autorités nationales sont-elles à hauteur des attentes ?
Les autorités maliennes semblent prendre davantage la mesure du phénomène et l’importance de s’attaquer au problème pour la stabilité et le développement du pays. Néanmoins, les réponses ne sont pas encore à la hauteur des efforts nécessaires. Il faut maintenir l’effort de sensibilisation et accélérer le processus d’adoption d’une loi spécifique criminalisant l’esclavage, pour pouvoir poursuivre celles et ceux qui le pratiquent encore. Sans une telle loi, il sera extrêmement difficile d’éradiquer le phénomène.
Pensez-vous qu’il existe au Mali un lobby esclavagiste qui influence la prise des décisions ?
Il est difficile de parler d’un lobby esclavagiste organisé en tant que tel. Mais les familles «nobles» qui, traditionnellement ; possédaient des esclaves, sont souvent dans des positions de pouvoir, d’influence, encore aujourd’hui. Au-delà des intérêts directs que certain.e.s pourraient avoir dans la continuation des pratiques d’esclavage par ascendance, matériels ou pour maintenir une position sociale, de nombreuses idées persistent dans la société et les sphères de pouvoir, comme l’idée que l’esclavage n’est plus qu’une tradition, ce qui tend à minimiser ses conséquences voire à légitimer le phénomène. Cette idéologie est un des facteurs qui engendre la perpétuation de ces pratiques en théorie abolies et condamnées par les traités internationaux qu’a ratifié le Mali.
L’organisation récente d’une Cour d’assises à Kayes sur les pratiques liées à l’esclavage traduit-elle à votre analyse une volonté réelle de lutter contre l’impunité ?
C’est en tout cas un signe encourageant, et le rôle de la justice est absolument crucial dans la lutte contre ce phénomène. Il est capital que les victimes soient reconnues et compensées, et qu’il y ait des répercussions légales pour les auteurs de pratique d’esclavage et de violences.
Le 8 mai dernier, les experts de l’Onu ont exhorté les autorités maliennes à adopter une législation pour criminaliser l’esclavage dans le pays. Que pensez-vous de cette recommandation ?
C’est un point essentiel pour l’abolition effective de l’esclavage par ascendance au Mali. Bien que le pays ait ratifié plusieurs traités interdisant ces pratiques, et que l’esclavage soit aboli dans la loi, il n’existe pas de loi spécifique criminalisant l’esclavage par ascendance. Les victimes ne peuvent demander justice que sur le fondement d’autres délits ou crimes parallèles, comme les violences aux personnes, les attaques aux biens, mais rien ne permet dans le code pénal de réprimer la pratique de l’esclavage par ascendance en elle-même car ce crime n’est pas nommé en tant que tel ni défini. Dans le nouveau code pénal, l’esclavage est défini et criminalisé mais la définition employée ne correspond pas à la définition de l’esclavage par ascendance qui ne peut juste être réduit à un état de propriété. Il faut que la loi reconnaisse la spécificité de l’esclavage par ascendance qui relève plus de l’emprise et l’exploitation psychologique et physique que de la propriété en soit. Cet état des textes ne permet toujours pas actuellement aux magistrats de juger de manière appropriée ces affaires.
Après plusieurs années de recherche, que préconisez-vous pour mettre fin à la pratique de l’esclavage par ascendance ?
L’adoption d’une loi spécifique criminalisant l’esclavage est un point décisif, mais l’aspect légal n’est pas suffisant pour mettre fin au phénomène de l’esclavage. La sensibilisation est nécessaire à plusieurs niveaux. Au niveau juridique, une fois une loi appropriée adoptée, il faut s’assurer de la bonne application de la loi, en garantissant que les magistrats et les autorités locales soient correctement informés à propos de ces pratiques. Il est aussi crucial de sensibiliser la population générale via différents médias (télés, radios, journaux), en particulier les jeunes, pour alerter sur les conséquences de l’esclavage par ascendance et éradiquer ces pratiques.
Propos recueillis par Chiaka Doumbia
Le Challenger