Ce n’est pas une activité qui attire du monde. Mais, les rares personnes que les odeurs et la fumée ne rebutent pas, en tirent des gains substantiels.
De nos jours, des hommes et des femmes de tous âges exercent le commerce de têtes et pieds de ruminants. À Bamako, ces marchands sont présents un peu partout au niveau des marchés. Pour ces personnes, il n’y a pas de sot métier. Il s’agit pour elles de gagner leur subsistance à la sueur du front. Et elles semblent très loin de l’oisiveté.
Nous sommes vendredi au quartier « San-Fil », en Commune II de Bamako. À proximité de l’abattoir, des hommes, environ une quinzaine, sont à la tâche. Certains grillent des têtes et pieds de moutons et de chèvres. D’autres ont pour tâche exclusive d’épiler les pieds. À côté d’eux, sont étalés à même le sol des tas de têtes et de pieds de moutons et de chèvres. De gros fagots brûlent et dégagent de la fumée.
Mamadou Coulibaly fait partie du groupe. Il transpire et de grosses goutes de sueur couvrent son front. Le trentenaire gratte, à l’aide d’un outil tranchant, une tête de mouton. L’homme la remet aussitôt au feu. Un garçon l’assiste dans l’accomplissement de cette tâche ardue. Ce dernier s’occupe des pieds.
Mamadou Coulibaly exerce ce métier depuis 2000. « Nous achetons les têtes et les pieds de petits ruminants à l’abattoir avec les bouchers, les revendons en ajoutant notre bénéfice. Pour ce faire, nous les préparons en les brûlant et en enlevant les poils, avant de les vendre sur place ou sur différents marchés », explique-t-il.
Mamadou achète la marchandise en gros. Selon lui, les prix sont variables. « Avant, c’était moins coûteux à l’abattoir. Actuellement, c’est cher, le nombre de demandeurs et de revendeurs augmente. On achète une tête entre 1.500, 1.750 et 2.000 Fcfa pour la revendre entre 2.500 à 3.000 Fcfa selon sa masse. Il n’y a pas assez de bénéfice, mais c’est mieux que de voler », indique-t-il.
À côté de Mamadou, trois hommes sont en grande discussion au sujet des têtes et des pieds. Mohamed Sidibé est l’un des protagonistes. Le jeune homme accepte de raconter son histoire en lien avec ce travail qui semble nourrir son homme. « Je tiens cette activité de mes parents. J’ai commencé à l’exercer, il y a environ quatre ans. Depuis que nous avons commencé, nous nous débrouillons assez bien. C’est mieux que de quémander ou de vagabonder. J’arrive à trouver mon gagne-pain. Également, j’emploie des jeunes que je paie à la fin de la journée. Une seule personne ne peut pas le faire », explique le jeune originaire du Cercle de Nara, dans la Région de Koulikoro.
L’homme précise qu’il réalise plus de ventes les week-ends. Les femmes viennent s’approvisionner chez lui. Il livre la marchandise à des clients opérant dans différents marchés. Ce qui ne semble pas suffire souvent pour écouler tout le stock.
Pour y arriver, M. Sidibé se dit obliger de se promener de marché en marché. « Si on ne le fait pas, ça peut pourrir. Nous avons l’habitude de les confier à des propriétaires de frigos pour les garder au frais en raison de 50 Fcfa la tête. Mais en cas de coupure d’électricité, nous enregistrons des pertes. Heureusement qu’on est en période de fraicheur », détaille-t-il, soulignant que l’affluence est timide ces derniers temps. « Tu vois, toutes ces têtes sont là depuis hier. Sur 20 têtes achetées, j’ai pu vendre seulement sept et garder les 13 restantes dans le frigo. Les jours heureux, je peux vendre 40 têtes quotidienement », ajoute-t-il.
PROBLÈME DE CONSERVATION- Tout comme lui, Cheikna Sanogo évolue dans la vente des têtes et pieds de ruminants. « Je le fais depuis 3 ans. Je suis avec quatre autres personnes. Nous travaillons du lundi au vendredi », révèle-t-il, précisant que ça ne se passe pas sans difficultés.
Comme difficultés récurrentes, tous ces intervenants soulignent le problème de conservation surtout en période de chaleur, la cherté du charbon de bois, les effets néfastes du feu. Malgré cela, ils ne baissent pas les bras. Chaque jour, ils sont à la tâche pour servir les clients. Siriba Diané fait partie de cette clientèle. Il vient d’acheter deux têtes de mouton. « Je suis bien attaché à ces têtes pour pouvoir bien manger avec ma famille. C’est du produit frais. J’achète et Mme fait de la bonne sauce que nous allons savourer pendant deux jours », confie cet enseignant. Cet abonné qui fréquente les lieux depuis sept ans, encourage les jeunes qui exercent cette activité : « Ceux qui en vivent doivent être fiers. Ces petits métiers créent de l’emploi. Vu le contexte actuel du pays, les jeunes sont livrés à eux-mêmes».
Cet endroit n’est pas le seul à Bamako reconnu pour la vente des têtes de ruminants. Devant la Paierie générale du trésor, des vendeurs de têtes de moutons sont installés. Dès qu’un passant s’intéresse à eux, chacun essaie de l’attirer vers sa marchandise. Moussa gare sa voiture. Un homme et une femme courent à sa rencontre. « Qu’est-ce que vous désirez. Tête de bœuf, pieds ? J’en ai tout frais », propose la dame, tenant deux têtes de moutons dans les mains. « C’est généralement les vendredis soirs que j’achète ces têtes et pieds pour le petit-déjeuner du samedi. J’aime la sauce préparée avec la tête de mouton», justifie le client, tout en souriant.
Ici, la particularité est qu’ils vendent aussi des têtes et pieds de bœufs. « Nous avons des clients qui nous livrent les produits déjà prêts. Mais, nous les lavons proprement pour les rendre plus attrayants », explique Tiémoko. Selon lui, le marché est florissant surtout les vendredi et samedi. « Nous vendons les grosses têtes à 2.250 Fcfa, et entre 2.500 à 3.000 Fcfa les vendredi et samedi. Un pied de bœuf est cédé à 1.500 voire 1.750 Fcfa. Les petits pieds, eux, sont vendus à 1.250 Fcfa l’unité », informe Tiémoko. Il tient cette activité de sa mère qui, à cause du poids des ans, leur a cédé sa place. « Si tu commences un tel boulot, tu ne vas pas t’arrêter. Souvent, nous pouvons vendre 30 têtes de bœuf par jour. Les week-ends, ce nombre s’élève à 50. Tu vois, nous avions plus de 50 têtes aujourd’hui. À peine nous avons commencé la vente, nous avons déjà vendu plus d’une vingtaine », argumente le jeune commerçant.
De cette place, nous nous sommes rendus à Dravéla. Là-bas, Mariam Diakité est connue pour la vente de têtes et de pieds de bœufs. Elle pratique ce commerce depuis plus de 30 ans. « J’ai trouvé tout dans cette activité. Je ne dépend de personne grâce à Dieu », se réjouit la sexagénaire qui vend les pieds de bœufs, que son fils boucher lui livre. Mariam se fait aussi aider par sa fille, après les classes. « Je me charge de les mettre dans de l’eau chaude. Ma fille les rase. Chaque jour, je peux préparer dix pieds de bœufs, cinq têtes de bœufs et un sac de têtes de moutons », ajoute la vendeuse Mariam Diakité.