Depuis l’instauration de la démocratie, l’incivisme et l’impunité sont devenus des tares largement partagées qui ont fini par provoquer l’effritement de l’autorité de l’Etat et exposer le pays à tous les périls. Le Mali indépendant traverse la plus grave crise de son histoire qui hypothèque son avenir en tant qu’Etat et nation.
Multiforme et pernicieuse, cette crise l’a tellement fragilisé qu’il se trouve à portée de griffes de prédateurs impénitents qui veulent l’asservir en s’appuyant sur des complicités internes. La résilience légendaire du peuple malien sera-t-elle une réponse suffisante à la menace ?
LE MALI VICTIME DES
INCOHÉRENCES DE LA GUERRE EN LIBYE
L’Accord de Tamanrasset signé précipitamment en 2006 dans des circonstances mal comprises s’est révélé inapplicable. Suite au bombardement de la Libye par les forces de l’OTAN, les mouvements armés ont pu regagner le Mali avec armes et bagages, aggravant le chaos dans le nord finalement abandonné aux narcotrafiquants. Toute la bande sahélo-saharienne va ainsi se transformer en une zone de non droit vivant de l’économie criminelle : drogue, armes, prises d’otages avec demande de rançon. L’administration malienne y était juste tolérée et à condition qu’elle fermât les yeux. Le président français Nicolas Sarkozy, après avoir jeté son dévolu sur les mouvements rebelles à qui il demande de lâcher le leader libyen contre un territoire à eux dans le nord du Mali, va manœuvrer pour faire du Burkina Faso de Blaise Compaoré leur base opérationnelle de repli. Pourtant, nul n’ignorait le rôle joué par Kadhafi dans le maintien de l’équilibre socio-politique au Mali. En réalité, son leadership en Afrique gênait et constituait une entrave à la mise en œuvre du projet européen sur la migration et sur l’exploitation des matières premières. D’autres raisons plus personnelles ont été évoquées pour expliquer l’empressement de Sarkozy à le faire taire.
L’intervention de l’OTAN n’a apporté aucune solution aux populations libyennes, créant au contraire la ruine et la désolation en Libye ainsi que dans toute la région du Sahel. Comment ne pas rapprocher le sort de Kadhafi de celui fait quelques années plus tôt à Sadam Hussein ? En effet, on avait allégué que Sadam disposait d’armes de destruction massive représentant une menace pour la paix mondiale. Il a été traqué comme une bête et livré à la vindicte populaire, mais de telles armes n’ont jamais été trouvées en Irak. Le même scénario a été reconduit en Libye où Kadhafi est d’abord accusé d’utiliser des avions de guerre contre ses propres populations. Pourchassé et tué en plein désert, son corps sera exposé dans un supermarché. On sait aujourd’hui que les deux seuls avions qui avaient décollé de Tripoli, ont été conduits à Malte pour les mettre à l’abri. Ceux qui ont tué Sadam et Kadhafi avaient donc des raisons personnelles et pour arriver à leurs fins, ils n’ont pas hésité à faire massacrer des dizaines de milliers d’Irakiens et de Libyens, en donnant un coup de pied provocateur dans la dangereuse fourmilière islamiste. Cependant, il n’y a aucune chance de les voir traduits devant la Cour Pénale Internationale. Quand la France intervient au Mali en janvier 2013, Kidal sera épargnée et jusqu’à ce jour, la ville reste une enclave imposée aux Maliens et un défi permanent à l’autorité de Bamako. Les populations en nourrissent une méfiance légitime vis-à-vis de la France, une alliée en qui elles ne croient plus.
COMPTER SUR LE GÉNIE DU PEUPLE POUR SAUVER LE PAYS
Les pays n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts. La France a toujours soutenu les pouvoirs en place en ménageant l’opposition et en se servant des rébellions pour équilibrer les ardeurs et les comptes. La guerre est devenue pour l’Occident une entreprise rentable permettant de faire tourner son économie. L’Irak et la Libye sont à présent des pays presqu’entièrement détruits disposant d’un fort potentiel pétrolier et gazier. Outre la vente d’armes, on y assure une présence militaire pour protéger des débouchés et des marchés. L’intervention française n’est donc dictée ni par l’amitié, ni par la philanthropie. Elle a un prix que le Mali va payer et il s’agit à présent d’en limiter l’impact. En affirmant qu’il n’est pas un président fantoche prêt à brader les intérêts de son pays, IBK s’était placé dans l’œil du cyclone. On avait alors mis en branle la presse d’intox et certaines officines spécialisées pour l’affaiblir avec les affaires Tomi, achats d’avion et autres équipements militaires. Certains opposants sont entrés dans la danse, croyant tenir l’occasion de se défaire de lui avant la fin de son mandat. Obnubilés par le pouvoir et incapables de tenir une position cohérente et crédible, ils ne sont en réalité d’accord que sur leur propre désaccord, vivant essentiellement sur les réseaux sociaux, sans emprise réelle sur le Mali profond. Le peuple qui a appris à connaître tout ce beau monde sait lire entre les lignes, écouter les non-dits et faire la différence entre un patriote sincère et un félon de service.
La société civile est à l’heure de la réflexion constructive et des propositions, prenant de plus en plus ouvertement part au débat au risque de heurter certaines sensibilités politiques. Elle le fait devant l’incurie des politiciens qui ont choisi d’enjamber ses angoisses pour ne penser qu’au pouvoir. En cinq ans, le centre de la contradiction s’est déplacé du nord vers le centre du Mali, avec de nouveaux acteurs et de nouvelles complications. On est parti des revendications territoriales de l’AZAWAD pour arriver à des velléités islamistes avec le tandem Iyad – Koufa. Ce glissement va bouleverser toute la donne de départ car, si la France est prête à s’accommoder d’une rébellion séparatiste, elle n’est pas disposée à tolérer un Etat islamique. Dans le même temps, le Mali qui est un pays fortement islamisé se trouve en réalité plus contrarié par l’atteinte à l’intégrité de son territoire que par des querelles dogmatiques sur l’Islam. Alors, a-t-on eu raison de traiter les deux questions, celle de l’AZAWAD et celle de l’Islamisme de la même manière en nous alignant sur la position française ? Que propose l’opposition politique sur la question ? C’est tout le sens du bourbier dans lequel le pays et ses voisins du Sahel se trouvent empêtrés en ce moment. La France peut discuter avec les mouvements rebelles et peser parfois sur leurs décisions, mais elle n’a aucune emprise sur les groupes islamistes. Le Mali a aujourd’hui les moyens de traiter les deux questions : l’AZAWAD avec l’appui de la communauté internationale, la gestion de l’Islamisme avec celui des leaders religieux. Au Mali, on n’a pas la même compréhension de la laïcité qu’en Occident. La référence à Dieu est toujours présente dans tout ce que nous entreprenons. C’est déjà une bonne base de discussion.
De toute évidence, l’ardeur des Islamistes ne faiblira pas tant que des puissances étrangères seront militairement présentes dans le Sahel. Cette présence réveille de vieux démons. Le Mali qui est un vieux pays depuis longtemps acquis à l’Islam devrait privilégier la négociation.
Mahamadou Camara
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