Face aux sanctions et à la pression diplomatique croissante, la riposte dans la rue. Du nord au sud, de Bamako à Tombouctou, en passant par Bougouni et Kadiolo, près de la frontière ivoirienne, les Maliens ont répondu massivement à l’appel de la junte à défiler contre les sanctions ouest-africaines et à s’opposer aux pressions internationales, qui ne faiblissent pas.
Dans la capitale, des milliers de personnes parées aux couleurs nationales vert, jaune et rouge ont commencé à affluer place de l’Indépendance pour la prière hebdomadaire, ouvrant un après-midi de mobilisation orchestrée par les militaires au pouvoir.
Au même moment, le chef de la junte et président de transition, le colonel Assimi Goïta, a validé un «plan de riposte» gouvernemental aux sanctions ouest-africaines, ont indiqué ses services sur Facebook. Le plan a plusieurs composantes, diplomatiques ou économiques, disent-ils sans plus de précisions. «L’objectif de ce plan n’est pas d’être dans une posture de bras de fer» avec les organisations ouest-africaines, et le Mali reste «ouvert au dialogue», ajoutent-ils.
Le gouvernement malien avait lancé lundi, au lendemain des mesures de rétorsion «extrêmes» selon lui prises par l’organisation des Etats ouest-africains Cédéao, un appel «à une mobilisation générale sur toute l’étendue du territoire national». Le colonel Goïta, porté à la tête du Mali par un premier coup d’Etat en août 2020 et intronisé président «de la transition» à la suite d’un second en mai 2021, a exhorté les Maliens à «défendre (leur) patrie».
Risque d’asphyxie financière
Le Mali, déjà plongé dans une grave crise sécuritaire et politique depuis le déclenchement d’insurrections indépendantiste et jihadiste en 2012, fait face depuis dimanche à de lourdes sanctions de la Cédéao. Celles-ci punissent le projet des militaires de continuer à gouverner pendant plusieurs années, et l’engagement révoqué d’organiser en février 2022 des élections qui auraient ramené les civils à la tête du pays.
La fermeture des frontières de la Cédéao, l’embargo sur les échanges commerciaux (hors produits de première nécessité) et sur les transactions financières ainsi que le gel des avoirs maliens dans les banques ouest-africaines menacent dangereusement l’économie d’un pays parmi les plus pauvres du monde, éprouvé par les violences et la pandémie, enclavé et fortement tributaire des ports ouest-africains du Sénégal et de Côte-d’Ivoire.
Des compagnies ouest-africaines ainsi qu’Air France ont suspendu leurs vols vers Bamako. Le pays risque l’asphyxie faute de liquidités. Le Mali n’a pas pu réaliser une opération sur le marché financier régional mercredi. Il est «coupé du reste du monde», dit à l’AFP Kako Nubukpo, commissaire pour l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uémoa).
Les sanctions ont suscité un concert de réprobations au Mali. La Cédéao est accusée d’être l’instrument de puissances étrangères et un club dépassé de dirigeants coupés des populations.
Paris et Washington sur une ligne dure
En réponse aux sanctions et critiques venues de l’étranger, la junte se drape dans la souveraineté nationale. Elle a demandé jusqu’à cinq années supplémentaires pour mener à bien la transition démocratique. Et s’est dite incapable, à l’heure actuelle, d’appeler les Maliens aux urnes en invoquant l’insécurité persistante sur un territoire dont les deux tiers échappent au contrôle des autorités. Elle réclame le temps de mener à bien des réformes essentielles selon elle et d’organiser des élections incontestables.
Dans le pays, aucune voix significative ne s’est élevée pour approuver la Cédéao. En revanche, un certain nombre pressent pour une reprise des discussions avec cette dernière, s’inquiétant de l’isolement international du Mali. Le colonel Goïta, de son côté, a assuré rester «ouvert au dialogue avec la Cédéao».
A la veille de la grande journée de mobilisation au Mali, le secrétaire général de l’ONU, António Guterres, avait réclamé jeudi du gouvernement malien un calendrier électoral «acceptable», rappelant que l’organisation ouest-africaine pourrait alors lever graduellement les sanctions.
Des partenaires du Mali aussi importants que la France et les Etats-Unis ont apporté leur soutien aux sanctions régionales. Le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, a indiqué jeudi que l’UE allait prendre des dispositions «dans la même ligne» que la Cédéao. «Nous préparons des sanctions à l’encontre de ceux qui font obstruction» à la transition, a-t-il répété vendredi à l’issue d’une réunion informelle des ministres des Affaires étrangères de l’UE à Brest (France).
S’exprimant lui aussi à l’issue de cette rencontre, le chef de la diplomatie française a déclaré que la France et les Européens, engagés militairement dans la lutte antiterroriste au Mali, voulaient rester «mais pas à n’importe quel prix». «Si on est en sécurité pour manifester, on doit sûrement être en sécurité pour voter», a ironisé Jean-Yves Le Drian, en référence aux arguments avancés par Assimi Goïta. Brouillé avec les putschistes depuis leur second coup d’Etat, en mai, Paris critique aussi le déploiement de mercenaires russes du groupe Wagner au Mali.
Source: liberation