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Venance Konan: « tout le monde s’attend à la vengeance de la France à l’égard du Mali »

Quelle sera la vengeance de la France à l’égard du Mali après le retrait des troupes françaises de Bamako ? Venance Konan, ex-DG de Fraternité Matin, en parle.

En 2013, lorsque les soldats de la France débarquèrent au Mali, ils furent accueillis comme des héros. Et François Hollande, le président français d’alors, fut reçu au Mali avec tant de chaleur que sous le coup de l’émotion, il déclara qu’il vivait là le moment le plus important de sa carrière politique, phrase qui lui fut reprochée dans son pays. Et de nombreux petits Maliens furent prénommés François Hollande.

Que s’est-il passé pour qu’en 2022, l’on se balance des noms d’oiseaux de part et d’autre, et que les Maliens demandent à la même France de plier bagage sans délai, comme un malpropre ? Qu’est-ce qui a détérioré les relations entre les deux pays à ce point ? La première raison est à mon avis l’absence de résultats tangibles dans la lutte contre le terrorisme, l’expansion de celui-ci dans tout le Mali et même dans les pays voisins, et surtout l’interdiction qui avait été faite aux soldats maliens de pénétrer dans Kidal, ville qui était considéré comme le fief des indépendantistes Touaregs alliés aux djihadistes.

Cela a suscité de nombreuses interprétations et nourri bien de phantasmes. Mais au-delà de tout cela, ce que la France paie est une certaine arrogance dans ses relations avec l’Afrique, un certain paternalisme, voire une condescendance qui a fini par irriter de nombreux Africains. Antoine Glaser, grand spécialiste des relations franco-africaines a publié récemment chez Fayard un livre intitulé « arrogant comme un Français en Afrique » qui résume un peu la mentalité des Français en Afrique.

De nombreux Français, y compris dans la nouvelle génération de dirigeants, n’ont jamais vraiment considéré les Africains comme des êtres matures, et leurs pays comme des Etats réellement souverains. Il n’y a qu’à voir comment ils s’adressent à nos chefs d’Etats. L’Afrique est toujours vue comme le parent handicapé envers qui tout le monde se doit d’être gentil, que tout le monde doit aider. Il circule sur internet une vidéo d’un débat sur une chaîne de télévision française. L’un des débatteurs dit de laisser les Africains se débrouiller tout seul.

 

L’autre lui rétorque « comment voulez-vous que les Africains s’en sortent tous seuls, alors qu’ils sont comme des oisillons, habitués à ce qu’on leur donne la becquée ? » Une certaine France estime qu’elle doit s’occuper de tout à la place des Africains, pour leur bien, mais surtout pour ses seuls intérêts, sans avoir besoin de leur avis. Cette France estime que l’Afrique, surtout dans sa partie francophone, est sa propriété. Lorsque j’avais publié mon livre « Si le Noir n’est pas capable de se tenir debout, laissez-le tomber.

Tout ce que je vous demande, c’est de ne pas l’empêcher de se tenir debout. », j’avais été invité à venir le présenter à Paris devant le club « Voix africaines » dirigé par mesdames Joëlle Bonnefous et Michèle de Charrette, l’épouse d’Hervé de Charrette, ancien ministre français des Affaires étrangères. Il y avait là, parmi l’assistance, mes amis Antoine Glaser, Marie-Roger Biloa, Mbia Yebega Hervé Germain, Don Karim, pour ne citer que quelques-uns, et tout un parterre d’anciens ambassadeurs de France en Afrique et tous ceux qui s’intéressent à notre continent.

Ce qui me frappa fut le fait que personne parmi les Français présents ce soir-là ne put admettre que l’on dise de ne plus aider l’Afrique. C’était tout simplement inimaginable. Mais il nous faut avouer que si les Français nous traitent avec paternalisme, c’est souvent parce que nous nous comportons aussi avec beaucoup d’immaturité dans bien des cas. Lorsque j’ai présenté le même livre ici en Côte d’Ivoire, la journaliste de la télévision qui m’interviewa me demanda avec des yeux scandalisés : « donc vous ne voulez plus qu’on continue d’aider l’Afrique ? » Oui, notre interaction avec les autres peuples consiste à leur demander toujours de l’aide, sans même nous interroger sur ce que nous pourrions réaliser nous-mêmes pour nous-mêmes. Nous nous sommes convaincus que la tâche de développer l’Afrique incombe aux autres, mais pas à nous. Nous faisons des ponts d’or aux investisseurs étrangers, pendant que nous allons placer nos revenus en Europe.

 

Pour revenir au Mali, les populations de ce pays, échaudées par ce qu’elles considèrent comme un échec de l’armée française, n’ont pas apprécié les propos de certains responsables politiques français qui traitaient leurs nouvelles autorités d’illégitimes au lendemain de leur second coup d’Etat. Parce que dans le même temps, le président français avait été adouber le fils d’Idriss Déby dont on peut difficilement dire qu’il avait accédé au pouvoir de manière démocratique, et restait silencieux sur la Guinée voisine du Mali.

Et la vivacité de la réaction française à l’arrivée des Russes de la compagnie Wagner a achevé de convaincre les Maliens que les Français leur déniaient leur souveraineté. Certains mendiants ont leur dignité et tiennent à ce qu’on leur fasse l’aumône avec un minimum de respect. Et si ce n’est pas le cas, ils préfèrent renoncer à cette aumône. Les Maliens viennent de dire simplement à la France : « si nous ne sommes pas capables de nous tenir debout, laissez-nous tomber. Tout ce que nous vous demandons, c’est de ne pas nous empêcher de nous tenir debout. »

Les Français le comprendront-ils ? Comprennent-ils pourquoi Laurent Gbagbo fait encore recette auprès de nombreux Ivoiriens et Africains ? C’est parce qu’il a réussi à se vendre comme celui qui a tenu tête à la France et a été envoyé à Haye pour cela mais en est revenu vainqueur. Nous devons tous maintenant changer de logiciel, Africains comme Français. Pour le moment, tout le monde s’attend à la vengeance de la France à l’égard du Mali. La forme qu’elle prendra jouera aussi sur les relations entre ce pays et le reste de notre continent.

 

Source: ivoiresoir

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