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Vie de retraité au Mali : Entre souci du chômage des enfants et la vie chère (Enquête)

Malgré un satisfecit qu’ils délivrent pour le traitement progressivement positif de leur pension, le chômage greffé à la vie sociale, à la vie chère du pays rend difficile la vie des retraités au Mali. Du moins, ce sont les témoignages des retraités que notre équipe de reportage a rencontrés dans la capitale malienne, Bamako.

«Comment arrivent-ils à s’en sortir avec leur pension ? Qu’en est-il de cette fameuse pension, censée soutenir le travailleur dans l’après activité? »,quand tout le monde sait quepartir à la retraite est source d’une énorme pression, à la limite du supportable, sur le fonctionnaire ayant atteint l’âge limite. Et aussi, en raison de la précarité durant la période de cessation de travail due à l’insignifiance de la pension.

« Beaucoup de nos ainés ont vécu ce traumatisme. Certains fonctionnaires, qui ont servi depuis sous le président Modibo Kéita, sont morts des suites de l’angoisse et la peur d’aller à la retraite, parce qu’ils n’avaient rien préparé. Le salaire même ne permettait pas d’avoir un chez-soi : construire une maison pour habiter. C’est le stress qui tuait de nombreux partants à la retraite », se remémore Abdoulaye Sow, octogénaire, administrateur à la retraite.

Fatoumata Coulibaly, à la retraite depuis 1997, explique les difficultés qu’elles et ses collègues ont eues, dans le passé, pour pouvoir entrer en possession de leur ‘’maigre pension’’. « Les pensionnés s’installaient, pratiquement, dans les locaux de l’ancien trésor, au centre-ville, durant des semaines pour prendre la pension…Auparavant, il arrivait que les gens fassent plusieurs trimestres sans pouvoir toucher leur pension. On émargeait sur des carnets, comme des espèces de chéquiers. Pis, parfois, certains retraités étaient contraints de passer deux ans, sans être en possession de leur pension, au motif que leur carnet était au renouvellement », relate notre interlocutrice, installée dans son salon, à N’Tomikorobougou, en commune III du District de Bamako.

Les pensions désormais mensuelles ! Liquider la pension des retraités par trimestre est devenue un vieux souvenir, depuis quelques années. Selon le président de la Fédération nationale des associations des retraités du Mali (FNAR), Karim Tangara, « c’est avec le Pacte de solidarité, signé en 2001,  que nous avons demandé et obtenu le changement du paiement de la pension du trimestriel au mensuel». Depuis lors, le traitement de la pension du retraité malien connaît un changement manifestement positif à soulager les tractations des octroyés.

A la Caisse malienne de sécurité sociale (CMSS), on se félicite de cette révolution. Abdel Kader Sangaré, directeur du suivi des affiliés de la Caisse malienne de sécurité sociale, confirme qu’actuellement, le paiement de la pension est mensuel. De ses éclairages, il ressort que la caisse, dans sa restructuration, a changé son mode de paiement et de support de paiement.  « Au lieu des carnets, qui étaient souvent pris en otage, on fait des bulletins de paiement. On a informatisé le support de paiement pour éviter également les grandes fraudes, les milliards qui s’évadaient. Parce que, sur un carnet, quelqu’un pouvait être payé à 100.000 Fcfa, mais on met au stylo 200.000 Fcfa puisqu’on écrivait à la main. Et, on a mensualisé également », a dit Abdel Kader Sangaré. Selon lui, les paiements des pensionnés par  virement bancaire se font, déjà, le 23 de chaque mois et, à partir du 25 du mois, à la caisse.

Ce sont les fonctionnaires de l’Etat, des collectivités, les militaires et les députés qui sont couverts par la CMSS du statut général ou autonome. A ce titre, nous prélevons leurs cotisations, via une retenue à la source, opérée par les gestionnaires des salaires, et qui reste en trésor où nous le récupérons pour payer les pensions de ceux qui sont à la retraite aujourd’hui’, la fait savoir M. Sangaré « C’est un système de solidarité entre les générations », a estimé le directeur du suivi des affiliés de la Caisse malienne de sécurité sociale.

Pension, mode de calcul – « Tout est limpide à la Caisse malienne de sécurité sociale. Il y a beaucoup de paramètres pour calculer la pension », selon le directeur de la liquidation des pensions à la CMSS, Alassane Traoré. Les calculs) sont basés  sur le traitement indiciaire. Par exemple, à en croire M. Traoré, si 100.000 Fcfa constitue le traitement indiciaire, c’est la durée de service qui peut déterminer le montant de la pension. « Quand on a 100.000 Fcfa, le traitement indiciaire pour une durée de 40 ans de service, on aura droit à 80% du dernier traitement indiciaire. Donc, celui qui a comme traitement indiciaire 100.000 Fcfa, il va avoir 80% de 100.000 Fcfa à la retraite qui va faire 80.000 Fcfa environs, dans le contexte actuel », a expliqué techniquement le directeur de la liquidation des pensions à la CMSS.

