Le mercure de l’effervescence judiciaire vient de monter de plusieurs degrés avec le placement, hier, sous mandat de dépôt de l’ancien Premier ministre Soumeylou Boubeye MAIGA, et de l’ancienne ministre de l’Economie et des Finances, Mme BOUARE Fily SISSOKO. Ce, après une audition de la Chambre d’accusation de la Cour suprême dans l’affaire de l’acquisition d’un aéronef et de la fourniture aux Forces armées maliennes de matériels roulants, d’Habillement, de Couchage, de Campagne et d’alimentation (HCCA) dans laquelle les deux personnalités sont citées. De quoi s’agit-il ?
Suite à des allégations selon lesquelles le dossier ci-dessus cité est clos, le Procureur général de la Cour suprême, Mamoudou TIMBO, a publiquement réagi en apportant un démenti formel, ce 24 août.
L’ancien PM, SBM, a, en effet, affirmé, ce jeudi 19 août, lors de l’émission Grand Jury de Renouveau TV : « la Cour suprême a rendu un arrêt en mars 2021, qui clôt définitivement le dossier. Je ne me suis jamais ni préoccupé ni inquiété par rapport à ces dossiers ».
L’élément catalyseur
Réponse cinglante du Procureur général :
« L’information, selon laquelle les dossiers liés aux affaires criminelles commises lors de l’achat de l’avion présidentiel et d’importants équipements et de matériels destinés aux FAMa auraient fait l’objet de classement sans suite, est fausse. Je m’inscris en faux contre cette information. Ce n’est pas de la bonne information. C’est une contre vérité », a indiqué, Mamoudou TIMBO, lors d’un flash spécial sur la télévision nationale le mardi dernier.
«C’est vrai qu’à un moment donné sous l’ancien régime, des enquêtes de police avaient été menées. Parce que la presse s’est fait l’écho de la commission de tels crimes. Il avait été instruit au Procureur de la République du Pôle économique et financier d’alors de classer l’affaire sans suite. Il s’est conformé aux instructions qu’il a reçues des plus hautes autorités administratives dont il relevait. Par la suite un autre ministre de la Justice est venu. Il a estimé que cette affaire ne devrait pas faire l’objet de classement sans suite et a donné des instructions dans le sens contraire, donc de réouvrir les dossiers liés à ces affaires-là. Des enquêtes complémentaires ont été menées », a poursuivi le Procureur général.
Il a affirmé que des ministres qui devaient être entendus lors des premières enquêtes et qui ne l’ont pas été ont été donc entendus.
« Maintenant les deux procès-verbaux d’enquête ajoutés au rapport du bureau du vérificateur général doivent constituer une moisson d’informations à laisser à l’appréciation de l’autorité compétente. Tout ce qui concerne les hautes autorités, les poursuites judiciaires sont déclenchées au soin du Procureur général de la Cour suprême, c’est la loi qui le dit. Un Procureur de la République au niveau du pôle économique et financier ne peut ni classer sans suite ni déclencher l’action publique dans ce cas », explique M. TIMBO
Il précise que l’absence de la Haute cour de justice ne peut pas empêcher les magistrats de faire leur travail, car, selon lui, les magistrats qui doivent instruire le dossier, à travers le double degré d’instruction, sont à la Cour suprême.
« Le fait que nous n’avons pas de Haute cour de justice ne signifie pas que nous devons rester dans l’impunité parce qu’au bout de 10 ans, si les affaires ne sont pas jugées, les faits sont prescrits. Donc les racines sont là. Le travail judiciaire se fera », a-t-il souligné.
Selon M. TIMBO, tant que la Haute Cour de justice ne fonctionne pas on ne peut pas la saisir, on revient dans le droit commun, on les fait bénéficier du privilège de juridiction, au niveau de la Cour suprême et on les traduit devant la Cour d’Assises parce que la Haute Cour de justice ne peut pas fonctionner.
Et d’ajouter « cette jurisprudence avait été tranchée depuis les années 80 et nous sommes dans cette jurisprudence et c’est ce que nous respectons. Sinon on reste comme ça. Non seulement l’opinion publique ne comprendra pas cette attitude d’attentisme de notre part, mais encore les faits seront prescrits. Il n’y a rien de plus dangereux pour une République que l’impunité ».
Comme si la sortie de l’ancien Premier ministre sur le classement sans suite du dossier en question avait servi d’élément catalyseur, vingt-quatre heures après la sortie du Procureur général, l’on apprenait que des magistrats de la Cour suprême allaient l’entendre sur le dossier dont il a annoncé la fermeture.
Ce jeudi, apprend-on, il a été effectivement entendu et immédiatement placé sous mandat de dépôt.
Alors qu’elle était moins sous les feux des projecteurs ces derniers temps, l’ancienne ministre de l’Economie et des Finances, Mme BOUARE Fily SISSOKO, a été également placée sous mandat de dépôt, selon des sources judiciaires.
L’objet de l’affaire
En quoi consiste l’affaire qui a été la plus retentissante du début du premier mandant de l’ancien Président Ibrahim Boubacar KEITA ?
Nous vous livrons ce que dit la note explicative sur l’achat d’un aéronef et les équipements militaires.
En 2013, au constat du sous-équipement de l’armée, le Président de la République a décidé de doter l’armée en moyens (équipements, tenues).
A l’époque, les ressources de l’État ne lui permettaient pas de réaliser cette ambition. Il fallait alors avoir recours à un fournisseur qui pouvait assurer la fourniture des équipements et les matériels et qui acceptait d’être payé sur trois (3) ans avec un différé.
L’aéronef a été acquis à 36 750 000 US dollars et les matériels à 69 183 396 474 FCFA dont 35 116 529 474 FCFA pour les matériels roulants et 34 066 867 000 FCFA pour les matériels HCCA.
Avant la conclusion du marché, le Ministre de l’Economie et des Finances a pris le soin de requérir l’avis de la Direction Générale des Marchés Publics et des Délégations de Service Public, seule Administration chargée de juger de la légalité et de la conformité à priori des marchés publics.
Dans sa réponse, objet de la lettre n° 00149/MEF-DGMP-DSP du 19 décembre 2013, celle-ci a indiqué que les marchés pouvaient bel et bien être passés sous le chapitre de l’article 8 du Décret n° 08-485 du 11 août 2008 portant procédures de passation, d’exécution et de règlement des Marchés Publics et des Délégations de Services Publics (Code des Marchés Publics).
Les contrôles
La dépense au titre de l’avion n’ayant pas été budgétisée et n’apparaissant ainsi pas dans le Tableau des Opérations Financières de l’Etat (TOFE), les partenaires ont demandé une enquête.
C’est ainsi que le Bureau du Vérificateur Général (BVG) et la Cour suprême ont été commis, et ont procédé chacun de son côté à des investigations et rendu rapport.
Le Bureau du Vérificateur Général, dans son rapport du 27 octobre 2014, a relevé des manquements, a conclu à des irrégularités et a retenu des infractions.
Selon lui les irrégularités financières s’élevaient à 28 549 901 190 FCFA, dont 24 120 371 247 FCFA de surfacturation, 349 548 538 FCFA de montant indûment payé à SKY COULOUR, 1 028 039 063 FCFA au titre du favoritisme.
Mais, le BVG a décidé de dénoncer à la Justice la somme de 12 422 063 092 FCFA, dont 9 350 120 750 FCFA au titre de la fraude, 2 633 093 436 FCFA et 438 848 906 au titre de la fraude fiscale.
La Cour Suprême , dans son rapport en date du 15 septembre 2014, signé d’un membre de la Section administrative et de deux de la Section des comptes, elle n’a pas tiré les mêmes conclusions que le BVG pour dire ainsi qu’elle n’a pas dit qu’il y a eu irrégularités et n’a donc pas retenu d’infractions.
Cependant, sur le plan règlementaire, les dispositions de certains textes sont violées à savoir : les paiements sans ou avant ordonnancement ; l’emprunt ; et le visa du Contrôle financier.
In fine, en attendant que le Justice ne fasse son travail, de nombreuses voies reprochent à SBM d’avoir joué avec le feu. Aussi met-on cet emballement judiciaire sur le compte d’un grand coup politique après la promesse de rupture marquée par une lutte implacable contre la corruption, la malversation financière, le détournement des deniers de l’Etat.
PAR BERTIN DAKOUO
Source : Info-Matin