Ce mode calcul est révolu, selon notre spécialiste. « Mais cela, c’est sans l’application du nouveau code des pensions », fait-il savoir. En effet, le Code des pensions, entré en vigueur en 2019, dit autre chose. Désormais, ce n’est plus que le dernier traitement indiciaire, tout court, et non plus le dernier salaire, qui est considéré, mais plutôt la moyenne des derniers salaires des cinq dernières années. Sur laquelle moyenne, sera basé le taux obtenu à travers la durée de service.

D’après Alassane Traoré, cela revient à la même chose. Si on a 100.000 Fcfa comme la moyenne. « Ce qui va déterminer le montant à percevoir en pension, précise-t-il, est en fonction de la durée de service ».

« Une année de service a droit à 2% de la base des calculs. Si on fait quinze ans de service, la durée minimale du service pour avoir droit à la pension, on a droit à 30% de la moyenne des rémunérations des cinq dernières années. Si cette moyenne est 100.000 Fcfa, cela veut dire qu’on aura 30.000 Fcfa puisque 30% des 100.000 Fcfa.  Sur la base de cette même moyenne, on aura 50.000 Fcfa à la retraite pour une durée de 25 ans », dit le directeur de la liquidation des pensions à la CMSS, encore plus explicite. « C’est-à-dire, le traitement indiciaire fait partie de la rémunération. C’est le salaire de base sans primes et indemnités. Maintenant, le traitement de base, c’est l’indice multiplié par la valeur indiciaire du fonctionnaire ou du militaire. C’est sans les primes et indemnités que peuvent prendre les fonctionnaires », a-t-il insisté.

Toutefois, il y a encore une nouvelle loi portant Code des pensions dont l’application a commencé le 1er janvier 2019. Avec ce code des pensions, l’ensemble des avantages est reconduit à la retraite. Ce n’est plus le salaire de base seulement, parce que, désormais, les cotisations seront prélevées sur les primes et indemnités. Il s’agit toujours des affiliés à la CMSS, contrairement à ceux de l’INPS qui sont dans cette logique. Ainsi, ceux qui iront à la retraite, dans les cinq prochaines années, vont bénéficier des primes et indemnités à la retraite. Ce code prend en compte la moyenne des rémunérations (le traitement indiciaire plus les primes et indemnités). Cela permet de relever la base. Mais, M. Traoré précise qu’on ne prend pas le dernier salaire, puisque on peut avoir un salaire qui était plus élevé qu’avant.

« Si par hasard, on est ministre et, par la suite, on redevient un grand directeur  vers la retraite, la rémunération de cette fonction peu rentrer en compte dans le calcul de la moyenne, si c’est fait pendant les cinq dernières années avant la retraite. Ça permet de relever un peu la base du calcul de la pension », a-t-il dit.

Toutefois, il faut d’abord commencer à payer selon les dispositions de ce code. C’est-à-dire, il faut que la cotisation se fasse sur cette base pour avoir la liquidation de la pension avec la moyenne  des rémunérations. Ce code ne concerne pas ceux qui sont déjà à la retraite. En tout cas, chez les fonctionnaires affiliés à la CMSS.

« Les gens vont cotiser normalement en 2019 avec leur rémunération. Si on est admis à la retraite en 2020, par exemple, on ne peut prétendre à cinq ans de rémunération. La seule année pendant laquelle il a cotisé va servir de base de calcul. Parce qu’on ne va pas prendre la rémunération et les traitements indiciaires antérieurs. On ne peut pas mélanger », explique M. Traoré.

« Donc, cela doit, normalement, aller progressivement jusqu’aux cinq dernières années de rémunération. Mais, si on a qu’une année de rémunération, ce serait la chance de la personne. Si c’est deux ans, la moyenne de ces deux ans. Ainsi de suite jusqu’à ce qu’on atteigne les cinq ans. Au-delà de cinq ans, on ne peut prendre que les cinq ans, on ne va pas continuer à faire la moyenne. On se limitera à cinq ans », a détaillé le directeur de la liquidation des pensions à la CMSS.

Par ailleurs, les retraités maliens ont, présentement, les mêmes augmentations que les fonctionnaires actifs. Selon Abdel Kader Sangaré, directeur du suivi des affiliés à la CMSS, les retraités d’aujourd’hui ont, à peu près, les mêmes droits que les fonctionnaires.  « Ce que l’Etat leur accorde comme avantage salariale, comme salaire brut et comme avantages familiaux, c’est qu’ils reçoivent à la retraite. Leur pension augmente dans les mêmes proportions et  les mêmes conditions que les salaires. Tant que le salaire des actifs augmente, les avoirs aussi des retraités augmentent », a révélé M. Sangaré.

La Fédération nationale des associations des retraités du Mali (FNAR) estime qu’elle en est pour quelque chose. «  Nous, nous sommes aux aguets. S’il y a augmentation, nous en bénéficions. C’est à ce titre que nous avons eu l’amélioration de nos pensions», se réjouie le Président de la FNAR, Karim Tangara.

Contraintes –Pour Idrissa Ibrahima Doumbia, 74 ans, contrôleur de l’information à la retraite depuis 2001, « on peut dire que les pensions nous permettent de vivre mais ce sont nos enfants et, surtout, nos petits enfants qui bouffent nos sous ». Et de continuer : « moi, j’ai cette difficulté parce que leurs mamans (qui sont mes filles) ne leur donnent rien. Surtout que généralement les femmes ne travaillent pas », avant d’exprimer sa gratitude aux fonctionnaires actifs qui soutiennent financièrement les retraités ‘’sans arrière-pensée’’ lorsqu’ils se rendent dans leur service.

De son côté, Aminata Sidibé, secrétaire de direction à la retraite, pense que sa pension aurait pu lui suffire si ce n’était la hausse des prix démesurée pratiquée par des commerçants. « En réalité la pension suffit mais, seulement, on est habitué au gaspillage d’une part. D’autre part, les commerçants, aussi, augmentent automatiquement les prix des denrées de première nécessité lorsqu’il y a augmentation de salaire des fonctionnaires », a-t-elle déploré.

Face à la problématique, la FNAR (composée de 17 associations de retraités) avait projeté de mettre en place une coopérative mais sans prendre en compte l’espérance de vie des pensionnés. Ce projet a été abandonné. « Les denrées de première nécessité telles que le sucre, le mil, le riz, l’huile et le lait… on pouvait les prendre à la coopérative. Nous avions voulu agencer cette action de coopérative mais nous nous sommes rendus compte que notre statut de retraité est très aléatoire à ce niveau. Il y a des gens en bonne santé, certains un peu malade…notre espérance de vie est faible », a dit Karim Tangara, le président de la FNAR qui ingénieur d’agriculture à la retraite, depuis 1999.

De ce fait, a-t-il ajouté, chaque pensionné essaie de gérer son quotidien comme il peut. « Le 25 du mois, tu peux ne pas avoir quelque chose à la maison, tu vas voir le boutiquier…C’est entre nous, dans le cadre de la solidarité, qu’on peut se donner un peu d’argent, en attendant   la fin du mois », renchéri le président de la FNAR.

En outre, les retraités n’ont pas peur du crédit, surtout les prêts bancaires.  « Lors des fêtes, si je n’ai pas d’argent, je m’adresse à ma banque pour un prêt. Car, ma pension est virée à la banque. On n’a pas peur du crédit même quand on est à la retraite. Tout comme moi, beaucoup de retraités ruent vers les banques pour faire un prêt, lors des fêtes religieuses nationales et autres évènements », a expliqué Adama Coulibaly, professeur d’enseignement à la retraite.

Sur ce point, il faut retenir que les pensions sont directement versées à la banque, sauf ceux qui ont 50.000 Fcfa. Même ces derniers, s’ils le souhaitent, peuvent faire la demande de prêt.

Certains, parmi les retraités, ont eu la chance d’avoir des enfants qui travaillent Par contre, d’autres ploient sous le poids de leurs enfants en chômage jusqu’à  l’âge de 30 à 40 ans.

Selon Karim Tangara, beaucoup de membres de la Fédération nationale des associations des retraités du Mali déplorent le phénomène du chômage, auquel s’ajoute le poids des contraintes sociales, la vie chère. Pour lui, c’est ce qui rend difficile la vie du retraité.  « Nous avons dans nos familles des fils, qui n’osent même pas nous regarder. A les voir, tu sens qu’ils sont peinés parce qu’au chômage », a explique M. Tangara.

« Le chômage est le fléau. Si, au moins, nos enfants que nous avons supportés pour qu’ils obtiennent des licences ou des doctorats, travaillaient, entraient directement en fonction, les choses seraient au mieux », a-t-il plaidé. « Mais, a-t-il regretté, ils sont au chômage ».

« Je vous dis, il y en a qui ne veulent même pas nous voir, parce qu’ils ont honte de leur situation. Le chômage, la vie chère, voilà les plaies du retraité», a dit le premier responsable des retraités du Mali. D’après M. Tangara, ce n’est pas uniquement les fils de cultivateurs et de paysans qui choisissent la mer pour partir. « Ce sont les nôtres, diplômés, par suite d’humiliation qui préfèrent mourir dans l’eau. C’est terrible », a-t-il alerté. « Le retraité supporte dans sa famille des enfants qui ne sont pas mineurs, mais des adultes parce que, tout simplement, ils sont au chômage. Toute chose qui n’est pas prévu dans la pension », a-t-il signalé, avant d’indiquer que quand un retraité meurt, 50% de sa pension revient à sa ou ses épouses.

Certains retraités protestent contre le léger retard accusé, dernièrement, dans le paiement de leur pension. Sur ce point, Abdel Kader Sangaré, le directeur du suivi des affiliés de la caisse malienne de sécurité sociale rassure : « C’est vrai que, depuis cette année, on a des petits désagrégements au niveau des paiements. Mais, dans tous les cas, les pensions sont payées tous les mois. Toutes les pensions sont payées », a-t-il répondu pour calmer les esprits.

OD/MD

Source: AMAP

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